Coup de pouce européen en faveur du financement de la défense

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Deux institutions européennes ont uni leurs forces pour muscler le financement des entreprises de défense. Mais si une ligne de 175 M€ à destination des fonds d’investissement est annoncée, celle-ci ne répond que partiellement aux besoins exprimés par la filière. 

Générer jusqu’à 500 M€

Annoncé vendredi dernier, ce nouveau canal financier baptisé « Defence Equity Facility » sera abondé à hauteur de 100 M€ par le Fonds européen de la défense (FEDef) et de 75 M€ par le Fonds européen d’investissement (FEI). De quoi, au cours des quatre prochaines années, renforcer significativement la capacité du FEI à appuyer les entreprises européennes actives dans l’innovation de défense, de préférence à usage dual.  

Orienté vers les start-ups, TPE et PME, ce mécanisme s’adresse aux fonds de capital-investissement et de capital-risque dotés de stratégies relatives aux technologies de défense. La cible finale ? Parvenir à mobiliser 500 M€ en catalysant des investissements privés supplémentaires parmi les fonds soutenus. Et par là, stimuler le développement d’un écosystème de fonds spécialisés, aujourd’hui évalué à une soixantaine d’acteurs en Europe contre près de 400 aux États-Unis. Avec 15 fonds identifiés dont trois pilotés par BPI France, le paysage français est de loin le plus actif. Une dynamique suivie depuis peu par la Lituanie, seul exemple d’autre État européen déployant un produit financier spécifique à la défense.

« Cette initiative enverra un signal positif au marché et stimulera les investissements privés en faveur de l’innovation de défense. Il s’agit d’un pilier clé du programme européen d’innovation de défense, qui vise à renforcer la compétitivité technologique et la sécurité de l’Europe, en soutenant un écosystème florissant de start-ups et de PME de défense », s’est félicité le Commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton. 

« Ce partenariat renforcera encore les capacités de défense européennes dans un monde de plus en plus interconnecté et confronté à de nouveaux défis géopolitiques. La Defence Equity Facility contribuera aux objectifs de l’Initiative stratégique pour la sécurité européenne de la BEI [Banque européenne d’investissement] et jouera un rôle clé dans la promotion des technologies de pointe contribuant à la défense et à la sécurité de l’UE, confirmant ainsi que ce domaine stratégique est une priorité pour le Groupe BEI », pointait le vice-président de la BEI, le Belge Kris Peeters. 

Si le geste est significatif, sera-t-il suffisant ? Rien n’est moins sûr face à des besoins en financement évalués à 2 Md€ en fonds propres et à entre 1 et 2 Md€ en emprunts par une étude commanditée par l’Union européenne et publiée la veille de l’annonce de la Commission. Et ces estimations restent prudentes, car elles ne prennent que partiellement en compte les entreprises engagées dans le développement de technologies duales. Surtout, la réponse institutionnelle relève davantage de l’incitant que de la réponse de fond aux barrières normatives et culturelles auxquelles sont confrontées depuis longtemps les entreprises de la BITDE. 

Derrière l’arbre, une forêt d’obstacles

Malgré le regain d’intérêt découlant du réarmement généralisé, « les PME opérant dans du secteur de la défense se heurtent toujours à des obstacles plus importants pour l’accès au financement que dans d’autres secteurs », pointe cette étude basée sur les réponses de 143 structures de toutes tailles basées dans 25 pays. D’après ce document d’une centaine de pages, environ 40% des 124 PME interrogées font part d’un accès difficile ou très difficile au financement privé. 

Identifiés de longue date, les obstacles relèvent autant de la complexité et de la longueur des procédures d’achat réduisant la visibilité quant au potentiel d’un marché que de réglementations spécifiques, du filtrage appliqué pour l’investissement provenant de l’étranger et d’un éventail trop restreint d’investisseurs européens axés sur l’accompagnement des sociétés matures, contribuant à limiter les opportunités de sortie. Sans oublier l’interprétation toujours plus stricte et prudentes des critères ESG, synonyme d’exclusion de la part des banques et fonds non spécialisés. 

Résultat : une épidémie de découragement. Face à une montagne de difficultés, plus des deux-tiers (68%) des sociétés se sont abstenues d’augmenter leur capital via l’actionnariat en 2021 et 2022. Et près de la moitié, soit 44%, n’auront pas tenté leur chance auprès des banques. Deux chiffres à mettre en relief par rapport à la moyenne européenne tous secteurs confondus, estimée à 6,6%.

« Une action rapide est nécessaire pour combler le déficit de financement », estime – sans surprise – cette étude. Faute d’inflexion rapide dans les rangs privés, la seule piste à court terme reste celle du soutien public. Celui-ci, de par ses banques nationales et programmes spécifiques, joue en effet « un rôle crucial de signalement aux investisseurs privés et d’atténuation des risques d’investissement ». 

Des efforts sont là aussi nécessaires, que ce soit à l’échelon étatique ou européen. Selon l’étude, les caractéristiques propres à la défense exigent d’alimenter dans la durée, mais aussi de spécialiser et de diversifier les mécanismes de soutien, ce en quoi l’approche proactive de la France pourrait servir de modèle. Densifié et structuré, cet écosystème renforcerait la puissance du signal vis-à-vis d’investisseurs trop enclins à dégainer les cartes éthiques et réglementaires. Enfin, il convient de faciliter la mise en relation entre investisseurs et entreprises, canal dédié propre à mieux informer les premiers sur les opportunités et caractéristiques de la filière et qui pourrait prendre la forme de forums ou d’événements de réseautage ciblés.