Plus de vingt pays ont lancé hier matin une « coalition artillerie » pour fédérer et renforcer l’aide apportée à l’Ukraine dans un domaine capacitaire critique. Une initiative portée par les États-Unis et la France, qui a déjà promis de livrer 12 canons CAESAR supplémentaires aux forces armées ukrainiennes.
Du Canada à la Belgique et de la Turquie à la Finlande, 23 pays se sont réunis hier au Cercle national des Armées pour une réunion de lancement de la coalition artillerie, la cinquième du genre créée à ce jour par la soixantaine de nations du Groupe de contact pour la défense de l’Ukraine. Avec plusieurs dizaines de CAESAR déjà fournis et une solide expérience opérationnelle, la France s’est directement imposée comme cheffe de file conjointement avec les États-Unis.
D’une coalition à l’autre, les domaines capacitaires diffèrent mais l’objectif reste le même : définir et prioriser les besoins, agréger les réponses matérielles et financières et valider des engagements concrets. Et par là, soutenir l’armée ukrainienne d’aujourd’hui tout en préparant celle de demain pour garantir son interopérabilité au sein de l’OTAN. Quatre groupes de travail ont été mis sur pied. L’un sur les systèmes d’armes, les autres sur les munitions, la formation et les équipements d’ « environnement » comme les systèmes de commandement et de conduite des tirs.
« La réalité de cette guerre, c’est que la Russie a un avantage numérique conséquent en terme de quantité d’artillerie disponible. Ils tirent vingt fois plus d’obus que les forces ukrainiennes en plusieurs points du front. Le manque de munitions est un problème très réel auquel nos forces armées font face présentement. Nous devons trouver le moyen d’y faire face ensemble », rappelait hier le ministre de la Défense ukrainien, Roustem Oumerov, finalement resté en Ukraine pour des raisons de sécurité.
Tenter de réduire un rapport de force défavorable impliquera de changer de braquet. « Des capacités d’artillerie plus fortes sont un des besoins clés auxquels nous faisons face pour remporter cette guerre. Il est critique que nous investissions nos ressources dans la production de munitions d’artillerie supplémentaires », a-t-il ajouté.
Massification et endurance seront la clef, relevait hier le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, en préambule de cette conférence inaugurale. « Au fond, la force de notre soutien, c’est la capacité à être fiables dans la durée, (…) à tenir parole », indiquait celui qui invite à parfaire ce virage d’une logique de cessions sur base des stocks nationaux à une logique de production permettant « de directement connecter les industries de défense à l’armée ukrainienne ».
« Si il y a un segment sur lequel nous voulons nous investir, c’est l’artillerie », réaffirmait le ministre des Armées. La France a fourni 30 canons CAESAR à l’Ukraine depuis le début du conflit, complétés par les 19 pièces données par le Danemark. Cet investissement se complète depuis hier d’une première proposition adressée à la coalition artillerie : la capacité que détient Nexter de produire jusqu’à 78 CAESAR pour l’Ukraine en 2024. Trop peu pour gagner une guerre, bien entendu, mais ce volume dépasse à lui seul celui du parc actuel de l’armée de Terre, rappelle-t-on dans les rangs ministériels.
L’engagement annoncé n’est pas mince pour la moitié française du groupe KNDS, chargée de conduire la manoeuvre en parallèle à la livraison des 10 derniers CAESAR de remplacement pour l’armée de Terre, au lancement de la production des 52 CAESAR 8×8 destinés à la République tchèque et à la montée en puissance du CAESAR de nouvelle génération. Voici néanmoins un moment que l’industriel stocke des pièces et adapte son outil industriel pour accélérer le cycle de production. De plus de 30 mois avant que n’éclate le conflit russo-ukrainien, celui-ci est désormais tombé à 15 mois. Et la pleine mobilisation des équipes permettra de hausser les cadences pour parvenir à sortir jusqu’à huit canons par mois.
Des 78 pièces que Nexter sera en mesure de produire, six ont déjà été acquises sur fonds propres par l’Ukraine en décembre dernier. De quoi amorcer une dynamique poursuivie par la France, qui s’est engagée ce jeudi à financer l’acquisition de 12 pièces supplémentaires en y consacrant un quart des 200 M€ du fonds de soutien récemment réabondé.
