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"L’artillerie en combat urbain"

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Parlons encore combat urbain, mais cette fois, discutons artillerie. Le Colonel Olivier Fort, artilleur expérimenté*, propose sur l’excellent site penseemilitaire.fr une étude synthétisée de l’utilisation de l’artillerie dans un environnement urbain. Dans celle-ci, il insiste sur un besoin particulier, celui de la munition de précision. 
 

Récent tir de CAESAr dans le cadre de l'opération Chammal (Crédits : Ministère des Armées)

Récent tir de CAESAr dans le cadre de l’opération Chammal (Crédits : Ministère des Armées)


 
La pertinence des idées développées par le Colonel Fort vient d’abord du constat de départ qui pourrait être résumé comme ceci : les déluges de feu de l’artillerie moderne poussent à se retrancher dans les villes, mais pour débusquer l’ennemi retranché, la précision de l’artillerie sol-sol est la meilleure des armes. En fait, nous dit Fort, les munitions d’artillerie frappent toujours plus loin et plus fort, d’autres, même, comme les munitions surfaciques, interdites par la convention d’Oslo de 2008, ont encore une puissance supérieure (il prend l’exemple des 12 roquettes tirées par le BM-30 russe qui suffisent à raser une surface de 650 m par 650 m). Alors, face à une telle puissance de feu, la ville apporte une « protection immédiate contre l’observation et les coups, contrairement au terrain ouvert où les drones voient tout et où toute position doit faire l’objet de travaux d’aménagement et de camouflage. »
 
Logiquement alors, une armée attaquée cherche à rendre l’artillerie ennemie ineffective ou insuffisante en se réfugiant dans les villes. Sans même parler de boucliers humains, la ville permet de se protéger et de se dissimuler : cacher sa propre artillerie par des draps tendus entre les immeubles et faire se déplacer les hommes entre les immeubles (par des tunnels ou des trous) pour compliquer le travail de l’observateur ennemi. L’observateur est d’ailleurs devenu la cible prioritaire des snipers de Daesh selon Fort qui en conclut que seuls les drones peuvent fournir une observation dans la profondeur et une permanence de l’observation, « pour peu que l’absence de menace sol-air le permette. » L’utilisation des drones est donc primordiale pour l’artilleur moderne, mais, en ville, celle-ci doit être dense pour porter ses fruits : « La densité se justifie par la nécessité d’observer des secteurs très réduits comme parfois la façade d’un immeuble d’où partent régulièrement des tirs. »
 
Effectivement, l’une des missions premières de l’artilleur est de réduire au silence l’artillerie de l’ennemie dans le sens où celle-ci fonctionne en déni de zone et cause des dégâts dans les rangs. Comme nous l’avons dit, grâce à la ville, l’adversaire peut dissimuler ses propres moyens d’artillerie alors, contre cela, Fort soumet l’idée d’un retour de l’analyse opérationnelle dans l’artillerie, « une affaire de logiciel et d’effectifs » : celle-ci permet « d’affiner encore l’observation en la ciblant sur les lieux et horaires probables« . À Mossoul, explique-t-il, des cellules de renseignement d’artillerie mises en place par l’armée américaine pour prévoir les tirs de Daesh : elles « ont par exemple constaté que les tirs de mortiers étaient certes effectués de positions différentes à chaque fois, mais que les positions étaient très proches les unes des autres. Ils ont pu en déduire qu’un stock d’obus était disposé dans une position centrale et que les tubes de mortiers ne se trouvaient qu’à peu de distance. Ainsi, il a été possible de braquer un moyen de renseignement pour surveiller le secteur et être prêt à tirer le plus rapidement possible aux heures les plus probables. »
 
Venons-en maintenant au point central du sujet : la frappe. Pour Fort, au sein de la coalition, les artilleurs français ont été pénalisés car ils ne disposaient pas de munitions guidées et que seules celles-ci ont été utilisées dans le combat urbain contre Daesh à Mossoul. Plus que pour réduire les dommages collatéraux, la munition guidée était préférée aux traditionnelles car elle offrait plus de chances de détruire l’ennemi : Fort parle d’une courte fenêtre d’opportunité lorsque le mortier de l’EI tir depuis une embrasure où, de fait, avec la durée de trajectoire réduite de l’obus guidé et le phénomène de dispersion normalement absent avec les munitions de précision, l’artilleur peut faire un coup au but avant que l’ennemi ne se soit déplacé. Si l’on utilisait une munition non-guidée, rien qu’un phénomène de dispersion de dix mètres explique Fort, reviendrait à rater l’objectif et à attendre une nouvelle opportunité. Bref, le message du Colonel est on ne peut plus clair : « Les munitions guidées de 155mm sont indispensables pour l’artillerie française et il est urgent d’en acquérir. »
 
