Vers un « bariolage multi-environnement » unique pour les armées françaises

Le bariolage de type "multicam" avait été évalué dès les années 2000 dans le cadre du programme FELIN, sans succès. Le BME ici représenté acte finalement cette transition. (Crédits : EMA)

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Une page se tourne pour les militaires français. À compter de 2024, les camouflages centre-Europe et désert de leur tenue de combat disparaîtront au profit d’un nouveau « bariolage multi-environnement » (BME) commun à l’ensemble des armées, directions et services. Fruit de six années de travail, il implique un investissement de 200 M€ de la part du ministère des Armées.

Un treillis F3 unique

« Le bariolage participe directement à la réussite de la mission du combattant parce qu’il permet de se camoufler, de ne pas être distingué dans son environnement de jour comme de nuit. Il constitue également l’identité visuelle de l’armée française », résume l’État-major des armées. S’ils constituaient une « importante avancée opérationnelle » lors de leur adoption dans les années 1990, les modèles régionalisés actuels ne sont cependant plus adaptés « aux défis du XXIe siècle » et « au durcissement des opérations ». 

Les premières ébauches remontent à mars 2016, à l’initiative de l’armée de Terre. De nombreuses armées alliées parient alors sur le « multicam », adapté à pratiquement tous les terrains et saisons. Les travaux préparatoires relatifs au treillis F3, puis le choix du ton brun terre de France pour les véhicules terrestres ont amené les armées à réfléchir à l’évolution de leurs camouflages. Le BME était né. Sa conception est depuis portée par la Section technique de l’armée de Terre (STAT), experte de l’équipement du combattant, et le Service du commissariat des armées (SCA), responsable de l’industrialisation.

Crédits : EMA

La nouvelle tenue F3, livrée depuis 2019, conserve les anciens bariolages centre-Europe, désert et montagne. Sa diffusion a néanmoins été limitée aux unités d’infanterie et à celles déployées en opération extérieure. Dès 2024, cette version s’effacera au profit d’un F3 définitif, un modèle BME cette fois étendu à toutes les armées, directions et services du ministère. Tous seront livrés en parallèle, suivant des volumes adaptés à chacun.

Ce BME est en quelque sorte un avenant au marché F3 notifié fin 2018. Le montage industriel ne change donc pas, les entreprises concernées continuant de produire mais sur base d’un autre tissu et d’une autre matrice. Une enveloppe de 200 M€ est prévue dans le cadre de la loi de programmation militaire pour le déploiement de ce treillis de nouvelle génération. L’investissement est conséquent, mais le remplacement des anciens modèles par un BME unique est aussi synonyme de rationalisation et d’efficacité logistique.

Produire un effet trompe-l’oeil

Ce BME, c’est la réponse à une équation reliant un fond, des formes et des couleurs, six au total. Pour le fond, la STAT s’est appuyée sur le brun terre de France, base polyvalente retenue pour les véhicules de l’armée de Terre. Pour tromper l’œil ennemi, le BME est ensuite constitué d’ « un enchevêtrement de formes brisées de grandes tailles atténuées par des effets de dégradés et d’autres petites taches franches ». Parmi ces formes et autres branchages verticaux, quelques triangles inspirés des motifs géométriques escamotables destinés aux véhicules Scorpion.

Passé une certaine distance, ce bariolage « fusionne, c’est à dire que l’œil ne distingue plus les taches au-delà de la portée des armes légères, et se présente dans les tons bruns terre de France caractéristiques de la force Scorpion », indique l’armée de Terre. Résultat : une furtivité accrue pour le combattant et un gain de 25% en délai de détection. 

Le bariolage BME et, parsemés au milieu d’autres taches, ses triangles inspirés du camouflage Scorpion (Crédits : EMA)

Le BME sera efficace dans tous les milieux, du désert au sous-bois et de la zone urbaine à la montagne sans neige ou faiblement enneigée. Seules exceptions, les environnements totalement enneigés et arctiques nécessitaient une déclinaison spécifique. Cette version reprend la même matrice de taches mais repose sur un fond blanc auquel s’ajoutent des éléments gris clair et quelques touches d’un foncé « proche des troncs noircis par l’humidité ».

