Interview du Général de la Motte : suite et fin

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Hier nous vous avons livré la première partie de notre interview exclusive avec le général de division Oliver Gourlez de la Motte, commandant de l’ALAT (Aviation Légère de l’Armée de Terre).

Voici la deuxième partie :

Opération Sangaris. Un super Puma décolle.

Mais en Libye il n’y avait pas de troupes au sol et pourtant les hélicoptères ont lourdement participé à la mission Harmattan ?

C’est une bonne remarque. Je prendrai le problème un peu à l’envers en disant qu’en Libye nous avons réalisé une opération aérienne, et puis pour complètement démanteler le dispositif de [Mouamar] Kadhafi [1942-2011, dictateur libyen] il a été décidé d’envoyer les hélicoptères. Ceux-ci s’inscrivaient d’une certaine manière dans une opération au sol, menée par des troupes rebelles au profit desquelles nous intervenions. En Syrie il y aura sans doute des hélicoptères avant qu’il y aient des troupes au sol. C’est un signal d’engagement vers le combat au sol.

Alors quels sont les théâtres extérieurs à ce jour où l’armée française déploie des hélicoptères ?

A ce jour nous avons une trentaine hélicoptères et environ 260 personnels en projection. Ces appareils assurent une capacité d’intervention rapide et conduisent des opérations ponctuelles pour essayer de déstabiliser l’ennemi. Nous disposons d’une vingtaine d’hélicoptères (Tigre, Puma, Caïman, Cougar, Gazelle, Caracal) déployés au Mali, au Niger et au Tchad dans le cadre de l’opération Barkhane. Nous avons un détachement en République Centrafricaine au profit de l’opération Sangaris. Nous sommes aussi présents à Djibouti. Et il y en a au profit des forces spéciales.

Quelle est la disponibilité de ces appareils ?

Très bonne ! Même si l’objectif de 80 %, est difficile à maintenir, actuellement il oscille entre 70 et 73% . C’est un effort très important sur un relativement petit nombre d’appareils et dans des conditions difficiles. Cela à un coût et pénalise la capacité en métropole.

Les armées comptent 305 appareils en France. Deux cent sont répartis à peu près équitablement au sein des trois régiments des forces conventionnelles : le 1er, le 3e et le 5e RHC [Régiment d’Hélicoptères de Combat] et le 4e RHFS [Régiment d’Hélicoptères des Forces Spéciales]. Parmi ces 200, environ 30 sont en opération, plus une vingtaine d’alerte en France ; sept (cinq Puma de l’armée de terre et deux de l’armée de l’air) pour des alertes opérationnelles du GIH au profit du GIGN dont deux Puma sont en alerte permanente ; quatre pour la mission Sentinelle.

Exercice GIGN dépose corde lisse

Enfin environ 70 appareils se trouvent en école et les 30 autres sont en turnover. Mais leur disponibilité n’est que de 40 %. Il y en a 30 % chez l’industriel en grande visite, alors que 30 % sont indisponibles dans nos régiments parce que la maintenance est lourde et la disponibilité en opérations affecte notre capacité logistique et de maintenance en métropole. Pour les Tigre la disponibilité en métropole est tombée à moins de 30 %.

Pourquoi ?

Parmi les 53 Tigre livrés, 22 appareils ont été projetés à 44 reprises depuis 2009 en Afghanistan, en Libye, au Mali, en République Centrafricaine et en Somalie. Par « reprise » j’entends une opération de guerre qui va au-delà de deux mois. Et je ne compte pas les exercices ou l’entrainement. Il n’y a pas d’autre système d’arme autant utilisé. A titre d’exemple, un Tigre a été rapporté du Mali avec 19 impacts de balles, il est difficile de le remettre en état de vol.

L’ALAT c’est une grande famille de 5 000 personnes. Elle est composée de 1 000 pilotes, de 2 200 mécaniciens aéronautiques et de 300 mécaniciens terrestres. Donc, sur le théâtre et à l’exception d’interventions trop complexes, c’est l’ALAT qui répare et entretient.

