Le premier groupement tactique interarmes (GTIA) Scorpion a presque un pied au Sahel. Après une année de montée en puissance, l’essentiel de ce GTIA, formé par le 3e régiment d’infanterie de marine (3e RIMa) et ses appuis, a entamé le cycle de préparation opérationnelle avec un seul objectif en tête : être au rendez-vous de Barkhane en octobre prochain.
Quatre mois avant projection
Les nouveaux matériels et doctrines Scorpion parfaitement assimilés, le premier GTIA Scorpion a commencé sa phase de préparation opérationnelle interarmes (POIA) la semaine dernière au Centre d’entraînement au combat (CENTAC) de Mailly-le-Camp, dans l’Aube.
« Nous sommes à un moment charnière parce que, jusqu’à présent, nous nous sommes entrainés à nous approprier le système d’information du combat Scorpion et les nouveaux véhicules », explique le capitaine Roman, à la tête de la 5e compagnie du 3e RIMa depuis l’été 2020. Désormais, l’appropriation laisse place à la préparation collective, pour la première fois sous format « Barkhane ».
Qu’importe la présence des Griffon et du SICS, le mode d’évaluation et les objectifs de ce CENTAC ne varient pas. Durant les prochains jours, il s’agira d’agréger les savoir-faire, d’échanger les RETEX et d’établir des mécanismes avec celles et ceux qui composeront le futur GTIA. Pour le capitaine Roman, cette rotation en Champagne « sert à nous faire commander, nous faire manœuvrer en situation de fatigue, à tester nos procédures et à entraîner nos sections face aux combats les plus durs ». Grâce aux matériels Scorpion, « nous faisons tout en mieux, et non pas différemment ».
« Après s’être entrainés à la guerre en général, nous allons nous entraîner à une guerre, qui est celle rencontrée en BSS », annonce le capitaine Roman. Dans la foulée du CENTAC, les troupes de marine basculeront dans la préparation des savoir-faire spécifiques à leur mission en bande sahélo-saharienne, avec notamment des phases de contre-terrorisme, de contre-insurrection et de lutte contre les IED jouées au camp de Canjuers (Var).
Le grand retour du GTD Korrigan
Les matériels et doctrines évoluent, mais les traditions restent. Une fois projeté, ce premier GTIA Scorpion deviendra le groupement tactique désert (GTD) Korrigan, dénomination héritée de la créature légendaire de Bretagne. Pugnace et tenace, ce lutin est indissociable du 3e RIMa dans ses mandats au Sahel (2014, 2017), mais aussi en République centrafricaine (2014-2015) et en Afghanistan (2009).
Ce GTD Korrigan engagera pratiquement toutes les unités la 9e brigade d’infanterie de marine (9e BIMa). Au cœur du dispositif, les 1e, 3e et 5e compagnies du 3e RIMa armeront chacune un sous-GTIA. Chaque compagnie sera appuyée par des sapeurs du 6e régiment du génie (6e RG) et des observateurs d’artillerie du 11e régiment d’artillerie de marine (11e RAMa).
Le format, non arrêté à ce jour, pourrait inclure un quatrième SGTIA composé de trois pelotons de reconnaissance et d’intervention (PRI), l’un fourni par le régiment d’infanterie chars de marine (RICM) et les deux autres par le 1er régiment d’infanterie de marine (1er RIMa).
Quatre SGTIA auxquels viendront s’associer le train de combat n°2 ainsi que des éléments en provenance du service de santé des armées (SSA), ou encore de l’Armée de l’Air et de l’Espace.
L’enjeu sera double pour les 800 à 900 militaires concernés : poursuivre la lutte contre les groupements armés terroristes, mais également manœuvrer efficacement avec les nouveaux outils Scorpion.
Déployer le Griffon en OPEX
Cette relève est autant une chance qu’un défi pour les marsouins du 3e RIMa. Une chance, car ils constituent l’avant-garde de la transformation Scorpion. En tant que précurseurs, leurs retours d’expérience seront précieux pour les autres régiments. À commencer par le 21e RIMa, qui devrait être le second à opérer sur Griffon au Sahel. Quatre officiers du « 21 » intégreront le centre opérationnel (CO) du 3e RIMa durant ce CENTAC à des fins de partage d’expérience. Pour les légionnaires de la 13e DBLE également, dont les 3e et 4e compagnies formeront l’an prochain un SGTIA Scorpion sur Griffon au sein du dispositif Barkhane.
Un défi ensuite, car projeter de nouveaux matériels implique toujours une part d’inconnu. Alors, pour réduire la marge d’erreur à son minimum, le 3e RIMa s’est entraîné sans relâche durant ces 14 derniers mois.
Les premiers Griffon perçus, le 3e RIMa a multiplié les CENTAC et autres expérimentations. Point d’orgue de cette montée en puissance, l’exercice Scorpion X mené en décembre 2020 pour valider sur le terrain les schémas doctrinaux. Un exercice directement suivi par la Période de restitution de la transformation Scorpion (PRETS) du 3e RIMa, soit quatre semaines de camp ininterrompues pour les marsouins.
