Entre CAESAR supplémentaires et Griffon MEPAC, de nouvelles acquisitions sont sur la table en Belgique. Autant d’investissements consentis au profit de la Composante Terre, mais qui ne sont qu’un pan d’une dynamique globale de renforcement de l’appui-feu indirect.
S’aligner sur le partenaire français
Pour la Belgique, intégrer le club CAESAR était également une étape d’un plan ambitieux pour « redonner ses lettres de noblesse à l’artillerie après avoir perdu en capacité en termes de puissance de feu et de portée », nous explique le lieutenant-colonel David Manunta, responsable du domaine 3D au sein de l’état-major de la Composante Terre.
« C’est aussi logique au vu de l’environnement opérationnel auquel nous sommes confrontés. Le contexte stratégique nous impose de revenir vers des moyens lourds, dont un 155 mm devenu une norme au sein de l’OTAN », souligne l’officier belge. De fait, depuis le retrait des obusiers automoteurs M109 il y a une quinzaine d’années, la Composante Terre ne peut plus compter « que » sur les obusiers LG1 de 105 mm et les mortiers tractés de 120 mm opérés par son unique bataillon d’artillerie. Réinvestir dans un appui-feu robuste et puissant devenait dès lors « une condition sine qua none que pour offrir une capacité pertinente pour la Défense belge et la Composante Terre en particulier ».
À l’instar de l’infanterie et de la future cavalerie, l’artillerie s’est adossée au partenaire français pour conduire sa transformation. La démarche s’inscrit naturellement dans le partenariat binational CaMo, avec de premiers effets capacitaires ressentis dès la mi-2022 avec la commande par la Direction générale de l’armement (DGA) de neuf CAESAR Mk II au nom du client belge. Un jalon initial dans la longue route pour parvenir à l’interopérabilité native entre artilleurs des deux pays, « jusqu’à permettre l’intégration d’une batterie belge au sein d’un régiment français et vice-versa ».
Si la livraison des CAESAR ne démarrera qu’en 2027, la Belgique n’a pas attendu pour prendre pied en France. Un officier a, par exemple, été inséré auprès de la division des études et de la prospective artillerie (DEP ART), « qui, justement, observe les leçons que nous pouvons tirer des conflits contemporains et traduire celles-ci en autant de mesures et contre-mesures face aux nouvelles menaces ». Lieu d’échange privilégié des retours d’expériences et bonnes idées, le club CAESAR fondé la semaine passée à Draguignan ajoute un cadre multinational à cette démarche d’intégration des savoir-faire, doctrines et autres procédures et, plus tard, de transformation des unités opérationnelles.
En parallèle aux perceptions, la Composante Terre prévoit de former ses instructeurs à Draguignan et Canjuers, là où s’est installée l’école de l’artillerie. Leur mission ? « Intégrer les connaissances nécessaires puis retourner en Belgique pour eux-mêmes former les personnels concernés dès que le nouveau matériel arrivera ». Il s’agira entre autres d’apprendre à travailler à partir du logiciel de conduite de tir ATLAS en service en France, lui aussi au coeur de l’infovalorisation construite par les programmes SCORPION et CaMo.
Embarquer dans ce club CAESAR dès sa fondation était indispensable pour remonter en puissance et aborder sereinement les nombreux défis techniques d’un schéma dépassant le canon automoteur de KNDS pour recouvrir un ensemble d’effecteurs, de capteurs, d’outils de communication et de conduite de tir constituant « un système de systèmes artillerie ». Des matériels que la Belgique envisage d’acquérir rapidement en misant en grande partie sur le levier contractuel de CaMo.
Vers un appui-feu à deux bataillons
D’ici à 2030, la Belgique prévoit d’engager près de 2 Md€ pour acquérir les équipements et munitions supplémentaires nécessaires au renouvellement des appuis-feux. L’enveloppe permettra, entre autres, de commander 19 CAESAR Mk II supplémentaires et 24 Griffon MEPAC, de quoi équiper au complet le bataillon actuel basé en Flandre et entamer la construction d’un second bataillon en Région wallonne. Et autant de contrats majeurs pour les principaux industriels concernés – KNDS, Thales et Arquus – que la Défense belge espère entériner d’ici la fin de l’année.
Côté flamand, l’unité aujourd’hui basée à Brasschat et Nieuwpoort armera deux batteries chacune composée de deux sections à quatre CAESAR. Elle opérera également une batterie de huit Griffon MEPAC tout en poursuivant la reconstitution d’un plot de défense sol-air très courte portée autour du missile Mistral 3. Côté francophone, le futur bataillon installé dans une garnison non détaillée à ce jour recevra une batterie de CAESAR ainsi qu’une batterie de Griffon MEPAC. Les CAESAR et Griffon MEPAC restants serviront de réserve et pour l’appui aux formations.
Réactiver une capacité francophone exigera un peu de patience. Sans partir d’une feuille blanche, la démarche demandera en effet un effort en matière de ressources humaines, poursuivi du cycle normal d’instruction. Son activation n’est donc pas attendue avant le début de la prochaine décennie. Et la bascule s’avère d’autant plus complexe qu’elle s’accompagne d’un rythme opérationnel particulièrement dense. Présents actuellement en Lituanie et en Roumanie, des éléments du bataillon d’artillerie sont aussi activés durant toute cette année au profit de la force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF) de l’OTAN et seront placés sous le commandement de l’European Union Battle Group à compter du 1er janvier 2024.
L’entrée en service d’équipements neufs, de même que les transformations à l’œuvre dans l’armée de Terre impacteront la dotation et le format des unités belges. Après avoir été maintenues pour conserver les savoir-faire, les pièces de 105 mm s’effaceront parallèlement à la perception des premiers CAESAR. La destination des mortiers tractés de 120 mm est quant à elle à l’étude. Hors de question de remiser des systèmes qui ont fait leurs preuves, mais la recréation d’une section de mortiers dans les régiments d’infanterie français amène son lot de réflexions. Entre la décentralisation adoptée par la France et le statu quo, aucune piste n’est privilégiée pour l’instant.
Qu’ils soient tractés ou embarqués, les mortiers continueront d’être mis en oeuvre au profit des unités de combat. « La tendance naturelle veut qu’une section MEPAC ou de mortiers tractés soit d’office mise en appui d’un GTIA à dominante infanterie ou cavalerie. (…) Sans oublier qu’il sera aussi appuyé avec les moyens relevant de la brigade, que seront les CAESAR par exemple », rappelle le lieutenant-colonel Manunta.
Restent quelques chantiers à lancer. Dans le champ des capteurs, par exemple. La Belgique a d’emblée commandé 15 Griffon « véhicule d’observation d’artillerie » (VOA) lors du premier contrat CaMo, un volume qui devrait être doublé dans un second temps pour être en mesure d’appuyer toutes les unités de la Composante Terre. Des lignes budgétaires sont par ailleurs prévues pour l’acquisition de radars longue portée afin de muscler une contre-batterie reposant sur des systèmes Squire et AN/TPQ-50 aux performances limitées. Pour ces projets et bien d’autres, « le principe de base reste bien de s’aligner sur le partenaire français » pour que, dans une décennie, les chaînes de feu des deux pays ne fassent quasiment plus qu’une.
Crédits image : Composante Terre