Ce nouveau bariolage a autant une vocation esthétique qu’identitaire. « Le soldat, très souvent, devient le premier ambassadeur lorsqu’il est en opération », pointe le lieutenant-colonel Sébastien, responsable projet au sein de la STAT. Le militaire, où qu’il soit déployé, doit dès lors conserver une signature visuelle qui permette aux acteurs militaires et civils rencontrés de l’identifier facilement.

Mais l’évolution n’est pas que visuelle. La STAT et le SCA ont en effet profité des premiers retours d’expérience issus du F3 « intermédiaire » pour retravailler la matière et l’ergonomie. La coupe est ainsi mieux ajustée. Le tissu gagnera en confort et en souplesse grâce à une légère diminution du grammage et à un pourcentage moindre d’Aramide, précise l’EMAT. Le tout, sans dégradation de la thermostabilité et de la résistance à l’usure et aux déchirures.

Six années de développement et d’évaluations

De prime abord, ce motif « multi-environnement » ne semble pas révolutionnaire. D’autres, bien avant la France, ont étendu son usage à l’ensemble de leurs forces armées. Les Américains et les Britanniques en tête, mais aussi, beaucoup plus récemment, le voisin belge au travers du programme Belgian Defence Clothing System (BDCS). Le BME est expressément pensé pour égaler, voire dépasser les performances de ces systèmes étrangers. Ambitieux donc complexe, son développement a nécessité six années d’efforts.

Façonner l’enchevêtrement de formes du BME aura exigé pas moins de 1200 heures de travail. Pour valider son développement, la STAT a évalué et comparé les performances opérationnelles de 12 bariolages différents dans plusieurs environnements. « Il s’agissait, pour chacun des bariolages, d’identifier les distances et temps de détection par type », explique le commandant Arnaud, spécialiste en détection au sein de la STAT.  La comparaison s’est par ailleurs étendue aux uniformes français actuels ainsi qu’aux bariolages étrangers les plus performants, tels que l’Operational Camouflage Pattern américain ou le Multi-Terrain Pattern britannique.

Seulement trois des 12 solutions évaluées ont finalement atteint le niveau exigé, soit « au moins 10% de gain de performance opérationnelle ». La matrice sélectionnée a ensuite été passée au crible afin de repérer les imperfections, corriger certains détails et gagner quelques points d’efficacité. Le BME a également été soumis à l’appréciation d’un panel de 300 militaires issus des trois armées et chargés de jauger des critères esthétiques et de modernité. Selon, l’EMAT, parvenir à ce résultat aura demandé plus de deux années d’évaluations et de retouches.

La phase de prototypage apportait elle aussi son lot de défis. L’un d’entre eux, l’impression des dégradés, n’était pas réalisable à partir des moyens actuels. Les commanditaires se sont tournés vers un acteur historique de la filière textile française, Tissus d’Avesnières. Cette entreprise implantée à Laval (Mayenne) est spécialisée dans la mise au point et la réalisation d’impressions complexes sur tissu. Les différents défis relevés, le volet industriel est maintenant prêt à lancer la production à grande échelle pour être au rendez-vous dans deux ans.

Le bariolage BME se veut finalement précurseur des évolutions à venir. Car, en coulisses, d’autres s’activent d’ores et déjà sur la prochaine génération. La STAT estime en effet qu’à l’horizon 2030-2040, le camouflage pourrait devenir « actif ». Le tissu, potentiellement intelligent, s’adaptera alors instantanément à son environnement pour rendre son porteur pratiquement invisible. Les technologies nécessaires n’existent pas encore ou sont très peu matures. Certaines sont en cours d’élaboration au travers du programme CAMELEON/SALAMANDRE, en liaison avec le programme CENTURION de la DGA.