Le plan de l’armée de Terre pour ne pas rater le train de la robotique

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L’armée de Terre s’est donnée moins de 20 ans pour prendre le tournant de la robotique. Une ambition poursuivie depuis deux ans et renouvelée mercredi dernier à l’occasion de la 2ème journée de la robotique et du lancement de la seconde édition du challenge « Collaboration Homme-Machine » (CoHoMa). 

L’heure des premiers choix

Aériens ou terrestres, armés ou non, à roues, chenilles ou hélices… il y avait presque autant de systèmes robotisés que de combattants en chair et en os mercredi dernier sur le camp de Beynes (Yvelines). Le temps d’une démonstration dynamique, la section exploratoire robotique de l’armée de Terre y a mis en oeuvre un « bestiaire » de plateformes robotisées en service ou expérimentales pour l’appuyer dans une mission de combat. Une première qui illustre les premiers résultats d’une réflexion lancée en 2021 avec un objectif central : intégrer la robotique et l’intelligence artificielle dans l’espace de bataille terrestre et aéroterrestre à l’horizon 2040. 

« Nous avons besoin d’une robotique opérationnelle », soulignait le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), le général Pierre Schill, en marge de la démonstration. Pourquoi ? Essentiellement pour quatre raisons : muscler la masse des forces terrestres, augmenter leur capacité d’agression aux plus bas échelons, augmenter l’endurance des unités déployées grâce à « un robot que l’on ravitaille mais qui a le mérite de ne pas dormir », et renforcer les velléités des unités grâce à la polyvalence des effecteurs embarqués. Équipier plutôt qu’outil, le robot ou le drone complétera plutôt que remplacera les systèmes existants. Il sera autonome, mais pas totalement. La gestion de l’armement, par exemple, restera une prérogative de l’humain.

« En deux ans, les questions de robotique ont remarquablement progressé », relève un officier supérieur de la Section technique de l’armée de Terre (STAT). Partie non pas d’une page blanche « mais pas très loin », l’armée de Terre travaille depuis lors à structurer une démarche globale baptisée Vulcain. La phase initiale d’identification du besoin durera jusqu’en 2025 mais, déjà, le travail accompli permet d’entrevoir les premières décisions structurantes. « Dans les prochains mois, nous allons effectuer nos premiers choix concernant la robotique terrestre. Ce sera un choix engageant et donc un choix délicat », relève la STAT.

« Je pense qu’il y a des virages qu’il ne faut pas rater », indiquait le CEMAT. Et si le train de la robotique terrestre est encore devant, il s’agira autant de ne pas le louper que d’éviter de monter dans le mauvais. La période 2024-2030 s’annonce à cet égard primordiale pour éviter tout faux départ et s’assurer d’être au rendez-vous fixé.

Au sol, le robot PROBOT. En l’air, le drone expérimental AVATAR. Deux des systèmes mis en oeuvre par la section Vulcain et symboliques de la bascule en cours vers les outils autonomes armés.
Une LPM favorable

Le cap et le socle de réflexion en place, ne manquait qu’un cadre dans lequel inscrire l’ensemble des besoins. Ce cadre, c’est la future loi de programmation militaire pour 2024-2030. Adopté la semaine dernière par la commission défense de l’Assemblée nationale, le document comprend une enveloppe de 5 Md€ pour poursuivre la robotisation des armées. De quoi irriguer deux nouveaux programmes à effet majeur (PEM), l’un pour le volet aérien sur les « drones incrémentaux » et l’autre bien ancré en surface pour la « robotique terrestre ». 

Ambitieux, le second PEM créera les conditions qui porteront la robotique terrestre au stade de l’emploi « avant la fin de la décennie ». De fait, l’armée de Terre prévoit de disposer des premières plateformes de combat polyvalentes d’ici à 2030 au travers d’unités pilotes. Des plateformes de la classe deux tonnes, « probablement équipées d’un canon de moyen calibre » et « orientée agression », précisait le CEMAT lors d’une récente audition parlementaire.

Une première unité sera équipée de six à huit robots à compter de 2026 « dans le but d’expérimenter l’accompagnement de groupes de combat débarqués ». À terme, ces robots armés « viendront augmenter significativement la capacité d’agression des unités de mêlée en mettant à disposition des sections et groupes de combat une puissance de feu qui est aujourd’hui portée par des véhicules classiques et volumineux », souligne l’armée de Terre. 

Si la trame drones de l’armée de Terre s’est densifiée, de nouveaux besoins s’ajoutent à la nécessité de faire évoluer les outils existants. « La prochaine LPM verra l’arrivée d’une nouvelle génération de drones de contact, nano-drones et micro-drones, qui intégreront davantage d’autonomie fonctionnelle pour commencer à pouvoir se départir des opérations de téléopération usuelles », annonce l’armée de Terre.

