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Dans la gendarmerie nationale, l’innovation avec une touche de kaki

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Innovation participative, cybersécurité, combattant augmenté ou encore intelligence artificielle : autant de sujets connus et reconnus du côté des Armées. Bien que moins médiatisé, le constat est parfaitement valable pour la gendarmerie nationale. Mieux, les deux administrations convergent sur de nombreux points, notamment par l’entremise de l’armée de Terre.

« Cette gendarmerie qui anticipe, innove et investit les nouvelles frontières de la délinquance », c’est l’un des grands piliers du plan stratégique GEND 20.24 lancé en 2019 par le Directeur général de la gendarmerie nationale, le général Christian Rodriguez. « Les frontières de la délinquance bougent et s’étendent aujourd’hui bien au-delà des contentieux traditionnels, en particulier parce qu’elles sont repoussées par les évolutions technologiques », relevait-il lors fin janvier à l’Assemblée nationale, inaugurant un cycle d’auditions sur la « militarité » de la gendarmerie. 

« L’innovation est inhérente à l’identité du gendarme », pointait le contrôleur général des Armées (CGA) Christophe Jacquot, chef du service de la transformation de la gendarmerie, au cours d’une autre audition. Cette innovation en « bleu clair » s’appuie aussi sur les fondamentaux militaires des gendarmes, synonymes de nombreuses synergies avec leurs homologues du ministère des Armées. 

Des « bleus clairs » formés par les « kakis »

La gendarmerie nationale n’en détaille pas les retombées la concernant, mais l’hypothèse d’un engagement de haute intensité et le nouveau triptyque « compétition-contestation-affrontement » avancé par le chef-d’état-major des Armées, le général Burkhard, nourrissent bel et bien ses réflexions. 

Les gendarmes doivent « être capables de s’intégrer dans un environnement interarmées. On doit être capables d’être projetés six mois en Afghanistan ou en Côte d’Ivoire dans les mêmes conditions que nos camarades des Armées », rappelait le général de brigade Christophe Daniel, chargé de mission auprès du directeur des opérations et de l’emploi, également à l’occasion d’une audition parlementaire. Sur le terrain, il s’agira  d’« être aguerris, robustes et capables de mettre en oeuvre des schémas tactiques », ajoutait-il.

Cette montée en puissance du niveau tactique, c’est aussi l’un des retours d’expérience issus du drame de décembre 2020 à Saint-Just, lorsque trois gendarmes avaient été abattus par un forcené au cours d’une intervention. Depuis, et à la demande du DGGN, la gendarmerie « met en oeuvre la densification de ses capacités » en revenant « vers nos camarades de l’armée de Terre, et notamment en terme de formation ».

La « remilitarisation » de la formation se concentre principalement sur les unités de première intervention, les pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG). Ceux-ci seront progressivement professionnalisés et rééquipés. Les 3000 gendarmes adjoints volontaires des 395 PSIG de métropole et d’outre-mer seront progressivement remplacés par des sous-officiers de carrière, à raison de 1000 par an sur trois ans.

Pour se professionnaliser, les PSIG se sont naturellement tournés vers l’armée de Terre, une dynamique lancée par le général Burkhard, alors CEMAT, et reprise aujourd’hui par son successeur, le général Schill. Progression, observation, assimilation d’actes réflexes en cas de contact, etc. : l’enjeu est bien d’apprendre aux gendarmes à « manoeuvrer sous le feu » pour qu’ils « soient plus à même de se défendre et de neutraliser celui qui veut tuer quelqu’un ». 

PSIG et régiments multiplient depuis peu les stages partout en France. Au 3e régiment du génie, par exemple, chargé d’appuyer les pelotons du département des Ardennes. Un second rendez-vous s’est tenu le 27 janvier au régiment, celui-ci développant entre autres un atelier sur le franchissement vertical et une sensibilisation sur les pièges explosifs fréquemment rencontrés en zone urbaine au cours des OPEX. Hasard du calendrier, le 19e régiment du génie conduisait au même moment son exercice Verneau avec le concours d’un PSIG local. Début février, enfin, plusieurs pelotons recevaient une formation au combat de haute intensité dispensée par le 27e bataillon de chasseurs alpins d’Annecy (Haute-Savoie). 

