Derrière NextFab, la transformation du site roannais de Nexter

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Nouvelles lignes d’intégration, acquisition de machines dernier cri, refonte du soutien, bâtiment type « Skunk Works », etc. : Nexter met les bouchées doubles pour faire de son implantation de Roanne, épicentre du programme Scorpion, un outil industriel armé pour répondre au plan de livraisons et préparer l’avenir.

62 M€ sur cinq ans

« Depuis cinq mois, j’ai découvert une entreprise très engagée, qui a été très résiliente durant la crise, une entreprise en assez forte croissance, une entreprise innovante, peut-être à contre-courant de ce que l’on peut imaginer d’une entreprise traditionnelle de l’armement, une entreprise qui recrute », résumait son nouveau PDG, Nicolas Chamussy, jeudi dernier devant une poignée de journalistes.

Que ce soit pour les forces vives, le carnet de commandes ou les résultats, l’heure est effectivement à la croissance pour Nexter. Poussé par Scorpion, plusieurs marchés de soutien et de munitions et de belles ventes à l’export, le groupe français a enregistré un chiffre d’affaires de 1,1 Md€ l’an dernier, dont plus de 40% hors-France. Son carnet de commandes plafonne désormais à 4,6 Md€ en tranches fermes.

Avec la montée en cadence de Scorpion, la commande belge de CaMo à l’horizon et les perspectives à l’export, le site roannais de Nexter va en effet voir sa production passer de 150 à 450 véhicules par an entre 2019 et 2025. Il doit également pouvoir accueillir des salariés supplémentaires et « booster » ses activités de soutien. Ce site hérité d’un arsenal construit en 1917 devait dès lors obligatoirement être redimensionné en profondeur, un enjeu auquel Nexter s’est attaqué depuis trois ans avec le projet « NextFab ».

NextFab, ce sont 61,9 M€ investis sur fonds propres sur cinq ans et irrigués selon trois axes : l’augmentation des capacités de production (47 M€), l’extension des surfaces logistiques (9,9 M€) et de l’accueil des employés (5 M€). L’enveloppe permettra d’étendre le site d’environ 12 000 m2 et de remanier 70% de la surface existante. Le défi est de taille pour les équipes de pilotage, car « n’oublions pas que pendant les travaux, la vente continue », rappelle Sylvain Rousseau, directeur des opérations du groupe Nexter. 

Piloté comme un programme, NextFab progresse conformément au planning et au budget, petit exploit après 18 mois de crise sanitaire. Près de 60% des objectifs seront atteints en 2021, dont des avancées emblématiques comme les nouvelles lignes de montage Griffon, Jaguar et Serval, l’installation d’un FABLAB et la création d’un bâtiment dédié aux entreprises partenaires. 

La ligne d’intégration Griffon/Jaguar de Roanne, l’une des premières manifestations tangibles du programme NextFab

UGV et FSW

Certaines étapes de NextFab sont peu visibles mais tout autant essentielles pour atteindre les prochains paliers de production. D’ici la fin de l’année, Nexter disposera ainsi de nouveaux outillages de pointe installés au coeur des 55 600 m2 du bâtiment Leclerc. L’un, l’îlot d’Usinage Grande Vitesse (UGV) a été inauguré en août dernier. L’autre, une machine de soudage par friction malaxage (« Friction Stir Welding » ou FSW) le sera en novembre prochain.

Deux des quatre machines qui composeront l’îlot UGV tournent déjà à plein régime. La troisième entrera en service l’an prochain. Nexter s’est pour cela entouré d’un trio franco-français : le géant de l’ingénierie industrielle FIVES Machining, ainsi que Chazelle et MecanoLav. 

Par cet investissement de plusieurs dizaines de millions d’euros, Nexter s’assure de l’augmentation radicale des cadences d’usinage des grandes pièces métalliques des véhicules Scorpion. L’îlot UGV utilise en effet « une technique d’usinage qui atteint des vitesses de coupe plusieurs fois supérieures à celles de l’usinage conventionnel ». Il en résulte un meilleur rendement dans la découpe et le percement des tôles d’aluminium de forte épaisseur, de l’ordre de 25 à 80 mm, fournies par Constellium.

Ici aussi les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec cet UGV, les équipes consacrées aux structures mécano-soudées seront en mesure de fournir jusqu’à 450 caisses en aluminium, 50 caisses en acier et 500 caisses peintes par an. Et de doubler, entre autres, la cadence concernant le Griffon, d’environ 1,25 par jour pour l’instant.