Restent quelque 280 M€ à trouver pour financer les 60 autres CAESAR susceptibles de sortir de la ligne d’intégration de Roanne. Pour Paris, la balle est donc dans le camp d’alliés officiellement sollicités pour « partager cette facture » et « venir à la mesure, de leurs moyens, compléter ce plan de financement ». Un message destiné tout particulièrement aux capitales disposant de budgets mais dépourvues d’une BITD dans laquelle les investir.
Le ministre français l’assure, « ce qui est vrai dans un sens pour la France est vrai dans l’autre ». Dit autrement, la France se tiendrait prête à investir à son tour dans des capacités proposées par d’autres pays et que la filière nationale ne serait pas en mesure de produire aussi rapidement qu’attendu. Et Sébastien Lecornu de citer l’exemple des missiles de défense sol-air, des munitions complexes aux temps de production « suffisamment longs » et « sur lesquelles nous pouvons travailler tous ensembles ».
L’accélération va au-delà du seul canon. L’approvisionnement en munitions de 155 mm est à ce titre la thématique probablement la plus sensible car « les stocks de poudre sur l’ensemble de la planète sont largement sollicités ». De 1000 coups complets livrés tous les mois à l’Ukraine au début du conflit, la France est passée à 2000 en avril 2023 et atteindra les 3000 unités ce mois-ci. Une montée en cadence « lente peut-être, c’est une évidence, en regard de la pression opérationnelle sur le terrain mais qui va quand même dans le bon sens », concédait le ministre.
Tout comme il n’y aura pas d’avancée sur le terrain sans munitions en suffisance, « il n’y a pas de cession d’armements sans formation ». Plusieurs centaines d’artilleurs ukrainiens ont déjà été formés par l’armée de Terre tous niveaux de commandement confondus. Entre la mission Gerfaut en Pologne et le territoire national, cet effort inscrit dans le cadre de la mission européenne EUMAM Ukraine se poursuivra en 2024 avec l’objectif de former « entre 7000 et 9000 » militaires ukrainiens.
De même, il n’y a pas d’équipement sans le soutien associé pour compenser les casses, l’usure et les attaques russes. « Donner des canons était une chose, apporter le maintien en condition opérationnelle, l’entretien de ces canons était un autre défi », notait Sébastien Lecornu. Nexter a dans ce sens pu établir des partenariats pour amener le MCO au plus près de la ligne de front.
Deux années de combats ont généré une montagne de retours d’expérience sur lesquels capitaliser pour augmenter les performances et la survivabilité des systèmes livrés. « Nous allons passer un certain nombre de commandes, soit auprès de Nexter, soit auprès de PME françaises, de durcissement du CAESAR », annonçait le ministre des Armées. Des drones d’observation, par exemple, seront acquis pour permettre aux artilleurs de mieux détecter et mieux identifier les cibles potentielles. L’intégration de l’intelligence artificielle dans le système de conduite de tir du CAESAR, mentionnée récemment par la défense ukrainienne, sera rendue possible en mobilisant les savoir-faire d’Helsing, qui vient de lever 209 M€ et fournit des technologies à l’Ukraine depuis 2022.
« Maintenant, il faut arriver à démultiplier cela sur d’autres segments que l’artillerie », estimait Sébastien Lecornu. Les exemples des missiles SCALP supplémentaires et autres bombes guidées AASM en est un, celui des munitions téléopérées en est un autre, certes inscrit dans une temporalité différente. « J’ai demandé à ce que nous réfléchissions, avec la DGA [Direction générale de l’armement] et l’armée de Terre, sur, notamment les munitions téléopérées ». La filière française, que ce soit au travers du projet COLIBRI ou d’initiatives comme celle conduite par Thales, progresse à marche forcée pour rattraper le retard. De premiers résultats probants pourraient tomber avant 2025.
Aligner les besoins de l’armée de Terre et ceux des Ukrainiens permettrait peut-être de revoir le projet en matière de MTO « dans une autre envergure », soulignait prudemment le ministre des Armées. « Nous allons voir en fonction des résultats, dans les semaines qui vont venir. (…) L’Ukraine pourrait être aussi, évidemment, destinataire de ces munitions téléopérées si elles devaient fonctionner comme nous le souhaitons », précisait-il en rappelant que l’horizon dans ce segment se situe « bien avant » 2026.