« Nous sommes heureux de cette innovation », constatait le DGGN à l’automne dernier. Une innovation par ailleurs synonyme d’évolution des mentalités. « Il y a 20 ans, ils nous auraient dit ‘vous savez, on est plus bleus clairs que kaki », indique le DGGN. Le drame de Saint-Just aura contribué à clore le débat et à convaincre de l’intérêt « d’aller faire du combat avec des gens qui savent ce que c’est ».

« Nous avons commencé à mettre en place beaucoup de matériels, c’est une nécessité. (…) On en fera jamais trop pour sécuriser les interventions ». L’effort portera premièrement sur les systèmes de communications. « Deux postes radio pour un PSIG, ce n’est pas assez. Je pense que demain tout le monde aura son poste radio », souhaite le DGGN. Sur la protection et l’armement ensuite, traduits dès cette année en autant de lignes budgétaires. Le projet de loi de finances pour 2022 consacre ainsi 1 M€ pour l’acquisition de monoculaires et autant pour l’achat de casques balistiques supplémentaires. Le déploiement de nouveaux armements, dont des fusils d’assaut HK G36, profitera des crédits supplémentaires obtenus dans le cadre du Beauvau de la sécurité. 

Des gendarmes de PSIG en formation fin janvier au 3e régiment du génie de Charleville-Mézières (Crédit : 3e RG)

Gendarmes FELIN et AID

L’exemple du rééquipement des PSIG s’étend en réalité à toute la gendarmerie. Celle-ci vit « une phase rarement connue » de renouvellement de ses matériels collectifs et individuels, autre priorité de GEND 20.24. Le service « tire les conséquences de l’évolution du contexte d’intervention, à savoir une violence d’une intensité croissante » et va durcir la protection, alléger l’équipement et augmenter les capacités du gendarme.

Hormis une professionnalisation des simulateurs d’entraînement avec l’aide des militaires, « nous regardons également ce que les Armées font sur le soldat augmenté », précise le DGGN. À l’instar d’une partie des forces terrestres, les gendarmes profiteront d’efforts « portés sur la connectivité, les retransmissions rapides des données, l’utilisation des drones, des moyens satellites, la géolocalisation, la transmission des ordres », explique quant à lui le général Daniel. Et celui-ci de faire le parallèle avec le système FELIN (Fantassin à Équipements et Liaisons Intégrés) de l’armée de Terre, programme lancé il y a plus de 10 ans pour renouveler les équipements du combattant débarqué. 

La gendarmerie nationale se positionne dès à présent sur plusieurs briques qui, côté militaire, devraient découler du programme CENTURION piloté par la DGA, Thales et Safran au profit principalement des forces terrestres. Ainsi, « la visualisation des données pourra peut-être se faire sur des lunettes sur les casques », relève le général Daniel. Selon lui, les gendarmes « auront des exosquelettes pour diminuer le port des charges. À l’heure actuelle, un gendarme mobile engagé en maintien de l’ordre peut avoir plus de 20 kg de charge pendant plusieurs heures ». 

De nombreux projets sont en cours « dont certains sont communs aux Armées et à la gendarmerie, naturellement soutenus par l’AID [Agence de l’innovation de défense] ». Deux officiers du service de la transformation sont aujourd’hui détachés au sein de cette agence, « une belle invention de madame la ministre des Armées » pour le DGGN. Une intégration logique et grâce à laquelle la gendarmerie « s’abonne aujourd’hui à tout ce qui est un peu nouveau ». 

Le soutien de l’AID a déjà permis à quelques idées d’aboutir. Dans le domaine des drones, premièrement, avec le drone indoor de criminalistique HANGI récompensé en 2020 par un prix de l’Audace remis par la ministre des Armées. Dans la localisation ensuite, avec la balise SGATI, un traceur hybride, autonome et compact conçu « non pas sur une technologie GPS classique mais sur une autre technologie IoT [Internet des objets] ». Tous deux ont été présentés lors du dernier Forum Innovation Défense. 

Les gendarmes sont par ailleurs observateurs de la restitution des travaux menés par la Red Team, initiative appréciée du CGA Jacquot, ancien directeur de l’ECPAD. « J’ai proposé que nous soyons associés, et non plus observateurs, à cette élaboration de scénarios des menaces à venir ». Même son de cloche du côté du général Patrick Perrot, chargé de mission au service de la transformation. « L’intérêt d’employer des auteurs de science-fiction, c’est qu’ils vont proposer une démarche de rupture. Je crois que le 21e siècle, plus que les siècles précédents, sera un siècle de ruptures », souligne-t-il.

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