Si l’artillerie française a eu son rôle dans toutes les opérations où elle fut engagée au cours de Chammal, ses tirs en environnement urbain se sont limités aux tirs de semonce pour provoquer l’artillerie de l’EI (qui était alors repérée puis frappée par les obus américains) en agglomération, ce dont l’armée française ne pourrait pas se permettre si elle devait un jour, seule, prendre une ville à l’ennemie. Même si la France s’affranchissait de toutes règles d’engagement et décidait de raser des immeubles sans se soucier des civils et des stocks de munitions, il resterait le problème des hommes au contact. Pour rappel, et nous en avons déjà discuté sur le FOB, les CAESAr français ont longuement appuyé l’infanterie irakienne lors des offensives contre l’EI, somme toute avec de bon résultats malgré des systèmes de communication différents entre les forces et l’absence de Blue Force Tracking chez les Irakiens, obligeant les artilleurs à tirer au-delà des lignes de coordination. Mais, à l’avenir, si des fantassins français étaient au contact de l’ennemi jusque dans les rues d’une ville, les munitions guidées seront tout bonnement indispensables. Pour effectuer des tirs de voisinage, le phénomène de dispersion des obus ne sera pas acceptable pour appuyer l’infanterie. Surtout que, d’après Fort, dans un contexte compartimenté, dans de nombreuses situations, certaines armes d’appui direct comme le MMP ne pourront pas être utilisées, appelant l’appui indirect de l’artillerie à jouer un rôle prépondérant. Pour Fort, il est clairement impensable qu’un obus explose dans une rue alors que l’objectif se trouve un toit et inversement, de même que la présence probable de civils demandera plus de précaution pour les artilleurs, et donc de précision.
 
C’est pour cette raison que Nexter Munitions développe aujourd’hui sa munition KATANA (ici et ici) pour répondre aux besoins de l’artillerie française. Bien que le Colonel n’aborde pas les récents développements français, ceux-ci sont absolument nécessaires pour remporter la bataille en milieu urbain. À la fin de son développement, il contre-balance quelque peu son propos sur le rôle joué par l’obus guidé lors de la bataille de Mossoul et appelle à bien analyser le RETEX de Mossoul. Pour résumer ses derniers points, il faut comprendre, premièrement, que la lutte contre l’EI n’est pas une guerre contre un ennemi disposant et de moyens d’artillerie conséquents (agissant en contre-batterie), et d’une solide défense sol-air (empêchant l’appui aérien).
 
Deuxièmement, bien que l’obus de précision soit une arme d’avenir, apportant un gain d’efficacité avec une réduction des dommages collatéraux, il ne faudra pas se reposer uniquement sur ses atouts : il y aura la question du coût d’une telle munition et de la réduction rapide des stocks, ce qui a été rapidement vu pour les artilleurs américains; également, il ne faut pas croire qu’une précision accrue suffira à sauvegarder les villes, à Mossoul, les combattants de l’EI transformant systématiquement un immeuble en fortin, la destruction systématique de celui-ci entraine logiquement des dégâts considérables pour les infrastructures urbaines; enfin, l’action de l’artillerie irakienne a elle aussi été considérable alors qu’elle n’était pas en mesure de suivre les mêmes règles d’engagement que la coalition.
 
Enfin, lorsque Fort compare les avantages et inconvénients du support aérien et de l’artillerie en milieu urbain, il conclue que certaines missions aériennes pourraient être remplies par l’artillerie si celle-ci disposait de roquettes guidées à fort pouvoir de destruction. Dans le cadre de la « cratérisation » d’une zone par exemple, effectuée par l’aviation, exposant les pilotes, surtout face à un ennemi conventionnel, des roquettes « d’une portée d’environ 50 kilomètres et contenant environ 250 kg d’explosifs » pourraient remplir le rôle des bombes aériennes. En l’absence de telles roquettes pour les forces terrestres, insiste le Colonel Fort, « les forces occidentales seraient impuissantes à conquérir une ville de même taille face à un ennemi disposant de puissants moyens sol-air. Le seul recours serait alors une consommation considérable en munitions de calibre inférieur ainsi qu’un engagement massif de troupes de mêlée, avec les conséquences prévisibles en pertes humaines. »
 
Si l’artillerie est bien de retour sur le champ de bataille, il ne reste plus qu’aux munitions de terminer leur (r)évolution technologique, les batailles urbaines appelées à se multiplier, la précision sera la clé de la victoire.
 

* « Officier d’artillerie, le Colonel Olivier FORT a servi dans trois spécialités de l’artillerie sol-sol aux 12e RA, 93e RAM et 35e RAP. Il a été affecté à deux reprises dans l’armée de terre britannique, à l’École d’artillerie puis à l’Army HQ. Il a également effectué deux séjours à la DEP artillerie qu’il commande depuis 2016. Il a servi au CDEF où il a rédigé le RETEX des opérations en Afghanistan. Il a participé à des opérations extérieures au Kosovo, en Bosnie et en Afghanistan. Il est l’auteur d’un livre, «L’artillerie des stratagèmes», paru en 2016, qui met en valeur des tactiques de déception des appuis de l’artillerie et des forces aériennes. »
 
 
 
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