Les dernières attaques recensées aux Émirats arabes unis l’ont encore rappelé : les États restent vulnérables face à l’usage croissant de drones malveillants. Spécialiste de la défense anti-aérienne, MBDA s’est attaqué depuis un moment au problème et est désormais capable de proposer son système Sky Warden, une réponse collective rassemblant capteurs et effecteurs autour d’un système de commandement et de contrôle commun.
Fruit de travaux entamés en 2010, Sky Warden découle d’une situation plusieurs fois vérifiée sur le terrain : les parapluies anti-aériens « traditionnels », Pantsir, Sky Guardian et autres Patriot, ont rapidement démontré leurs limites face aux drones. Ces dernières semaines encore, les Émirats arabes unis ont été la cible de plusieurs attaques revendiquées par le mouvement yéménite houthi, entraînant notamment l’activation d’un appui militaire français.
Aux avions et missiles vient s’ajouter une menace plus difficile à détecter de part sa taille, sa signature et sa vitesse réduites. Elle se situe désormais « à la frontière du militaire et du civil », la rendant difficile à caractériser. Elle est, finalement, protéiforme et nécessite une réponse multiple et graduée. « Les systèmes actuels peuvent couvrir le haut du spectre. Pour les petits drones, de classe I et II, il faudra réfléchir à une nouvelle réponse », estime MBDA. Pour ce dernier, cette nouvelle réponse repose sur Sky Warden.
Sky Warden découle d’un double constat. La lutte anti-drones, pour qu’elle soit la plus efficace, requiert un éventail de capteurs couplés à un éventail d’effecteurs. Aucune entreprise ne pouvant à elle seule concevoir toutes les briques nécessaires, la lutte anti-drones ne se conçoit qu’en coopération. Dévoilé en février 2021, Sky Warden traduit ces deux remarques en une solution modulaire et évolutive fédérant une dizaine d’acteurs européens, de grands groupes à des PME et start-ups « très agiles et évoluant avec la menace ». Seuls quelques noms sont connus « mais on en a d’autres », affirmait MBDA lors d’un récent point presse.
Pour MBDA, les drones sont une menace aérienne comme une autre, un maillon supplémentaire de la trame sol-air existante. « Finalement, il faut aussi détecter, identifier et neutraliser », commente le groupe, selon qui la défense antiaérienne doit se comprendre comme un continuum descendant cette fois dans le « très petit ».
Ce qui peut paraître simple à première vue aura en réalité exigé quatre à cinq années de travail. De fait, envisager la lutte anti-drones au travers d’un système complet n’est « pas un sport de masse ». D’autres s’y sont essayés avant MBDA, leur effort aboutissant le plus souvent à une solution limitée, que ce soit en termes de classes de drones ciblées, d’effecteurs et de capteurs ou encore de système de contrôle et de commandement (C2).
Chaque partenaire ne maîtrisant qu’une pièce du puzzle, MBDA s’est attaché à « fédérer toutes ces compétences autour d’une structure C2 pérenne dans le temps ». Sky Warden est basé sur un cœur commun composé du C2 « maison » Licorne et d’une architecture système ouverte. Licorne est « le logiciel qui va agréger toutes les données en provenance des capteurs, les enrichir d’un algorithme d’intelligence artificielle si besoin et ensuite les fusionner pour donner une situation tactique à l’opérateur et lui proposer la meilleure solution d’engagement », détaille MBDA.
Établir un C2 efficient, beaucoup essaient mais peu y parviennent selon MBDA. « Peu de sociétés parviennent réellement à générer une fusion de données enrichie avec un algorithme d’intelligence artificielle », note l’industriel. Lui estime y être arrivé tout en réduisant à deux le nombre minimum d’opérateurs requis : l’un pour le suivi et l’analyse de la situation tactique et l’autre pour la gestion des effecteurs.
Sky Warden doit pouvoir s’adapter au maximum de cas d’emplois, de la protection de sites sensibles sur le territoire national, de convois en mouvement à la protection de FOB, de forces au contact et de bâtiments de surface à quai et en haute mer. Modularité et « customisation » sont donc deux caractéristiques centrales.
