Dernière ligne droite pour les forces françaises et alliées engagées depuis plusieurs mois dans l’exercice ORION. Dans une semaine, elles entreront dans la phase la plus dure de l’opération, celle d’un affrontement de haute intensité face à un adversaire à parité.
Après la planification d’ORION 1, l’entrée en premier d’ORION 2 et la gestion de crise d’ORION 3, place à la « grosse bagarre » d’ORION 4. Aboutissement d’une réflexion lancée en 2021 par le chef d’état-major des Armées, le général Thierry Burkhard, ORION 4 verra 12 000 militaires français et alliés se mesurer à l’adversaire – fictif – Mercure et à sa milice – toute aussi fictive – Tantale. Après avoir pris pied dans l’État allié agressé Arnland – lui aussi fictif -, la coalition dirigée par la France s’apprête à lancer une vaste opération sous mandat OTAN. Principaux enjeux de ce scénario inspiré de l’exercice Skolkan de l’OTAN : contenir, fixer et bouter hors du territoire arnlandais les forces conventionnelles mercuriennes.
ORION 4 correspond bien à « la phase ultime » du triptyque ‘compétition-contestation-affrontement’ » développé dans l’Actualisation stratégique de 2021. « Nous avons tous compris que les actions décomplexées d’acteurs régionaux, l’imprévisibilité de la situation internationale, la complexité de la guerre de haute intensité rendaient nécessaires ce durcissement des conditions d’entraînement », nous explique le général de corps d’armée Emmanuel Gaulin, commandant le Corps de réaction rapide-France (CRR-Fr) depuis septembre 2022.
« Face à moi, j’aurai le 4e corps d’armée mercurien soutenu par une force aérienne conséquente et capable d’agir dans tous les milieux et tous les champs », souligne le commandant du CRR-Fr. Chef d’orchestre de l’opération, celui-ci aura une double mission. « D’une part, je serai le chef de la force aéroterrestre qui va mener une opération d’envergure au travers d’un affrontement tactique dans tous les milieux et tous les champs. Et d’autre part, je serai le contrôleur de l’exercice, qui a pour but d’animer et de coordonner la volonté des forces rouges et des forces bleues ». Deux états-majors armés par le CRR-Fr et colocalisés à Mailly-le-Camp se partageront ces tâches. Celui dévolu à la coordination (EXCON) sera commandé par un général allemand.
Le plan allié prévoit cinq phases principales. Une fois son déploiement dans l’Arnland achevé, la force alliée entrera au contact de la 42e division mercurienne. Il s’agira dans un premier temps de gagner la supériorité aérienne, au moins au niveau local via « un gros effort sur les missions air-air ». Les frappes dans la profondeur participeront en parallèle à « façonner l’adversaire ». « Nous chercherons à détruire certains de ses centres de gravité, notamment ses éléments de défense aérienne », précise le général Gaulin. Suivra une action de freinage d’un ennemi détenant encore l’initiative au sol et près du sol. Bloqué par « une ligne de défense solide » installée sur l’Aisne, Merucre sera ensuite contraint de livrer des « batailles dures » à Mailly, Mourmelon et Suippes. Ce point d’arrêt ferme préparera les conditions pour l’avant-dernière phase, celle de la reprise de l’initiative.
« Après des combats qui seront certainement très durs, une manoeuvre aérienne agressive va me permettre de reprendre cette supériorité locale incontestée et de projeter mes forces dans la profondeur ». Dans la zone de Mourmelon, une opération aéroportée sera conduite pour créer le chaos sur les arrières de l’ennemi. La pointe d’effort fournie par la 2e brigade blindée « permettra la déstructuration de l’adversaire pour réaliser cette contre-attaque après un franchissement offensif de l’Aisne ». Enfin, restera à sécuriser le territoire conquis et à « bouter hors de Arnland cet ennemi mercurien ». Voilà pour les grandes lignes. Potentielle action de « déception » l’égard de la force adverse oblige, l’essentiel de l’intention restera caché.
« Nous n’avions plus réalisé, au cours des 30 dernières années, d’exercice de ce type avec cette ampleur », indique le général Gaulin. De fait, ORION 4 sera d’une toute autre envergure qu’ORION 2. Quand cette phase engageait au maximum 7000 militaires dans un espace terrestre pus réduit, ils seront 12 000 pour ORION 4, dont 9000 combattants déployés sur le terrain. Ce sont également 2600 véhicules dont 400 de combat, une quarantaine d’hélicoptères, une cinquantaine d’avions et une centaine de drones mobilisés. La grande majorité de l’effort sera confiée aux brigades de la 3e division. Certaines, comme la 6e brigade légère blindée, ont été globalement régénérées à l’issue des combats menés durant ORION 2.
Exercice « novateur dans certains domaines », ORION 4 comportera son lot de défis. Ce rendez-vous se démarque tout d’abord par un cadre espace-temps « extrêmement réaliste » dans lequel les forces combattront « en heures quasi réelles » durant 19 jours et 19 nuits. Le « jeu » sera conduit sur une zone aéroterrestre de 400 x 250 km à cheval sur six départements et étendue de Besançon à Amiens. Un front dont la profondeur « permettra de travailler toute la réalité des élongations, du mouvement, du franchissement, du soutien, chose qui est peu réalisée en entraînement ». Bien entendu, tout ne sera pas joué dans les grands camps de Champagne. ORION est le produit d’actions menées en camp et en terrain libre, mais aussi via des outils de simulation et des exercices « carré vert ».