Le cas échéant, Airbus Hélicoptères peut apporter son aide. L’industriel a ainsi envoyé en permanence deux ou trois mécaniciens pour l’entretien des Tigre en Afghanistan où il nous a beaucoup aidé. Il a également projeté une équipe pour les Caïman à Gao [Mali]. S’agissant des nouveaux appareils, Airbus Helicoptères peut apporter des diagnostics, des analyses et éventuellement proposer des modalités de réparations. Mais sur les appareils qui sont en service dans l’ALAT depuis longtemps nous sommes autonomes.

Désossage par les mécaniciens de l’ALAT d’un hélicoptère Tigre en opération

Le fait que la France soit en état d’urgence a-t-il une implication pour l’ALAT ?

Nous sommes impliqués en tant que militaire, naturellement. Nous participons aussi à l’opération Sentinelle comme les soldats des autres fonctions opérationnelles et nous maintenons quatre hélicoptères en alerte dans les régiments, en plus des deux habituels hors état d’urgence.

Dans le cadre du Projet de l’Armée de Terre Au Contact, nous réfléchissons à ce que pourrait être une intervention sur le territoire national et ce que pourrait être la part de l’hélicoptère. Comment surveiller une zone ? Comment assurer la sécurité ?

A titre d’exemple : les actes terroristes au Bataclan ont soulevé la question de l’accueil des blessés au sein des hôpitaux de Paris. Le service de santé des armées détient la compétence pour faire le tri de masse mais il aurait besoin de transporter les blessés vers des hôpitaux éloignés d’une zone donnée pour désengorger les services de secours. L’hélicoptère dans cette hypothèse pourrait être la solution mais dans quelle proportion ?… Nous sommes tous sur des scénarios de ce type, plus que dans l’action directe.

Depuis le 13 novembre les bureaux de recrutement de l’armée de terre ne désemplissent pas. Est-ce que cela profite à l’ALAT ?

Pour ce qui est des pilotes, l’ALAT reçoit sept à huit candidats pour un retenu. Ils sont recrutés au niveau Bac ou Bac+2, et pas nécessairement la filière S, car ce sont les tests et les évaluations psychotechniques qui sont déterminants. Une fois nos 25 élèves pilotes choisis, ils rejoignent Coëtquidan pendant cinq mois, puis Dax. Ils leur faudra 14 mois pour obtenir leur brevet de pilote puis encore 12 mois (pour une formation sur Puma ou Gazelle) ou 18 mois (pour le Tigre) pour acquérir une spécialité. C’est seulement après deux ans ou deux ans et demi de formation qu’ils arrivent en régiment, et là, il leur faudra acquérir de l’expérience, au moins six à huit mois au mieux sur Gazelle pour arriver à accumuler les heures de vol pour être projetable, c’est à dire 140h de vol réel plus 20h en simulateur dans les 12 derniers mois.

Ce que je souhaite, c’est que le pilote fasse au moins 160h en vol et 20h en simulateur pour atteindre les 180h de vol préconisés pour devenir parfaitement opérationnel, ce qui nous permettrait d’entretenir tous nos savoir-faire. Il s’agit là de notre règle, mais depuis les opérations en 2009 en Afghanistan, le personnel est de plus en plus spécialisé et toutes les qualifications ne sont pas entretenues systématiquement.

Le point particulier et commun à toutes nos opérations extérieures récentes est l’environnement relativement difficile : la montagne en Afghanistan, la mer et la nuit noire en Libye et la poussière au Mali. Les modes de travail sont alors différents voir plus complexes.

Est-ce que cela veut dire que maintenant vos pilotes sont spécialisés ?

En théorie non. Mais en pratique ils se spécialisent indirectement au travers du cycle de projection. Peu ou prou, on les spécialise, mais ce n’est pas la règle.