Budget de la défense : Gare aux épouvantails !

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C’est un « ouf » général qui est partagé ce jour suite à la « sanctuarisation » annoncée par le Président de la République du budget de la Défense. C’est vrai, les pires scénarios envisagés par Bercy (courbes Y ou Z), qui ont largement filtré dans la presse ces dernières semaines ont été écartés. Le budget de la défense est maintenu. Une victoire pour le ministère de la Défense et une décision digne d’un vrai chef des armées. La place de la France dans l’ordre international est sauvegardée. La filière technologique et les emplois sont saufs. La capacité de la France à intervenir militairement pour protéger ses intérêts (et ceux d’une Europe politiquement et militairement inexistante) est maintenue !

 

Un budget historiquement bas

Oui, mais… C’est un fait, le budget de la Défense ces dernières décennies n’a cessé de baisser. Pour atteindre un niveau historiquement bas, aujourd’hui à 1,56% du PIB. La sonnette d’alarme a été tirée ces dernières années à maintes reprises et par divers acteurs (par ex rapport du Sénat sur «  un format juste insuffisant »). Depuis quelques années, le plafond d’une armée « a minima » a déjà été atteint. L’armée de terre en est la principale victime. Sans doute hautement technologique et bien entraînée (le Mali l’a démontré), mais tout de même « une armée de poche », dorénavant largement en dessous du seuil des 100 000 soldats. Heureusement, les conflits ces dernières décennies auxquels la France a fait face étaient d’intensité réduite. Rappelons le, et sans vouloir entacher les excellents résultats de l’outil militaire français, qu’il s’agisse de l’Afghanistan, de la Libye ou du Mali, sur aucun de ces théâtres, la France n’a eu à combattre une armée un tant soit peu moderne. Reste aujourd’hui à espérer que les futurs conflits ne le seront pas. Car le reste du monde, lui, se réarme.

 

Le volet équipement menacé

Le budget de la Défense est-il donc réellement sanctuarisé ? En théorie sans doute. En pratique, il y aura de nombreuses et grosses couleuvres à avaler. La première tient en une pratique qui a la dent dure : aucune Loi de Programmation Militaire n’a été respectée ! RGPP oblige, la défense a toujours été une variable d’ajustement. Pas de raison que cela cesse, Bercy y veillera !

Deuxième facteur, cette enveloppe constante de 31,4 milliards ne prend pas en compte le taux de l’inflation, au moins jusqu’en 2016. Un coup de griffe, loin d’être anodin.

Troisièmement, il va bien falloir avaler la « bosse budgétaire » qui n’a cessé de gonfler ces dernières années. Elle serait proche des 45 milliards d’euros. Reports de commandes, étalements de programmes, achats en urgence ces dernières années, cette bosse qu’il va falloir régler, va significativement grever les prochains budgets.

Autre facteur qui n’est pas pris en compte : les programmes d’armement coûtent toujours plus cher. C’est une constante bien connue, une formule savante a même été élaborée pour quantifier cet accroissement monétaire continu des programmes et qui intervient à tous les stades de la vie d’un programme (conception, développement, livraison, maintien en condition opérationnelle…). En cause : le prix des matières premières, les besoins opérationnels toujours plus exigeants, la gestion des obsolescences, le coût de la main d’œuvre, les étalements de livraisons, diminution de cibles et bien d’autres imprévus divers… Or, ces facteurs, s’ils sont bien connus, sont systématiquement sous-estimés. Par tous ! Les raisons sont diverses, mais globalement tiennent au fonctionnement intrinsèque du système d’acquisition français : code des marchés publics, comportement des industriels pour remporter un appel d’offre ou DGA pour rentrer dans une enveloppe budgétaire fixée et satisfaire les besoins des opérationnels (lire pour mieux comprendre cet effet, l’excellente note de l’IFRI : Focus 42 : « Toujours plus chers »). Ces facteurs font généralement l’objet d’une clause de révision contractuelle.

Ajoutez à cela qu’il y a des budgets incompressibles. Le plus important, le Commissariat de l’Énergie Atomique (CEA), avec 18% de l’enveloppe équipement 2012 de 11 milliards.

Et puis il y a les « gros » programmes déjà actés : A400M, Rafale ou FREMM, dont les pénalités en cas d’étalement ou de diminution de cible coûteront très cher si le gouvernement compte les renégocier. Ainsi, à enveloppe pourtant constante, le budget équipement va aboutir à devoir sabrer dans les programmes.

 

Le terrestre en danger

Or, tous ces grands programmes déjà lancés et qu’il va falloir financer concernent la Marine et l’armée de l’Air. Souffrant d’un programme d’ensemble Scorpion en attente de lancement, la principale victime sera, sans aucun doute, l’armée de Terre. Problème, ce programme d’ensemble Scorpion doit venir remplacer les matériels les plus importants (VAB, AMX10RC, Sagaie, revalorisation du Leclerc…). Et puis il y aura une autre victime : les programmes de cohérence. Pris en tenaille entre un budget rogné par l’inflation, le remboursement de la bosse et un surcoût des grands programmes, ces petits programmes pourtant essentiels à la cohérence opérationnelle et particulièrement importants pour les opérations, ne pourront plus êtres financés.

Sur le long terme, ne pas investir aujourd’hui dans les équipements terrestres de demain, c’est un réveil trop tardif assuré, aux conséquences désastreuses. Opérationnellement cela se traduira par ne plus disposer des matériels adéquats quand nécessaire. Car bons nombres d’équipements sont à bout de souffle. Il suffit de voir ceux engagés dans Serval : VAB, AMX10RC, Sagaie… En moyenne, plus de 30 ans d’âge. Ne pas lancer leur remplacement aujourd’hui aboutira à des achats en urgence, sur étagère. Donc arrêter d’irriguer une industrie terrestre de défense. C’est perdre l’avantage opérationnel, faire une croix sur des capacités, sur l’export et aussi sur des emplois. C’est tuer une filière pourtant prometteuse.

 

Effet de « Com » ?

Pourtant les réactions de ce jour sont élogieuses. Il faut dire que les scénarios présentés étaient catastrophiques. Depuis des semaines, les « fuites » dans la presse de scénarios apocalyptiques ont été extraordinairement nombreuses, argumentées et précises. A tel point que l’on peut se demander si menacer du pire, ne permet pas de faire passer le mal… Rayonnement de la France, protection de ses intérêts économiques, emplois hautement qualifiés, export à haute valeur ajoutée, un Président pouvait-il raisonnablement sabrer dans ces atouts ? Bref, un épouvantail n’aurait-il pas été agité pour cacher les mauvaises nouvelles ?

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Forte baisse du contrat opérationnel de l’armée de terre à prévoir | FOB - Forces Operations Blog 19 avril, 2013 - 9:08

[…] alors que les arbitrages de la LPM sont source de négociations très tendues entre les armées. Car si le budget de la défense a été sauvé, il demeure largement insuffisant pour sauvegarder le…. D’importantes coupes dans les effectifs sont donc à […]

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