Derrière « Sentinelles », l’appui précieux de la Mission cinéma du ministère des Armées

Crédits : OCS

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Peu le savent, mais le ministère des Armées soutient chaque année plusieurs centaines d’oeuvres artistiques au travers de sa Mission cinéma. Parmi les derniers exemples en date, la série « Sentinelles » diffusée depuis début avril sur Orange Cinéma Séries (OCS) et centrée sur l’engagement d’une section de l’armée de Terre au sein de l’opération Barkhane. 

La Mission cinéma, 200 projets soutenus par an

Première sériée dédiée à l’opération Barkhane et l’une des rares axées sur l’armée de Terre, Sentinelles nous envoie au Mali, dans le quotidien d’une section de jeunes engagés du 22e régiment d’infanterie. Là-bas, ils seront confrontés aux embuscades des groupements armés terroristes, à l’hostilité croissante de la population locale et aux dilemmes moraux. Pour raconter le plus fidèlement possible le « terrain », le scénariste Thibault Valetoux, également à l’origine de Totem, et son équipe ont pu compter sur l’appui discret mais essentiel de la Mission cinéma et des industries créatives (MCIC) du ministère des Armées. 

« Les Français connaissent très mal les armées », soulignait jeudi dernier la directrice de la MCIC, Ève-Lise Blanc Deleuze. Deuxième acteur culturel de l’État, le ministère des Armées a mis en place une Mission cinéma dès 2016, dans la foulée de la première saison du Bureau des légendes. Ses missions ? Appuyer la création artistique pour faire rayonner les Armées, entretenir le lien Armées-nation, susciter les vocations et renforcer le sentiment d’appartenance des personnels.

Jusqu’alors ponctuelle, la démarche devient permanente et se consolide un an plus tard par la signature d’une convention avec la Guilde française des scénaristes. Devenue la Mission cinéma et industries créatives en 2019, son champ d’action est alors élargi aux jeux vidéos et au BD, deux canaux axés essentiellement vers la jeunesse. Progressivement, elle a également étendu ses partenariats au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), à la Cité européenne des scénaristes et à l’Agence française pour le jeu vidéo. 

Ici, nul financement, ni oeuvre sur commande et encore moins de « réécriture » du scénario, mais un accompagnement technique et documentaire tout au long du projet. Ce sera du conseil en écriture, du conseil historique et technique, de l’immersion en unités, l’accueil d’un tournage sur une emprise, du prêt de matériels spécifiques, de l’accompagnement en communication, voire, des actions proactives pour faire découvrir l’environnement militaire et les enjeux de défense. La MCIC organise ainsi des « opérations découverte ». Dernièrement, un panel de scénaristes et d’auteurs ont assisté à la célébration de la bataille de Camerone, commémorée chaque année par la Légion étrangère. En novembre 2021, d’autres ont pu embarquer sur un porte-hélicoptères amphibie de la Marine nationale. Le tout, avec l’aide des Services d’informations et de relations publiques des armées (SIRPA), des « partenaires au long cours ».

Derrière Sentinelles et d’autres succès comme le Chant du Loup ou le Bureau des légendes, la MCIC est sollicitée en moyenne 200 fois par an. En 2021, elle aura ainsi accompagné 52 séries, 49 films et 50 documentaires. Elle a également facilité l’accueil de 25 tournages. Pas mal en pleine crise sanitaire. La grande majorité sont des projets de temps long. Le Chant du loup, par exemple, aura nécessité 36 mois de travail avec la Marine nationale. Pour Sentinelles, les premières discussions datent de 2015.

« Un soutien excessivement précieux » pour Sentinelles

Son producteur, Antoine Szymalka, insiste : Sentinelles « est une pure fiction (…) qui permet de croiser le destin de personnages et de questionner un certain nombre de sujets de la société française ». S’attaquer à un sujet inspiré de l’actualité impliquait de se documenter, « de savoir que, de temps en temps, nous ne savons pas ». Le scénario n’en est encore qu’à ses prémices lorsque Thibault Valetoux fait appel à la MCIC. Rencontres et formations successives « lui ont permis d’affiner les bases de son projet et, surtout, de définir des trajectoires de personnages beaucoup plus solides ».

Toujours complexe, et désormais « brûlant », le sujet « Barkhane » exigeant de prendre toutes les précautions d’usage. Le coeur de la collaboration relevait donc de la phase essentielle de développement, d’écriture et de lecture. Les auteurs ont ainsi pu rencontrer « pas mal de monde » pour croiser les regards et les avis. Quelques militaires ont suivi de près et tout du long le travail d’écriture pour rassurer les scénaristes. Si le souci de réalisme prime, certaines remarques n’ont pu être prises en compte pour des raisons purement narratives. « Notre boussole est généralement, dans ce cas là, la vraisemblance. C’est de se dire que, pour toute action qui nous est contestée, notre question sera de nous dire : est-ce impossible ? Est-ce vraisemblable ? ». Et tant pis si ces choix feront tiquer les spécialistes.

