Dévoilé au printemps dernier lors du salon SOFINS, l’atelier de maintenance mobile ARTAC conçu par un armurier de l’armée de l’Air et de l’Espace est désormais une solution mature apte à la commercialisation. Un jalon industriel qui reste à franchir en misant autant sur les mondes militaire que civil, tentative d’incursion dans le secteur du luxe à la clef.
Il n’aura fallu que six mois au caporal-chef Killian, armurier sur la base 105 d’Évreux, pour passer d’un prototype d’armurerie tactique à un « atelier nomade multitechnique » aux portes de l’industrialisation. Six mois pour affiner une formule à base de surfaces de travail, d’espaces de rangement et de paroi magnétique pour l’outillage, et dont le résultat était présenté lors du 18e Forum Entreprises Défense (FED) organisé la semaine dernière à Satory.
« Le SOFINS a fait décollé le projet », constatait l’innovateur de haut vol au FED. Le prix du général commandant les opérations spéciales en poche, l’heure était aux essais conduits en coopération avec les collègues armuriers, plusieurs pages de défauts et autant de corrections en fin de processus. Entre autres résultats visibles, « je suis passé d’un gros prototype de 150 kg à une solution ne pesant plus que 66 kg », annonce le caporal-chef Killian.
Si le poids diminue, l’emport est quant à lui supérieur grâce aux tiroirs et autres rangements occupant la quasi totalité du volume. « On ne gaspille rien, chaque centimètre, chaque espace, chaque épaisseur est optimisé » pour répondre à une demande « tactico-pratique » de maintenance « de première ligne ». Autant d’évolutions rendues possibles par le partenariat établi avec l’industriel breton BRC, spécialiste de la conception de caissons sur-mesure connu des armées françaises.
« Le diable se cache dans les détails, et il reste quelques petites choses à rectifier avant de parvenir à une version définitive », indique le caporal-chef Killian. L’intégration de lumières par exemple, évoluera pour mieux tirer parti des lampes frontales généralement portées par les maintenanciers, alternative jugée plus efficace.
Dépassant l’enjeu initial, l’atelier présenté au FED s’adapte désormais à n’importe quelle spécialité technique, du déminage au renseignement en passant par la réparation de petits drones. Il devient aussi hybride, l’espace disponible pouvant être divisé par l’utilisateur en amont de sa mission pour pouvoir traiter plusieurs familles de matériels. « Pensé par le terrain pour le terrain », ce caisson doit « correspondre aux besoins actuels et futurs, car ceux-ci vont varier d’une mission à l’autre, d’un terrain à l’autre et en fonction de l’arrivée de nouveaux équipements », souligne son inventeur.
Si le développement de cette seconde version lui a pris l’essentiel de son temps, le caporal-chef Killian a su rebondir sur la visibilité engrangée au SOFINS pour commencer à écrire la suite. « Le projet intéresse fortement les forces françaises. Certaines unités spéciales m’ont sollicité pour l’emmener sur le terrain et le tester ».
Le pari est en passe d’être gagné pour la variante centrée sur les drones, en cours de développement et bientôt confrontée au terrain « durant plusieurs semaines » par la brigade des forces spéciales air. Les RETEX qui en découleront permettront de basculer vers une version de série susceptible d’attirer d’autres clients. L’armée de Terre, par exemple, où 3000 drones seront en service d’ici à 2025 et seront pour la plupart utilisés au contact. À l’heure où les questions de disponibilité reviennent sur le devant de la scène, un tel atelier pourrait contribuer au soutien en ouverture de théâtre ou monter à bord d’un véhicule dédié comme le Griffon ELI pour mieux accompagner les forces en mouvement.
La solution a également été pensée pour des débouchés dans le domaine naval, là où l’espace est justement très contraint. « Le caisson a été pensé pour cela, notamment par l’ajout d’un traitement anti-salin. Nous avons travaillé dur sur l’étanchéité pour permettre une utilisation dans un environnement marin ». Conçue à l’origine pour deux opérateurs, la solution sera déclinée en une variante « mono-opérateur » raccourcie d’un tiers et allégée pour s’aligner sur les exigences exprimées par les armuriers de la Marine nationale.
Et, d’une certaine manière, le domaine aérien n’est pas oublié. « Nous allons explorer la piste de la maintenance d’armes en plein vol afin d’exploiter ce qui reste un temps de latence dans les opérations », commente le caporal-chef Killian.
Restera à franchir la frontière vers le monde civil, industriels de la filière de défense en tête. Et parce que l’audace ne doit pas être bridée, l’armurier d’Évreux s’est déjà lancé un nouveau défi personnel : celui d’associer le soutien tactique à une grande maison française du luxe, deux domaines que rien ne lie à première vue. Basculer d’un C-130 à la maintenance d’un yacht, des matériaux durcis aux matières nobles, « cela n’a jamais été fait, c’est audacieux mais cela se tente », assure le caporal-chef Killian.