Le geste est rare mais n’en a que plus de force : le gouvernement a publié une « synthèse de renseignement déclassifié » portant sur la question des armes chimiques en Syrie. Neuf pages seulement pour passer en revue trois volets : le programme chimique syrien, les cas d’emplois passés par le régime et l’attaque chimique conduite par le régime le 21 août 2013. Un sommaire qui désigne clairement le régime syrien comme l’auteur des attaques.
Le rapport commence avec un bref rappel : la Syrie détient à ce jour l’un des plus importants stocks opérationnel au monde d’armes chimique. « Plus de mille tonnes d’agents chimiques de guerre et de précurseurs » peut-on lire. Plusieurs centaines de tonnes d’ypérite, de sarin et plusieurs dizaines de tonnes de VX, le plus toxique des agents de guerre chimique connus. Les neurotoxiques sarin et VX sont stockés sous forme de deux produits « précurseurs » qui sont mélangés juste avant l’emploi pour gagner leur pouvoir létal. Le rapport affirme également que les scientifiques syriens ont travaillé sur d’autres composés.
Pour délivrer ces gaz, la Syrie dispose de missiles sol sol tactiques (SCUD B et C, M600 et SS21), mais aussi de bombes ou des roquettes d’artillerie. « Des activités observées depuis plusieurs années sur des sites d’essais syriens témoignent que de nouveaux modes de dispersion sont à l’étude » souligne ensuite le rapport. « Notamment, depuis le début du conflit, nos renseignements confirment une utilisation par le régime de munitions transportant de plus faibles volumes d’agents chimiques, adaptées à un usage tactique, plus ciblé et localisé ».
Le rapport se termine sur l’évocation des attaques chimiques perpétrées par le régime syrien contre sa propre population, en commençant par les bombardements du mois d’avril :
« Les services compétents français ont récupéré des échantillons biomédicaux (sang, urine), environnementaux (sol) et matériels (munitions), prélevés sur des victimes ou sur les sites des attaques de Saraqeb, le 29 avril 2013, et de Jobar, à la mi-avril 2013. Les analyses conduites ont confirmé l’emploi de sarin. (…) Le 29 avril, nous savons que le régime syrien a conduit une attaque contre la localité de Saraqeb, située à 30 km au Sud-Est d’Idleb. Un hélicoptère a survolé à haute altitude la ville et a largué sur les quartiers ouest de petites munitions diffusant une fumée blanche. Environ vingt personnes ont été intoxiquées et évacuées vers les hôpitaux, où des personnels médicaux ont été intoxiqués par transfert de contamination. Les analyses ont confirmé que l’agent employé avait été du sarin ».
Les trois dernières pages du rapport sont entièrement consacrées à l’attaque du 21 août dernier. Aucun doute à leur lecture : le document officiel pointe clairement du doigt la responsabilité du régime syrien dans l’attaque contre certains quartiers de la banlieue de Damas tenus par des unités de l’opposition. Il rappelle que cette attaque a associé moyens conventionnels et usage massif d’agents chimiques, dans le cadre d’une manœuvre purement militaire. En voici les passages les plus significatifs :
« L’attaque combinée du 21 août répond à un schéma tactique classique (préparation d’artillerie, puis offensive terrestre) et l’emploi d’agents chimiques s’est intégré dans une manoeuvre tactique cohérente, au plan militaire, avec la doctrine d’emploi des forces syriennes. Des renseignements crédibles de plusieurs partenaires font état de préparatifs spécifiques les jours précédents le 21 août. Des bombardements conventionnels aériens et à l’artillerie ont eu lieu entre trois heures et quatre heures du matin sur la Ghouta Est. En parallèle, les localités de Zamalka, Kafr Batna et Ayn Tarma ont été touchées par des attaques chimiques. A six heures du matin, une offensive terrestre du régime a été lancée sur ces localités.
Plusieurs sources font état d’utilisation de roquettes d’artillerie, différentes de celles du stock de munitions le plus connu (missiles et bombes). Nos analyses techniques confirment que les restes de roquettes observés à cette occasion, comme lors de certains précédents ponctuels, se prêtent à l’emploi d’agents chimiques. (…)
Le régime a ensuite conduit des frappes terrestres et aériennes importantes sur les zones des attaques. Il s’est attaché à retarder l’arrivée des inspecteurs pendant plusieurs jours. Ces éléments confirment une claire volonté de destruction des preuves a posteriori. De plus, des militaires ont déclenché des incendies, qui visaient vraisemblablement à purifier l’atmosphère grâce au mouvement d’air généré. Nos renseignements confirment que le régime redoutait une attaque d’ampleur de l’opposition sur Damas dans cette période. Notre évaluation est que le régime a cherché par cette attaque à desserrer l’étau et à sécuriser des sites stratégiques pour le contrôle de la capitale. A titre d’exemple, le quartier de Moadamiyé est localisé à proximité de l’aéroport militaire de Mezzeh, emprise des services de renseignement de l’Armée de l’Air.
Au demeurant, il est clair, à l’étude des points d’application de l’attaque, que nul autre que le régime ne pouvait s’en prendre ainsi à des positions stratégiques pour l’opposition. Nous estimons enfin que l’opposition syrienne n’a pas les capacités de conduire une opération d’une telle ampleur avec des agents chimiques. Aucun groupe appartenant à l’insurrection syrienne ne détient, à ce stade, la capacité de stocker et d’utiliser ces agents, a fortiori dans une proportion similaire à celle employée dans la nuit du 21 août 2013 à Damas. Ces groupes n’ont ni l’expérience ni le savoir-faire pour les mettre en oeuvre, en particulier par des vecteurs tels que ceux utilisés lors de l’attaque du 21 août.