La LPM viendra par ailleurs combler quelques « trous dans la raquette ». Ce sera la mission des futurs systèmes de drones tactiques légers (SDT-L) livrés aux régiments d’artillerie et complémentaires des SMDR et SDT. C’est aussi le cas de munitions téléopérées pour lesquelles l’expression de besoin est « en cours de finalisation, avec une attention particulière qui est donnée à la cohérence de ces MTO avec le système de forces déjà existant ».

Au-delà des vecteurs, l’armée de Terre apporte une attention particulière aux vols et à l’action en essaim. « C’est quelque chose que nous pouvons commencer à construire à relativement brève échéance », note la STAT. Dans ce domaine, les forces sont en train de passer des études aux expérimentations avec pour objectif, dans l’esprit de Vulcain, de tester les premières briques accessibles au plus tôt et en unité.

Deux robots ULTRO précèdent un blindé Serval en version « poste de commandement », une partie des satellites opérés durant le challenge CoHoMa II par l’équipe « Robot des bois » (Nexter Robotics, Nexter Systems, Cavok, Merio, Videtics, Magellium et Datahertz)
Atteindre le socle de crédibilité

« À la fin, quand on va aller au combat, on a besoin de compter sur le fait que le robot que l’on va employer remplisse effectivement la mission pour laquelle on l’a conçu », commentait le général Schill. Si Vulcain progresse, plusieurs verrous techniques subsistent, en partie liés à l’environnement opérationnel. « Le milieu terrestre cumule de très grandes difficultés du fait de la diversité de l’environnement », rappelait l’ingénieur en chef de l’armement (ICA) Delphine Dufourd-Moretti, en charge de la préparation des systèmes terrestres futurs au sein de la Direction générale de l’armement (DGA). 

Une véritable « robotique tactique » implique d’évoluer vers une mobilité plus robuste, des capacités d’observation et d’analyse de situation avancées, des moyens de communication et de géolocalisation résilients. Surtout, les plateformes robotisées devront intégrer une réelle autonomie décisionnelle, principale technologie facilitatrice et « condition majeure d’un déploiement massif ». Autant d’obstacles à franchir pour atteindre ce que les acteurs du domaines appellent le « socle de crédibilité », seuil de maturité technique minimal pour parvenir à un système fiable et compatible d’un engagement en environnement dégradé. 

Entre les militaires, les chercheurs et les industriels, tout un écosystème s’est mis en ordre de bataille pour parvenir rapidement à ce socle de confiance. Du côté des armées, la DGA et l’Agence de l’innovation de défense (AID) multiplient les projets de technologies de défense (PTD) et le soutien à la recherche via les mécanismes de financement RAPID et ASTRID. Elles appuient entre autres les RAPID ARU et HE 441, tous deux orientés vers les nouvelles mobilités. La DGA s’intéresse aussi aux problématiques de qualification, d’où le lancement d’un PTD VISION axé sur l’homologation des systèmes autonomes. 

Principal groupement d’industriels du secteur terrestre, le GICAT constituait il y a trois ans un groupe de travail dédié en vue « d’accompagner l’armée de Terre et la DGA sur le sujet robotique », expliquait Joël Morillon, co-animateur de ce GT et directeur de Nexter Robotics. Cette structure a double vocation : fédérer les acquis et travailler en boucle courte avec les donneurs d’ordre, jusqu’à proposer des démonstrateurs. Entre autres avancées, ce groupe s’est réuni récemment pour tenter d’élargir un champ d’applications trop souvent résumé aux missions de combat, de logistique, d’observation ou d’ouverture d’itinéraire. En sont ressortis 200 concepts qui alimenteront un document de synthèse remis aux forces d’ici l’an prochain. 

« La France dispose d’une base industrielle extrêmement solide », estime Joël Morillon. Pour l’orienter dans la bonne direction, le monde militaire l’intègre davantage dans ses réflexions grâce aux challenges CoHoMa et, bientôt, Mobilex ; à la fois exercices de mise en pratique et lieux d’échange. Deux initiatives qui ne seront pas de trop pour accompagner ce que la DGA entrevoit comme « un effet d’emballement au fur et à mesure que l’on montera en autonomie et que de nouvelles applications vont émerger ». 

À court et moyen termes, l’autre enjeu sera de passer à l’échelle. Réussi pour les mini-robots du génie, cet objectif sera d’autant plus difficile à cristalliser que les plateformes gagneront en masse et en complexité. « Il va falloir progressivement augmenter la taille des robots pour aller vers l’appui à l’infanterie mécanisée et la cavalerie », relevait l’ICA Dufourd-Moretti. Jusqu’aux environs de 2035 et l’arrivée d’au moins un véhicule robotisé dans les premiers incréments du programme franco-allemand de système de combat terrestre principal (MGCS), ultime jalon d’une feuille de route particulièrement ambitieuse.