La configuration de base repose systématiquement un même quatuor: au moins un radar, au moins un détecteur passif, au moins une caméra pour l’identification visuelle et au moins un effecteur. À l’utilisateur de retenir les briques susceptibles de constituer la combinaison la mieux adaptée au contexte, à l’environnement et aux objectifs de la mission. Protéger le stade de France, par exemple, exclura l’emploi de tout armement « cinétique » sous peine de menacer le public et les infrastructures.
La mobilité étant un autre critère majeur, une variante embarquée est également à l’étude. Celle-ci comprend sur trois véhicules légers, dont l’un recevant des équipements de communication supplémentaires en plus de capteurs et d’effecteurs communs. Entièrement containerisé, chaque module pourrait être débarqué de son porteur pour protéger une FOB ou une base aérienne durant plusieurs mois.
Radars : L’outil privilégié pour la surveillance reste le radar tactique (2-4 km max). « MBDA n’étant pas radariste, nous essayons plein de choses, ce qui nous a permis d’isoler un certain nombre de radars ». Le groupe travaille essentiellement sur base du radar 3D courte portée Giraffe 1X de Saab, déjà intégré sur véhicule pour un client export, ainsi qu’avec le radar AESA 4D MHR de l’israélien RADA.
Ces radars ne suffisent pas, la menace nécessite une architecture multi-capteurs dans laquelle chacun tente en permanence de compenser les limites de l’autre. Pour les radars, la principale difficulté consiste à devoir travailler de manière non traditionnelle, à partir de signatures radars très lentes et extrêmement réduites « de la classe d’un oiseau ». En se focalisant sur ces caractéristiques, « nous pouvons être confrontés à des fausses alarmes générées par des piétons, des voitures, des feuilles bougeant sur un arbre ».
Bien que plus volumineux, les drones tactiques, MAME et MALE apportent eux aussi leur lot d’inconvénients. Non seulement parce qu’ils ne volent pas très vite, mais aussi parce que beaucoup de radars rejettent automatiquement ce qu’ils considèrent comme une fausse piste. Le drone Qazef K2 utilisé pour frapper des infrastructures pétrolières saoudiennes, par exemple, est principalement constitué de fibre de verre. Sa signature considérablement réduite, il ne pourra être détecté que tardivement par les radars « classiques ». D’où un travail majeur de réorientation des radaristes, soutenus par la création de filtres intelligents dotés d’une couche d’intelligence artificielle.
Détecteur RF passif : MBDA s’est logiquement rapproché du français Cerbair, « pépite dans la lutte anti-drones » dans laquelle le missilier a choisi d’investir il y a quatre ans. Créée en 2015, cette PME fournit son détecteur radiofréquence passif Hydra 200. Doté d’un rayon d’action de 3 à 4 km, le système comprend plusieurs antennes pour capter les transmissions entre la télécommande et le drone et donner l’angle de provenance de l’émission. Le signal est ensuite comparé à la bibliothèque disponible pour sortir une identification précise. À ce titre, les industriels entendent bien surfer sur les réglementations française (Infodrones) et européenne (UAV Traffic Management System) en construction, qui obligeront bientôt les drones à transmettre un code d’identification similaire à un IFF. « Tous les drones autorisés transmettront ce code, ce qui va faciliter la reconnaissance des systèmes amis ou ennemis », explique MBDA.
IRST : Une fois détectée, l’éventuel drone malveillant pourra être caractérisé de visu par un système Infrared Search & Track. Fournie par HGH Infrared, cette caméra EO/IR téléopérée est chargée de l’identification visuelle à courte distance (1 km). Couplée au radar, elle peut s’orienter automatiquement vers la menace. Mais, gros hic, cette dernière est parfois minuscule et extrêmement difficile à identifier pour l’opérateur. MBDA planche donc sur un logiciel capable de proposer des solutions d’identification. Quand l’opérateur n’y verra qu’un « point noir volant », l’intelligence artificielle permettra d’affiner la lecture pour déterminer le type d’engin volant, sa classe et jusqu’à son modèle exact. « Le système va calculer différentes options et les proposer à l’opérateur pour atteindre le maximum d’efficacités. C’est pour cela qu’il faut un panel large d’effecteurs ». MBDA profite des résultats issus du projet DeepDectect, mené entre 2018 et 2020 en collaboration avec les laboratoires Lab-STICC, IRISA et AMURE. Soutenu par un financement ASTRID de la DGA, DeepDetect a misé sur l’IA pour différencier de très petits objets, de l’ordre de quelques pixels.