Unique en Europe par sa taille, la machine FSW a été réceptionnée en juillet dernier. Développée avec l’appui du groupe français TRA-C industrie, leader européen du FSW, elle reprend un principe apparu dans les années 1990 et sur lequel Nexter travaille depuis deux décennies. Derrière cet acronyme, un procédé qui consiste à assembler deux pièces en les amenant à un état pâteux grâce à un pion en rotation. Une fois « ramollis » par ce pion, les matériaux vont se mêler naturellement dans un processus proche du forgeage.

Les avantages sont multiples : pas d’émission de fumée ni de projections, maintien des caractéristiques mécaniques des pièces, possibilité d’assembler des matériaux différents ou non soudables par d’autres moyens, consommation énergétique faible, etc. Il s’avère particulièrement intéressant pour les pièces soumises à de fortes contraintes, tel qu’un longeron de Jaguar. Le processus est aussi plus rapide car ne nécessite qu’un passage, contre une dizaine pour la soudure « classique ».

Derrière les murs du nouveau bâtiment DDV IVPN, une quinzaine de travées consacrées au prototypage et aux essais

Miser aussi sur les services et l’innovation

Pour Nexter, la priorité n’est pas seulement de produire plus et plus vite. Il faudra aussi mieux soutenir les parcs actuels et futurs et mieux concevoir les prochains systèmes d’armes. NextFab, c’est aussi la création d’une Direction des services clients (DSC) « nouvelle génération ». Placé sous sa responsabilité, le soutien a généré plus de 30% du chiffre d’affaires et près de 40% des prises de commandes en 2020. Des 490 salariés de la DSC, 390 sont directement rattachés au site de Roanne. Environ 150 d’entre eux oeuvrent quotidiennement auprès des forces françaises.

Son périmètre d’action comprend plus de 2500 systèmes à roues et chenillés auprès de 70 pays clients, dont 1530 véhicules de combat soutenus dans plus de 60 unités de l’armée de Terre. Avec Scorpion, le parc de l’armée de Terre aura pratiquement doublé en 2025. Et, si les prochaines tranches s’affermissent, il enflera encore considérablement durant les cinq années suivantes pour atteindre plus de 5100 véhicules à maintenir à l’horizon 2030. 

La question du soutien est donc majeure pour Nexter, et se traduit notamment par la conception d’outils de maintenance innovants et par le transfert de l’ensemble du détachement roannais dans un bâtiment flambant neuf de 3400 m2. Attendu pour le premier semestre 2022, celui-ci sera articulé autour de quatre plateaux pour un total de 290 postes de travail. L’un de ces plateaux accueillera le Centre opérationnel des services (COSS). Véritable « tour de contrôle », le COSS traite l’ensemble des demandes clients, plus de 2000 par mois.

Pour accélérer le rythme des interventions, Nexter a développé un outil de télé-expertise prêt à l’emploi. Il se compose d’un système de communication et de lunettes connectées et permet à l’un des experts du COSS de guider à distance un maintenancier sur l’établissement de diagnostics et la résolution de problèmes techniques. Démonstration à l’appui avec une réparation effectuée en direct depuis Mourmelon sur un VBCI du parc d’entraînement Champagne. 

En 2020, le groupe Nexter a consacré 14% de son chiffre d’affaires à la R&D. Question innovation, la trajectoire fixée va dès lors bien au-delà de l’exemple de la télé-expertise. Les temps de développement étant de plus en plus court, les programmes demandent désormais «  d’industrialiser le processus de développement pour réduire les cycles et rester très agile », note Nexter.

« Nous développons de plus en plus de produits en parallèle, avec de plus en plus de variantes. Nous avons donc constitué une sorte d’usine à prototypes, un site que l’activité d’ingénierie utilise pour concevoir et tester les prototypes dans les phases de qualification », poursuit Sylvain Rousseau. Financée au travers de NextFab, cette « usine » de 4000 m baptisée DDV IVPN a été inaugurée en avril 2021. 

Hormis un espace de travail plus ergonomique pour les bureaux d’études, ce « Skunk Works » à la sauce Nexter dispose de tout l’outillage requis pour réaliser des prototypage et des essais sur fonds propres ou sur commande. La majeure partie de la surface est occupée par 15 travées, dont trois sont « confidentielles ». Celles-ci sont pré-équipées pour répondre aux plus hauts niveaux de classification et restreindre l’accessibilité selon les desiderata du programme. C’est derrière ces murs hermétiques au public que se préparent les prochaines générations d’armements terrestres, matérialisations futures de l’investissement consenti depuis trois ans.