L’autre nouveauté amenée à un niveau rarement rencontré, c’est une force adverse (FORAD) de niveau divisionnaire totalement autonome. Sur le terrain, cette division partiellement simulée opposera un plastron de 1600 combattants et 150 véhicules de combat français et allemands aux éléments alliés. Cet adversaire « aura toute latitude pour réaliser ses intentions et lutter contre mes intentions. Nous serons dans une dialectique des volontés telle qu’on la connait dans les différents combats que l’on peut être amené à conduire », souligne le commandant du CRR-Fr.
Autre aspect majeur dont l’importance est remise en lumière dans le conflit russo-ukrainien : le soutien. « Ce qui est compliqué pour un chef militaire, c’est de durer », rappelle le général Gaulin. Pour durer, il faut disposer d’un soutien robuste et résilient. Lors d’ORION 4, cette mission sera confiée aux 1900 personnels d’un groupement de soutien divisionnaire installé dans la région de Vouziers (Ardennes). Deux antennes chirurgicales ainsi qu’ « une multitude de postes de santé de campagne » et des moyens d’évacuation au plus près des forces armeront la chaîne de santé mise en place par le Service de santé des armées.
Bien qu’il soit impossible de déterminer un quelconque taux d’attrition, pertes et blessés seront déterminées sur le terrain par un système de simulation vivante déployé tant du côté bleu que du côté rouge. Les unités de contact sauront donc quand elles sont touchées ou mises hors de combat. La simulation comprend quant à elle des taux « liés à toutes les connaissances historiques et tout à fait réalistes ». La chaîne de soutien agira en conséquence, avec des points de tension d’ores et déjà prévus. « Vous aurez en particulier des incidents lors desquels nous aurons ponctuellement des pertes plus importantes », annonce le chef du CRR-Fr.
Exercice interarmes, interarmées et interalliés, ORION cherchait à générer des effets dans tous les domaines et tous les champs. ORION n’y coupera pas, mettant à nouveau à profit toutes les capacités et savoir-faire disponibles. Une FREMM de la Marine nationale opérera en appui depuis les côtes bretonnes, notamment grâce à ses missiles de croisière navals (MdCN). Dirigée depuis Mont-de-Marsan, la composante aérienne comprendra une quinzaine d’avions alliés, grecs, allemands et espagnols. L’ensemble permettra de générer de l’ordre de 50 sorties aériennes en moyenne par jour et nuit pour reprendre et conserver la supériorité aérienne. Soit environ 750 sorties sur la durée de l’exercice dans trois zones d’action du nord-est, du centre et du sud-ouest.
Mais l’essentiel se jouera au sol et, là aussi, les alliés ont répondu présent. L’armée américaine armera le poste de commandement de sa 34e division d’infanterie et fournira des unités de renseignements et de feux dans la profondeur. Les Britanniques armeront un PC de brigade (12th Armoured Brigade Combat Team) et déploieront un régiment. Les Belges, partenaires de premier plan grâce au programme CaMo, enverront l’équivalent d’un GTIA constitué de chasseurs ardennais, eux-mêmes appuyés par des éléments du bataillon Carabiniers prince Baudoin – Grenadiers. Soit un volume rarement engagé par la Composante Terre belge dans le cadre d’un exercice multinational. Régulièrement impliqués dans l’exercice d’aérocombat Baccarat, les Espagnols complèteront le dispositif par l’apport d’hélicoptères. L’Allemagne jouera en partie dans les rangs de la force adverse avec des unités issues de la brigade franco-allemande. Et ce panachage de nationalités sera visible aux plus hauts niveaux de commandement. Exemple parmi d’autres, le PC du CRR-Fr est composé à 20% d’officiers en provenance de 14 nations alliées, dont une douzaine de Belges.
« ORION est un exercice qui nous permet aussi de comprendre quelles seraient nos difficultés. Nous avons tous compris que l’on était en train de changer d’époque », indique le général Gaulin. L’opération met indirectement le doigt sur quelques trous capacitaires et les nécessaires transformations annoncées par la prochaine loi de programmation militaire 2024-2030. Les feux dans la profondeur, par exemple, ne seront pas fournis par un parc trop réduit de LRU français mais par des moyens américains. Une leçon parmi d’autres à retenir « dans le cadre de cette montée en puissance vers 2030 ». « Au contact, j’ai des besoins de saturation dans des profondeurs où, aujourd’hui, je suis un peu fragile. Tout cela est pris en compte dans la loi de programmation ».
ORION 4 se démarquera, enfin, par son ambition à créer des effets dans les champs immatériels (ECIm) à très grande échelle. L’accent est tout particulièrement mis sur les problématiques de désinformation. Campagnes informationnelles et actions cyber permettront d’appuyer des manoeuvres de déception dès les premiers instants « de manière à ce que je conserve ma dominance dans le monde digital ». Les armées ont ainsi créé une media zone rassemblant des agences de presse « qui permettent de disposer de tous les moyens télévisuels et de presse écrite permettant de suivre l’événement ». Dans la même veine, une social room animera un environnement de réseaux sociaux propre à ORION. Un monde numérique créé de toute pièce et forcément déconnecté du monde extérieur. Cette volonté de maîtrise des ECIm n’omet pas un domaine électromagnétique où seront conduites de nombreuses opérations de brouillage et d’intrusion. Au sol ou dans l’espace, en mer ou dans le digital, ces trois semaines de combats ininterrompus généreront une montage de retours d’expérience, autant de points de départ d’un nouveau cycle triennal qui amènera les armées vers ORION 2026.