Le successeur du VAB fait dorénavant l’unanimité. « La première sensation quand on est à bord du Griffon, c’est la puissance qu’il dégage. Honnêtement, cela n’a rien à voir avec le VAB. Le Griffon passe partout, pratiquement comme un VBCI. Il nous permet d’agir plus vite, plus fort, plus loin », pointe le capitaine Roman. « Ce qui nous a impressionné lors de la rotation précédente, c’est le dynamisme que l’on parvient à mettre dans les combats offensifs. Et, mine de rien, il est très silencieux ».
La 5e compagnie en pointe
Les Dragons de la 5e compagnie sont aujourd’hui à la pointe au sein d’un régiment en pointe, lui-même relevant de la brigade en pointe sur Scorpion. Ils formeront le SGTIA le mieux pourvu, avec plus d’une dizaine de Griffon sur les 32 exemplaires qui composeront le premier parc OPEX. Il s’agira de Griffon VTT, mais également d’un Griffon « logistique » (Griffon VTT RAV) opéré par le train de combat n°1, dont les éléments sont intégrés aux différents SGTIA.
Ces Griffon seront accompagnés de « kits OPEX » conçus pour apporter un degré de protection largement supérieur à celui du VAB. Hormis un tourelleau téléopéré « désormais stabilisé » et le blindage additionnel sur les flancs et le toit, ce kit comprendra le détecteur de départ de coup Pilar-V, le brouilleur anti-IED BARRAGE, le kit de vision hémisphérique proche ANTARES, ainsi qu’un support mitrailleuse sur l’une des deux trappes de toit situées à l’arrière. L’ensemble va nécessairement « jouer positivement sur la confiance du marsouin », estime le capitaine Roman.
Le Griffon, c’est aussi un degré de confort qui devrait diminuer le facteur fatigue, notamment à l’issue d’une phase de roulage de plusieurs jours nécessaire pour se rendre sur les zones de déploiement. « La base est à Gao, mais des opérations sont montées à 500 km de là. Finalement, avoir la climatisation à bord, un véhicule qui ne vous secoue pas toute la journée et des sièges plus confortables seront des différences énormes ». À l’arrivée, c’est un militaire moins éreinté qui entamera sa mission.
La 5e compagnie est également la première au sein 3e RIMa à être entièrement dotée en nouveaux casques composites F3. S’y ajouteront les pistolets semi-automatiques Glock 17FR et fusils de précision SCAR-H PR. Enfin, les marsouins seront équipés du SICS débarqué. Le 3e RIMa dispose pour l’instant de terminaux en suffisance pour équiper deux de ses trois SGTIA, dotation qui pourrait encore évoluer à la hausse d’ici à l’automne.
Dynamiser la manœuvre grâce au SICS
Si le 13e bataillon de chasseurs alpins (13e BCA) est précurseur sur le déploiement du SICS en OPEX, le 3e RIMa sera le premier à l’éprouver au départ de véhicules de nouvelle génération. Qu’importe sa version et la plateforme sur laquelle il est installé, le sursaut capacitaire sera indéniable pour le capitaine Roman.
Hormis les Griffon nativement équipés, les véhicules d’anciennes générations du GTD Korrigan ont été « Scorpionisés ». Dans le cas du VAB, la tablette SICS est située à l’avant auprès du radio-tireur et non à proximité du chef du groupe, placé en cabine.
La grande révolution apportée par SICS repose sur le blue force tracking, ou géolocalisation amie (GLA), qui permet de connaître automatiquement le positionnement de chacun, ami ou ennemi identifié. « Les sections elles-mêmes arrivent à suivre leur position par rapport à celles d’à côté et peuvent se synchroniser entre elles. Les chefs d’engin disposent en permanence de la topographie exacte et de la direction de leur objectif ».
« En tant que commandant d’unité, je n’ai plus à demander constamment le positionnement des unités amies. Il y a donc beaucoup moins d’échanges sur la radio », relève-t-il. Ce sont autant de points de situation évités, des arrêts lors desquels le véhicule devient une cible statique pour l’ennemi. « Tout cela accélère le combat et évite les tirs fratricides. La manœuvre est donc beaucoup plus sûre et dynamique ».
Même son de cloche au sein du CO monté pour l’occasion à Mailly-le-Camp. « Plus des trois quarts des communications réalisées hors-contact étaient jusqu’à présent relatives à des questions de coordination, donc essentiellement le positionnement et la direction », indique le commandant Fabrice du 3e RIMa, à la tête du CO pendant la phase initiale de l’exercice.
Grâce à SICS, plus besoin de partir à la chasse aux informations. Le système se charge de d’actualiser automatiquement la situation tactique de référence (STR), remontée brute des postes SICS de chaque véhicule partagée instantanément à tous les échelons. Avec ensuite la possibilité pour chaque poste de se concentrer sur son cœur de métier en lui appliquant des filtres et une diminution sensible de la « pollution sonore » au sein du CO.
La radio ne disparaît par pour autant, mais son usage sera davantage limité aux phases critiques. « Lorsque le stress survient, il est essentiel de pouvoir recréer un lien direct entre le commandant d’unité et son chef opérations ou son chef de corps. Il ne faudrait surtout pas que l’infovalorisation coupe ce lien relationnel », nous explique-t-on.