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FOB Interview : général Ract Madoux, chef d’état-major de l’armée de Terre (2ème partie)

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10 ans d’Afghanistan auront profondément marqué une génération de soldats. Faut-il aujourd’hui « désafghaniser » l’armée de terre ?

Vous avez raison, ce théâtre d’opérations a durablement marqué notre armée de terre, qui en ressort beaucoup plus professionnelle, expérimentée et aguerrie. Avec, dans beaucoup de domaines, l’acquisition de reflexes et de savoir-faire extrêmement précieux. En revanche, ce théâtre, très particulier et très exigeant, présente un adversaire avec des modes d’actions qui lui sont propres. Ces caractéristiques ne seront certainement pas les mêmes sur tous les futurs théâtres d’engagement. Et c’est le sens de tout le travail que j’ai lancé depuis un an déjà : mettre l’armée de terre en ordre de bataille, tirer tout ce qu’il y a de bons et de pérennes de cet engagement et en revanche, dans d’autres domaines, d’en revenir aux fondamentaux, afin de se préparer à des engagements futurs qui pourraient êtres totalement différents.

 

Il restera donc des acquis de l’opération afghane ?

Hormis l’expérience opérationnelle, un acquis important restera : le formidable travail de  préparation opérationnelle, notamment grâce à l’action de mes prédécesseurs, qui ont su préparer les unités à un engagement extrêmement exigeant avec des mandats de 6 mois, précédés de 6 mois de préparation intense. Les équipements les plus modernes y ont été déployés et ont été  en permanence revalorisés et adaptés aux spécificités du théâtre. En trois ans, 300 millions d’euros ont ainsi été engagés pour améliorer la protection de nos hommes, les capacités de détection des menaces et de réaction. Tout cela constitue un acquis très précieux.

L’Afghanistan a aussi permis de roder les mécanismes. Pensez à l’apport de l’aéromobilité : les hélicoptères de combat et de manœuvre y ont démontré tout leur apport en combinaison des autres armes.

 

L’armée a été fortement sollicitée ces dernières années, ne risque t-elle pas, dans les prochains mois, de se retrouver un peu désoeuvrée ?

C’est vrai qu’il y a eu désengagement d’un certain nombre de théâtres, d’Afghanistan, de Libye, de Côte d’Ivoire ou du Liban. C’est avant tout le résultat de l’excellent travail réalisé par les soldats. Ensuite je vous rappelle que l’armée de terre en 2009 était en surchauffe opérationnelle, alors que nous avions des effectifs supérieurs à ceux que nous avons aujourd’hui. Mais il faudrait peu de temps avant que nous soyons à nouveau pleinement sollicités. À moins de 5000 km de notre territoire, des foyers de crises sont susceptibles de justifier assez rapidement une participation de l’armée française si les autorités politiques le décidaient et si la communauté internationale le demandait. Nous nous préparons aujourd’hui à remplir des missions qui pourraient nous êtres confiées dans le futur. C’est l’effort que l’armée de terre va faire dans les mois qui viennent, un effort de travail, d’instruction et d’entraînement tactique, conduit à tous les échelons, dans les hauts échelons de commandement mais aussi aux échelons de contact, c’est-à-dire au niveau compagnie, escadron, batterie. Un vrai travail de fond de préparation opérationnelle.

 

De futurs théâtres… Vous pensez au Mali ?

Pas seulement ! Mais pour le Mali, selon les engagements qui seront pris, nous serions prêts à jouer notre rôle en matière de soutien. On est dans la gamme de nos savoir-faire, qui sont d’ailleurs réputés. Et nous avons une longue expérience de l’amitié et de la coopération avec les armées de l’Afrique de l’Ouest.

 

Livre Blanc, loi de programmation militaire, la période est à l’attente. Tout comme le budget, cela vous inquiète ?

Ce budget d’attente est une préoccupation. Car attente signifie report, et ce, de manière assez significative. L’armée de terre est touchée par ces reports. Certains programmes sont vitaux pour notre modernisation, en particulier pour le renouvellement de matériels de base, comme le VAB, l’AMX10RC, la Sagaie, vieux de 30 ans. Il faudra absolument les renouveler. C’est l’objectif du programme Scorpion, un programme moderne et économique grâce auquel on cherche à tirer tous les avantages en termes de ratio qualité / coût.

Mais pour que ce programme porte ses fruits, c’est-à-dire qu’il soit à l’avenir soutenable financièrement et que l’entretien des matériels affiche un coût limité, il faut absolument arriver à une grande standardisation et donc conserver ce programme dans sa globalité ; afin qu’un nombre significatif de matériels et d’équipements permettent des effets d’échelle et donc une baisse des coûts.

Les études et travaux préparatoires doivent être lancés le plus rapidement possible. Et même si, comme toujours, on arrive à gérer les petits retards initiaux, il faut débuter les études dès l’année prochaine. L’important, surtout : ne pas tuer l’idée de ce programme pour cause d’économies et de restrictions budgétaires.

 

À plusieurs occasions, vous vous êtes inquiété du budget dédié à la préparation opérationnelle. Cette dernière est-elle satisfaisante aujourd’hui ?

L’armée de terre et le ministre de la Défense lui-même ont veillé à ne pas descendre trop bas le niveau d’activité opérationnelle. Au sein du budget de l’armée de terre, nous avons ainsi réalisé un transfert pour maintenir un niveau d’activité de 105 jours par an, alors que la réduction budgétaire aurait pu le ramener aux alentours de 80 à 85 jours. Il s’agit d’un transfert, sur une enveloppe constante, donc au détriment d’autres fonctions. Mais je maintiendrai cet effort pour garantir à nos unités un taux de préparation satisfaisant alors même que nous sommes moins engagés en opérations.

 

Au détriment de quelles autres fonctions ?

Sans rentrer dans les détails, cela touche un certain nombre d’équipements, de mesures d’environnement. Cela ne peut pas durer longtemps, car ce n’est pas satisfaisant sur le fond, mais il s’agit de mesures palliatives. L’engagement extérieur baisse, il faut donc évidemment faire un effort budgétaire supérieur en faveur de l’activité de préparation opérationnelle.

 

La coopération avec certaines armées européennes semble s’accélérer dernièrement. Est-ce une réalité ?

Le Traité de Lancaster a lancé un processus de coopération avec l’armée britannique, notamment au niveau opérationnel. Nous travaillons ensemble sur l’interopérabilité pour être capable de s’engager ensemble dans les années à venir. Il y a aussi une coopération naissante dans le domaine des équipements avec le drone tactique Watchkeeper, qui correspond bien aux besoins des deux armées, ainsi qu’une coopération sur un nouveau canon, le 40 mm, qui aura sa place dans le programme de blindés moyens.

Avec les Allemands, de beaux projets sont lancés, dans le domaine de la formation, notamment attachée à des équipements communs ou des formations voisines. Sans oublier l’Italie, avec qui il existe un projet d’état-major de brigade commun.

Clairement nous recherchons toutes les voies de coopérations possibles avec nos amis européens. Parce qu’à chaque fois que c’est possible, cela génère une meilleure connaissance mutuelle, des économies éventuelles, et surtout cela améliore notre interopérabilité. Cela fait d’ailleurs 20 ans que les armées européennes combattent côte à côte.

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