La filière robotique française va se mettre en ordre de bataille sous l’égide de KNDS France et de Safran, co-titulaires d’un accord-cadre visant à fournir un premier robot de combat à l’armée de Terre à l’horizon 2027-2028.
Trois ans pour monter en gamme
« On franchit une marche », se félicite Joël Morillon, directeur général délégué de KNDS France Robotics. Cette marche franchie, ce sont les « quelques dizaines de millions d’euros » alloués à ses équipes et celles de Safran Electronics & Defense via l’accord-cadre DROIDE conclu pour une durée de 7 ans. L’investissement étatique est conséquent – l’entité robotique de KNDS génère un chiffre d’affaires annuel de 4 à 5 M€ à titre de comparaison – et l’enjeu l’est tout autant. Il s’agit en effet de permettre à l’armée de Terre de prendre pied dans la robotique de combat. Un tournant à ne pas manquer avec un domaine qui, tout en restant essentiellement exploratoire, accélère sur fonds de conflit russo-ukrainien.
Côté français, la priorité porte aujourd’hui sur les robots de classe 2-3 tonnes. Des plateformes lourdes dotées d’une meilleure capacité de franchissement et de l’emport suffisant pour intégrer différents armements. Progresser sur la mobilité et la fonction feu, ce sont justement deux axes d’effort d’un DROIDE engagé sous la forme d’un projet de technologies de défense (PTD) d’une durée de trois ans. L’homme restera dans la boucle mais l’usage du singulier est ici significatif. Hors de question en effet de mobiliser plusieurs combattants. L’idée sera plutôt d’allouer une plateforme par opérateur, voire – but suprême – de l’autoriser à en télépiloter plusieurs en simultané.
La question de l’autonomie sera donc centrale. Que confier ou non au robot pour réduire autant que possible la charge cognitive de l’opérateur ? Pour le duo industriel, DROIDE visera justement à plancher sur le domaine de délégation pour les fonctions majeures. L’essentiel de la mobilité et de la compréhension de l’environnement, par exemple, pourrait majoritairement être délégué. Et, pourquoi pas, se diriger non plus à partir de la chaîne cinématique mais au travers de l’arme en pointant celle-ci dans la direction voulue ? Pour cette question comme pour bien d’autres, il s’agira de transformer les acquis actuels en solutions opérationnelles d’ici à trois ans.
Derrière une activité partagée à 50/50, KNDS et Safran amèneront chacun des savoir-faire historiques. Le premier sa maîtrise de l’architecture globale, des plateforme et de l’armement. Le second sa connaissance des capteurs, des centrales inertielles et des autres briques nécessaires pour la modélisation de l’environnement et pour la navigation sans GPS. Mais l’idée sous-jacente reste bien de jouer en équipe et de faire monter en compétences une filière en embarquant d’autres acteurs à l’origine de solutions innovantes. KNDS travaille notamment avec SIMPULSE, cette société parisienne proposant une liaison radio SL300 portant à 7 km en milieu terrestre. Certaines bonnes idées pourraient provenir du marché civil. Des discussions sont ainsi en cours avec Valeo et Continental, par exemple. Deux noms susceptibles de renforcer le volet mobilité, notamment au travers de radars d’évitement d’obstacle largement répandus dans le domaine civil.
2027 et au-delà
Attribué le 30 décembre 2024, le marché DROIDE relève d’un mécanisme contractuel dit « OASIS » par lequel la DGA confie une partie de sa maîtrise d’oeuvre à un ou plusieurs industriels. De tels contrats sont mis en oeuvre depuis un moment au sein du programme CENTURION et s’étendent progressivement à d’autres domaines, dont celui du contre-minage. DROIDE démarrera réellement avec la mise à disposition au tournant 2025-2026 de solutions permettant à l’armée de Terre de réaliser un état de l’art du domaine. Au centre de la démarche, un robot CENTURIO X20 armé d’un tourelleau téléopéré ARX20 et conçu en partenariat avec SERA Ingénierie (SOGECLAIR). D’autres charges utiles sont à l’étude, indique Joël Morillon en relevant notamment l’exemple du tourelleau téléopéré T1 d’Arquus. Et un CENTURIO X20 qui, avant d’être confié aux forces françaises, réalisera aller-retour en Ukraine. Sa force de frappe, sa mobilité et la robustesse de ses liaisons de données y seront évaluées. Autant de retours d’expérience bienvenus pour alimenter les futurs travaux menés dans le cadre de DROIDE.
Suivront deux années de maturation pour parvenir à une première capacité suffisamment mature que pour envisager, vers 2027-2028, la commande de 50 à 100 plateformes. Une première série, estime l’industriel, à partir de laquelle l’armée de Terre générera les RETEX traduits en améliorations apportées en boucle courte durant les quatre années suivantes de l’accord-cadre. L’horizon est encore lointain mais, chez KNDS, la démarche exploratoire s’accompagne déjà d’une réflexion industrielle. Vu les quantités envisagées, le robot lourd s’associe moins aisément à l’idée de masse prônée pour d’autres systèmes automatisés. Reste que les capacités de production de SOGECLAIR sont limitées à 10 à 30 plateformes par an, souligne KNDS. Si les volumes et l’urgence du besoin l’exigeaient, celui-ci n’exclut dès lors pas de monter une autre ligne dédiée sur l’un de ses sites.
La focale ne se limite pas à DROIDE pour KNDS France, qui élargit progressivement le champ vers des plateformes plus lourdes. Son entité robotique a pu se faire la main en intégrant son kit de robotisation maison sur un système DIGGER, un outil de dépollution de zone télé-opéré livré au site landais de DGA Essais de missiles. D’autres travaux portent désormais sur des systèmes de 30 tonnes, une définition qui n’est pas sans rappeler l’une des plateformes envisagées pour le système principal de combat terrestre (MGCS) développé en franco-allemand.