Non, l’achat par la Belgique de 382 Griffon et 60 Jaguar auprès de la France ne coûtera pas dix fois plus cher au contribuable belge. Le ministre de la Défense belge est monté en personne au créneau pour rectifier le tir après la récupération d’un rapport incomplet de la Cour des comptes belge sur le partenariat binational CaMo. Un partenariat stratégique dans lequel la partie belge cherche néanmoins à construire un nouvel équilibre industriel.
« Ce n’est pas une surprise », résumait le ministre de la Défense belge Theo Francken ce mercredi en audition parlementaire. Acquérir, développer, compléter, maintenir, former, entraîner, armer une capacité motorisée au complet durant 25 ans coûte forcément davantage que le prix d’achat d’une tranche initiale. Le voilà, l’écart évident entre le 1,5 Md€ engagé en 2018 et les 14,4 Md€ chiffrés par la Cour des comptes pour la durée de vie du partenariat.
« Il n’y a pas de problème budgétaire, il n’y a pas de déficit supplémentaire », poursuivait le ministre de la Défense. S’il est élevé, l’investissement global est bien pris en compte dans le budget pluriannuel de la Défense, assure un ministre N-VA qui réfutait au passage toute fuite en provenance de son cabinet. Bref, ni oubli, ni mensonge mais un rapport inachevé relayé avec un certain biais par certains acteurs et plateformes toujours preneurs d’un peu de visibilité bon marché. Et tant pis pour le manque de recul, de nuance, de connaissance, voire les trois à la fois.
Reste que, sans tomber dans un complotisme primaire, la sortie de ces chiffres et leur récupération interviennent à un moment charnière. Un dossier de 700 M€ se trouve en effet sur la table ministérielle « entre autres pour les Serval », ces blindés 4×4 complémentaires du Griffon. Et d’autres investissements capacitaires majeurs se profilent à l’horizon, tels que la seconde phase du programme bilatéral de véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE) et le développement et la commande d’un engin du génie de combat (EGC).
Si la Belgique continuera d’investir dans le programme SCORPION, ce sera selon un nouvel équilibre à définir avec le partenaire français, indiquait Theo Francken. Petit coup de pression à la clef. Car la véritable pierre d’achoppement de cette séquence ne relève pas tant du coût global de CaMo que des retours sociétaux, cet autre nom pour des intérêts essentiels de sécurité (IES) non invoqués à la naissance du partenariat CaMo. « C’est peut-être le point le plus sensible », estime celui qui rappelle au passage que « la Belgique n’a pas fait usage de l’article 346 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui permet de protéger les intérêts essentiels de sécurité ». Estimés à 910 M€, les retours sociétaux de CaMo sont donc non seulement non contraignants, mais également liés au seul contrat initial. Les commandes ultérieures n’ont quant à elles fait l’objet d’aucune clause de ce genre.
« On peut nous reprocher d’avoir pris une décision stupide, naïve même, mais c’est un choix bien délibéré que nous avons opéré à ce moment-là », continuait-il en écho au choix d’un ministère alors conduit par un membre du même parti. L’heure est maintenant au rééquilibrage, un mouvement peu étonnant de la part d’un nouveau gouvernement libéral qui a fait du développement de la base industrielle et technologique de défense belge l’un des chevaux de bataille de la législature. Pour le ministre belge, il est désormais question de négocier la suite autrement, voire de revenir sur ce qui a été acté en attachant davantage d’importance aux IES. Exemple avec le projet de commande des Serval, un levier visiblement envisagé pour amener davantage de charge en Belgique et progresser dans l’objectif de montée en gamme de la filière nationale. « Je ne l’ai pas fait pour l’instant parce que je suis toujours en négociation avec les Français pour retrouver ce nouvel équilibre. (…) Je vais donner le go dès qu’il y a un accord », affirmait Theo Francken.
Cette volonté de rééquilibrage est déjà sur les rails. Elle était l’un des points abordés par le Premier ministre belge Bart De Wever lors d’un entretien – autre « hasard » du calendrier – ce mardi avec le président de la République. « J’ai trouvé auprès du Président Macron un partenaire constructif pour faire du projet CaMo un succès et corriger les déséquilibres existants. Nous voulons tous deux en faire un dossier win-win pour les industries de défense française et belge », déclarait le Premier ministre belge sur X en marge de son déplacement parisien.
La pression est palpable mais l’entrevue semble avoir été constructive. « Il y a vraiment de la bonne volonté à Paris pour rectifier cette situation » et s’assurer que CaMo demeure un partenariat modèle. Selon le ministre de la Défense belge, le président de la République « a demandé à son état-major de défense de reconsidérer le dossier ». Le dialogue va se poursuivre au plus haut niveau politique, annonçait un ministre pour qui « un bon partenariat avec la France reste extrêmement important dans cette situation géopolitique particulière ».
Crédits image : 1er RS