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Retrait U.S. de Syrie, une erreur dramatique

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Pour tenir une promesse électorale démagogiquement faite en déconnexion totale avec la situation et les enjeux, le président Trump ordonne le retrait de 2.000 soldats américains de la Syrie, mettant ainsi fin brusquement à une campagne militaire qui a pratiquement vaincu l’État islamique.
 

La France, elle, reste en Syrie ! Le 4 décembre dernier, des CAESAR  affectés à l'opération Chammal ont tiré pour la première fois des obus BONUS (Photo: ministère de la Défense).

La France, elle, reste en Syrie ! Le 4 décembre dernier, des CAESAR affectés à l’opération Chammal ont tiré pour la première fois des obus de 155 mm autoguidés BONUS (Photo: Ministère des Armées).


 
En passant outre à l’avis de ses généraux et conseillers civils, Trump concrétise son intention plusieurs fois exprimée de ramener les forces américaines au pays en les extirpant d’un enchevêtrement étranger compliqué (donc inaccessible à ses raisonnements invariablement très simplistes). Cette décision, communiquée mercredi 19 décembre via Twitter (comme d’hab’), plonge la stratégie de son administration au Proche-Orient dans le désarroi, irritant de surcroît des alliés tels que la Grande-Bretagne et la France, et abandonnant à leur sort les Kurdes syriens qui sont pourtant des partenaires fidèles dans la lutte contre l’Etat islamique.
 
La nature abrupte et chaotique de la mesure – et l’opposition qu’elle a immédiatement provoquée au Capitole et au-delà – engendrent des interrogations quant à un retrait complet. Même après l’annonce faite par le président, le Pentagone et le département d’Etat ont continué à essayer de le dissuader. « Nous avons gagné contre ISIS ! », a déclaré Trump dans une vidéo publiée mercredi soir sur Twitter, ajoutant : « Nos garçons, nos jeunes femmes, nos hommes, ils reviennent tous, et ils reviennent maintenant ! Nous avons gagné, et c’est ce que nous voulons et c’est ce qu’ils veulent ! », a-t-il martelé en pointant le doigt vers le ciel, évoquant les soldats américains tués au combat.
 
La Maison Blanche n’a pas fourni de calendrier ni de détails pour le départ des troupes. « Nous avons commencé à ramener des troupes alors que nous passions à la phase suivante de cette campagne », a déclaré Sarah Huckabee Sanders, attachée de presse à la Maison Blanche. Le département de la Défense a déclaré que Trump avait ordonné que le retrait soit achevé dans trente jours.
 
La décision a provoqué une tempête de protestations au Congrès, même de la part des alliés républicains de Trump, tels que le sénateur Lindsey Graham, de Caroline du Sud, qui a déclaré qu’il avait été pris au dépourvu. Les « protestataires » ont clamé que Trump agissait pour des « objectifs personnels ou politiques » plutôt que pour des motifs de sécurité nationale.
 
Comme beaucoup de décisions très perturbantes de Trump, la décision engendre un chaos mais était prévisible : depuis plus d’un an, particulièrement depuis que l’État islamique a été chassé de la majeure partie de son territoire dans le nord de la Syrie, il a signifié à ses conseillers qu’il entendait retirer les troupes américaines du pays. Le secrétaire à la Défense, Jim Mattis, et d’autres hauts responsables de la sécurité nationale ont fait valoir qu’un retrait céderait essentiellement l’influence occidentale en Syrie à la Russie et à l’Iran. De plus, abandonner les alliés kurdes entraverait aussi les futurs efforts américains pour gagner la confiance des combattants locaux dans les opérations de lutte contre le terrorisme, notamment en Afghanistan, au Yémen et en Somalie.
 
La décision de Donald Trump « pourrait provoquer des affrontements importants entre la Turquie et les Kurdes si les Américains ne sont plus là pour faire tampon militairement et diplomatiquement », prévient Jonas Parello-Plesner, du cercle de réflexion Hudson Institute. Minbej, une ville contrôlée par des milices kurdes et où des soldats américains sont aussi stationnés, pourrait être « la première à s’embraser ». Ankara menace en effet d’une offensive imminente contre eux. Les combattants kurdes risquent de se détourner de l’opération contre les derniers jihadistes retranchés près de la frontière irakienne. Or cette bataille fait rage : la coalition internationale a encore mené 208 frappes aériennes du 9 au 15 décembre.
 
Certains se demandent si le retrait américain n’est pas lié à la réconciliation entre Donald Trump et le président turc Erdogan après des mois de tensions. Hasard du calendrier ? Washington a annoncé mercredi avoir approuvé la vente de son système antimissiles Patriot à Ankara, jusque-là décidé à acheter le système concurrent S-400 russe.
 
Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a naturellement applaudi l’annonce du retrait, affirmant qu’il permettrait de parvenir à un règlement politique de la guerre civile en Syrie. Il a également déclaré qu’une initiative visant à former un comité constitutionnel syrien aurait un avenir prometteur une fois que les troupes américaines seraient parties. Sans rire.
 
Quand Trump se limite à considérer la victoire militaire de l’intervention américaine sur l’E.I. en Syrie, ses généraux et ses diplomates ont vainement tenté de lui expliquer que les États-Unis ont des intérêts plus vastes et plus complexes dans ce pays. Le général Joseph Votel, chef d’état-major interarmes des forces américaines, et Brett H. McGurk, émissaire américain auprès de la coalition contre l’État islamique, ont vivement protesté contre le retrait inconsidéré des troupes, ont révélé des responsables de l’administration. Les deux hommes font valoir que l’État islamique n’aurait jamais été vaincu sans les combattants kurdes qui ont subi de lourdes pertes et ont toujours tenu parole.
 
Cité par le Washington Post, le général Votel a affirmé que le retrait des troupes américaines laisserait les Kurdes vulnérables aux attaques de la Turquie qui a déjà prévenu qu’elle lancerait bientôt une offensive contre eux. Cela conforterait également la survie de Bachar al-Assad, dont l’éviction avait pourtant longtemps été un engagement ferme pris par Washington.
 
Le Pentagone a toutefois déclaré qu’il continuerait à travailler avec ses partenaires et alliés pour vaincre l’État islamique, où qu’il opère. La décision de Trump contredit donc ce que d’autres hauts responsables de la sécurité nationale ont déclaré ces dernières semaines : il y a deux mois, le conseiller à la Sécurité nationale, John R. Bolton, a déclaré que les États-Unis ne se retireraient pas de la Syrie tant que l’Iran exercerait une influence dans ce pays, que ce soit par ses propres troupes ou par des milices soutenues par l’Iran.
 
La semaine dernière, M. McGurk a qualifié la mission en Syrie de « défaite durable » de l’État islamique : « Nous ne pouvons plus nous contenter de partir. Nous voulons rester sur le terrain et veiller à ce que la stabilité puisse être maintenue dans ces zones. » Les chefs militaires craignent qu’un retrait hâtif compromette les gains territoriaux réalisés par les États-Unis et leurs partenaires dans la coalition contre l’État islamique, comme cela s’est passé après que le président Barack Obama eut retiré ses troupes d’Irak en 2011. La guerre contre l’EI est le motif officiel de la présence américaine. Et à cet égard, « nous sommes sur le point de faire la même erreur au Moyen-Orient qu’au cours des vingt dernières années », a écrit sur Twitter l’ex-diplomate Ilan Goldenberg, du Center for a New American Security : l’ex-président Barack Obama avait tenté de quitter l’Irak « mais notre départ a ouvert la voie à l’EI » et contraint les Américains à revenir, prédisant le même sort à Donald Trump car les groupes djihadistes vont se reconstituer.
 
Après un déjeuner avec le vice-président Mike Pence et d’autres sénateurs républicains, le sénateur Lindsey Graham a qualifié cette décision « Encore une fois l’Irak ! ». Il a demandé au vice-président pourquoi le Congrès n’avait pas été informé de la décision de Donald Trump. « Si Obama avait fait cela, nous serions en train de devenir fous ! Quel aveu de faiblesse, quel danger ! ».
 
Dans une lettre à Trump, le sénateur Graham et cinq de ses collègues, tant républicains que démocrates, l’ont imploré de reconsidérer sa décision, prévenant qu’un retrait des troupes U.S. enhardirait les vestiges de l’État islamique, ainsi que les troupes gouvernementales d’Assad, celles de l’Iran et celles de la Russie.
 
Pendant une grande partie de la journée, la Maison Blanche a semblé paralysée par le geste soudain de Trump. Ce dernier n’a toujours pas exposé comment il envisage les conséquences du retrait des troupes ni expliqué quelle serait la stratégie américaine en Syrie une fois que les forces américaines en seraient parties. Peu importe, d’ailleurs ! Lors d’une téléconférence avec des journalistes, un haut responsable de la Maison Blanche a déclaré que les déclarations de M. Bolton et d’autres hauts responsables selon lesquelles les Etats-Unis resteraient en Syrie importaient peu car, en tant que président, Trump peut faire ce qu’il voulait. On en déduit ceci : même au mépris des intérêts américains qu’il prétend défendre, c’est « après lui le déluge, il n’en a rien à… ».
 