Crédits : OCS

L’appui de la MCIC s’est étendu aux phases de préparation et de production, au cours desquelles « nous avons pu bénéficier de différents soutiens précieux, voire excessivement précieux ». Les comédiens ont ainsi reçu une formation « accélérée mais ô combien nécessaire ». Durant quatre jours, ils sont partis en immersion au sein du 12e régiment de cuirassiers d’Olivet (Loiret). « Ils ont souffert, mais aujourd’hui on pense que le résultat permet de croire à ces comédiens-soldats », relève Antoine Szymalka. D’autres endroits restent par contre inaccessibles, tel que le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), dont l’accès leur a été refusé. La série a aussi profité d’un soutien logistique et de conseils, au travers de quelques surplus d’uniformes et de la mise en relation avec un conseiller militaire chargé de suivre tout le tournage.

L’éventail de solutions de la MCIC a néanmoins ses limites. Impossible de filmer sur les lieux évoqués dans la série, en partie pour d’évidentes questions de sécurité. Étalé sur deux mois et demi, le tournage s’est principalement déroulé au Maroc, à proximité de la ville d’Erfoud. Située à côté de la frontière algérienne, cette région offrait plusieurs types de paysages et d’environnements dans périmètre restreint. Et si certains détails feront tiquer les spécialistes, Sentinelle reste une fiction axée vers le grand public. Pour les véhicules, par exemple, la production s’est appuyée sur des VAB marocains. « Et je révèle que, malheureusement, nos VAB n’ont pas le bon nombre de roues par rapport aux VAB de l’armée française », admet Antoine Szymalka en clin d’oeil aux puristes.

2022, une année charnière pour le « genre militaire »

Fort d’une « relation positive et essentielle » et des retours positifs d’OCS, l’équipe de Sentinelle planche d’ores et déjà sur une deuxième saison. « Nous travaillons dès le départ avec la société de production pour informer les scénaristes sur la situation de la région géographique dans laquelle elle se passera », confirme Ève-Lise Blanc Deleuze. Et suivre l’exemple du Bureau des légendes en s’installant durablement dans le paysage audiovisuel français, voire en s’imposant à l’étranger ? 

D’ici cette potentielle seconde saison, la MCIC continue de dérouler le tapis rouge pour d’autres productions. Notamment pour « Tirailleurs », de Mathieu Vadepied et avec Omar Sy, pour lequel les armées ont participé à la reconstitution d’une réplique exacte du drapeau du 1er régiment de tirailleurs sénégalais. Il sera présenté au Festival de Cannes dans la section « Un certain regard ». Mais aussi le prochain film de Robin Campillo. Le réalisateur de « 120 Battements par minute » tourne pour l’instant « École de l’air », qui se déroulera sur une base aérienne française de Madagascar au tournant des années 60 et 70. Ou encore « Les derniers hommes », ultime film de Jacques Perrin, décédé le mois dernier. Tourné en Guyane avec l’aide de l’armée de Terre, il plongera le spectateur dans l’assaut soudain des forces japonaises contre les garnisons françaises d’Extrême-Orient en mars 1945. 

Malgré ces exemples, la guerre vue au travers de l’armée française reste « un genre filmique peu abordé au cours des dernières années dans le cinéma ou la fiction française », relève Antoine Szymalka. « Je rêverais que, dans dix ans lorsqu’on fait une nouvelle série militaire, quelle que soit l’arme, nous ayons des références françaises pour se nourrir et avancer dans un univers de fiction qui nous est propre », ajoute-t-il.

Message reçu côté MCIC, qui considère 2022 comme une année charnière pour la fiction française. Sentinelles progresse vers une possible saison 2. L’an prochain sortira la série « Coeurs noirs » consacrée aux forces spéciales françaises. Et le phénomène commence à essaimer dans les autres armées. Si Ève-Lise Blanc Deleuze « rêve d’un Top Gun à la française », c’est bien sur le petit écran que s’afficheront prochainement l’Armée de l’Air. Celle-ci et la Marine nationale sont chacune l’objet de deux séries en cours d’élaboration. 

Aucune de ces séries n’est aujourd’hui signée, mais pour la MCIC, cette multiplication des oeuvres télévisuelles pourrait contribuer à l’émergence d’un « genre militaire qui n’existe pas encore en France mais existe aux États-Unis ». Le processus prendra du temps car, entre la naissance de l’idée et son aboutissement, le spectateur doit généralement attendre plusieurs années. De même, « pour qu’un projet voit le jour, il faut qu’il naisse dans l’esprit, dans l’imagination d’un scénariste ». D’où la volonté exprimée par la MCIC de créer une pépinière de jeunes auteurs intéressés par le sujet militaire au sein de la Cité européenne des scénaristes. 

Si le succès de Sentinelles puis de Coeurs noirs et les autres se confirme, la MCIC espère « que cela va donner envie à d’autres plateformes, à d’autres chaînes de produire d’autres séries dans cet univers ». Une volonté soutenue par l’Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), qui est parvenue à faire signer aux principales plateformes de streaming des obligations contractuelles d’investissements en production française. Netflix, Amazon Prime et consorts devront désormais flécher une partie de leur manne financière vers les sociétés françaises. Ce serait une petite révolution pour la production nationale, « puisque l’on parle dès l’année prochaine d’à peu près 250 M€ ». De quoi produire l’équivalent de plus de dix « Bureau des légendes » par an.