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L’Allemagne, cet allié à qui il ne faut « tordre le bras »

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Les derniers préparatifs vont bon train au sein de la Brigade franco-allemande (BFA) en vue de son déploiement prochain dans la bande sahélo-saharienne. Régulièrement pointés du doigt pour leur doctrine d’engagement peu offensive en OPEX, les militaires allemands de la BFA n’en restent pas moins des alliés précieux à qui il ne faut pas « tordre le bras », déclarait le CEMA, le général François Lecointre, le 17 juillet devant la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale.
 

(Crédits photo: Profimedia, Alamy)

(Crédits photo: Profimedia, Alamy)


 
La manœuvre n’est, en soi, pas nouvelle, des éléments de la BFA ayant déjà été déployés notamment au sein de l’EUTM-Mali en 2014 et 2016. La nouveauté tient non seulement à l’ampleur du dispositif mais également aux postures opérationnelles radicalement différentes adoptées par les deux contingents. De fait, quand 800 soldats allemands vont rejoindre les missions EUTM Mali et MINUSMA, les 800 militaires français seront, quant à eux, intégrés au dispositif Barkhane. Un non-sens, d’après le général Lecointre, selon qui il serait « pragmatique d’engager cette formation sur un théâtre d’opérations en tant que telle, dans toute sa cohérence organique, et d’employer au mieux chacune de ses composantes ». Un tableau idéal, malheureusement rattrapé par les réalités opérationnelles, sociales et législatives.
 
« Les armées française et allemande n’ont objectivement ni les mêmes capacités opérationnelles, ni le même esprit de combat », explique le général Lecointre. Outre les « soucis matériels » – bien connus – des Allemands, ceux-ci sont également soumis à des procédures constitutionnelles d’engagement des forces différentes de celles appliquées par la France. De fait, parce que l’opinion publique reste majoritairement allergique à toute stratégie basée sur la force et que le passé borne toujours les marges de manœuvre en terme d’engagement militaire, l’attitude de l’Allemagne reste imprégnée par la « culture de la retenue ». Une posture radicalement différente de celle constatée en France, où l’opinion publique continue de soutenir massivement l’action des soldats français en OPEX, avec tous les sacrifices que cela implique. Selon le général Lecointre, le peuple français « dispose d’une capacité proprement singulière à encaisser les blessures ou la mort de ses enfants dans les combats qu’ils mènent en opérations extérieures pour défendre nos intérêts et notre pays ».
 
Mais d’autres fractures dans le couple franco-allemand ont trait aux règles spécifiques qui régissent la vie des deux armées : « les règles européennes sur le temps de travail sont appliquées aux militaires allemands mais pas aux militaires français », explique le général Lecointre. En effet, la fameuse directive européenne 2003/88/CE, entrée en vigueur en 2016 en Allemagne, fixe notamment à quarante-huit heures la durée maximale du travail hebdomadaire et à huit heures celle du travail de nuit. Cette mesure « pourrait avoir eu des effets négatifs sur la disponibilité des militaires allemands », s’inquiétaient les sénateurs Joël Guerriau (Les Indépendants) et Gilbert Roger (PS) en novembre dernier dans un rapport sur la PLF 2018. De son côté, Paris continue à jouer la montre en retardant au maximum la transposition du texte, en attendant qu’une « solution réaliste et ne mettant pas en cause les fondements de la fonction militaire » survienne, ajoutaient les deux sénateurs.
 
Face à ces clivages, reste la réalité du terrain, tempère le général Lecointre. Qu’il s’agisse de missions d’entraînement, de maintien de la paix ou de combat, « la contingence des circonstances peut pousser nos partenaires à s’engager davantage, par nécessité : même si on refuse par principe les missions de combat, on peut dans certaines circonstances ne pas avoir le choix », précise-t-il. C’est notamment le cas de la MINUSMA car « si les casques bleus nous paraissent avoir une posture peu offensive, ils subissent en réalité de dures attaques et leurs pertes sont lourdes », déplore Lecointre. Rappelons, par exemple, le décès d’un équipage de Tigre allemand suite à l’accident de leur hélicoptère lors d’une mission de reconnaissance en juillet 2017.
 
Patience donc…, tempère un général Lecointre, selon qui il est primordial de ne pas manifester « de mauvaises manières à nos partenaires ; entraînons-les avec nous, et espérons qu’ils évoluent peu à peu, au fur et à mesure des engagements conjoints ». In fine, pareil déploiement, même en vases plus ou moins clos, finissent par créer « les conditions d’un processus d’aguerrissement commun qui ne peut être que positif », ajoute le général Lecointre. Il serait contre-productif de chercher à forcer la main des Allemands en demandant d’eux des engagements dont ils ne sont aujourd’hui pas capables. Plus de trente ans après sa création, la BFA doit encore atteindre sa vitesse de croisière, un second souffle qui doit nécessairement passer par un changement de posture de la part de Berlin.
 
Hasard ou non des calendriers, la publication de l’audition du général Lecointre coïncide précisément avec celle d’un important document de planification détaillant l’avenir de la Bundeswehr d’ici 2032. Pas d’évolutions législatives ni de programmes d’armement majeurs mais plutôt la modélisation d’un « profil » appelé à restructurer en profondeur le portfolio capacitaire d’une Bundeswehr qui exclut de rester sur la touche. Au menu : peu d’informations mais déjà trois jalons intermédiaires : 2023, 2027 et 2031. Seul le premier de ces jalons semble, pour l’heure, précisé : il s’agit ni plus ni moins de la participation de l’Allemagne à la Force de réaction rapide de l’OTAN (VJTF), à laquelle la Bundeswehr fournira non seulement une brigade mais également des éléments aériens et navals. Quant au contenu des étapes futures, le ministère se contente d’expliquer qu’« elles seront spécifiées dans le cadre de mises à jour annuelles ». Un flou volontaire grâce auquel, espère-t-on, l’Allemagne pourra évoluer vers une conception davantage « française» des OPEX.

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