Tout le monde n’a pas critiqué le geste du président : Robert S. Ford, dernier ambassadeur des États-Unis en Syrie, a déclaré que les Washington pourrait continuer à frapper des cibles terroristes depuis le ciel. Sauf que, ce 20 décembre, le retrait des troupes américaines de Syrie annoncé hier par le président Donald Trump s’accompagnera de la fin des opérations aériennes des Etats-Unis contre le groupe Etat islamique en Syrie, ont déclaré aujourd’hui des responsables américains… La présence américaine actuellement limitée sur le terrain, a-t-il dit, ne forcera de toute manière pas l’Iran à quitter le pays et ne modifiera pas l’issue de guerre entre Assad et les vestiges de la rébellion. Pourtant, les frappes aériennes contre l’EI dans l’Est syrien dépendent largement des renseignements obtenus sur le terrain par les soldats américains et leurs alliés arabo-kurdes.
 
« L’ensemble du conflit syrien concerne les relations des Syriens avec d’autres Syriens », a déclaré M. Ford qui enseigne à l’université de Yale et est également membre de l’Institut du Moyen-Orient. « Deux mille hommes des forces spéciales et une douzaine de diplomates américains ne peuvent quand même pas résoudre ce problème ». Washington semble s’être résigné à une victoire du régime de Bachar al-Assad, soutenu par la Russie et l’Iran.
 
Pour ne pas irriter son allié, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a prudemment qualifié cette décision « de décision américaine » et déclaré que son gouvernement en étudierait les conséquences. Selon des analystes, ce retrait porterait un coup dur aux efforts d’Israël pour limiter l’influence iranienne en Syrie : « C’est un mauvais jour pour Israël », a déclaré Ehud Yaari, membre de l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient.
 
« Sans surprise, cela rend les Européens plus vulnérables et montre à quel point nous avons tort de ne pas disposer d’une force de défense capable de contribuer à stabiliser les régions dans notre voisinage immédiat », a réagi mercredi sur Twitter l’eurodéputé libéral Guy Verhofstadt, ex-Premier ministre belge, évoquant « une victoire pour la Russie, l’Iran, la Turquie et, in fine, du régime syrien ».
 
Le gouvernement britannique a déclaré que, bien que la coalition mondiale contre l’État islamique ait progressé, « Nous ne devons pas perdre de vue la menace qu’ils représentent encore. Même sans territoire, le groupe « restera une menace ». L’Allemagne est sur la même longueur d’onde.
 
La France, elle, « reste militairement engagée en Syrie », a déclaré ce 20 décembre la ministre française des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, interrogée sur le retrait américain : « Pour le moment, nous restons en Syrie », a-t-elle affirmé sur la chaîne d’information en continu CNEWS. Mardi encore, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian soulignait que la reprise des derniers territoires contrôlés par l’EI en Syrie était l’absolue priorité mais qu’il fallait ensuite stabiliser les zones libérées.
 
Opération Chammal est le nom donné depuis le 20 septembre 2014 à la participation des forces armées françaises à la coalition contre l’État islamique, aux guerres d’Irak et de Syrie. Après avoir longtemps refusé de bombarder la Syrie pour ne pas aider Bachar el Assad, les premières frappes aériennes françaises en Syrie, le dimanche 27 septembre 2015, à la veille de l’ouverture de l’Assemblée générale de l’ONU, ont été effectuées afin que la voix de la France puisse se faire entendre concernant l’avenir de la Syrie. Commandée par le chef d’état-major des armées (CEMA) à partir du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), cette opération est réalisée sous le contrôle opérationnel du contre-amiral commandant la zone océan Indien (ALINDIEN). Fin 2018, la Task Force Wagram, dotée de trois canons automoteurs CAESAR participe aux combats à la frontière irako-syrienne contre les dernières poches de l’État islamique. Le 3 décembre, les forces françaises ont tiré des obus BONUS, quatre d’entre eux ayant détruit un convoi de huit véhicules de l’État Islamique.
 
Bref, on n’est pas sorti de l’auberge…
 
P.S.: information apparue ce vendredi 21 décembre, le général Mattis, secrétaire à la Défense, démissionne pour protester contre la décision inepte et extrêmement dangereuse prise par son patron de retirer les troupes américaines de Syrie et la moitié des forces U.S. déployées en Afghanistan. Il sera remplacé fin février 2019. Seul un fidèle incompétent et/ou dogmatiquement asservi à Trump pourrait endosser la charge dans une situation aussi chaotique et menaçante. Même les démocrates dénoncent le chaos et la crise de confiance que provoque cette démission au sein de l’armée américaine. Les Kurdes, eux, n’ont pas tardé à dénoncer la trahison de leur allié, une fois encore… 
La démission du général Mattis est suivie, ce vendredi 21 décembre également, par celle de l’émissaire des Etats-Unis pour la coalition internationale anti-djihadistes, Brett McGurk. Où s’arrêtera la série noire ? « Quand les dégoûtés seront partis, il ne restera plus que les dégoûtants », avait lancé Paul Vanden Boeynants, un ancien Premier ministre belge. Cruelle vérité !

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