LOADING

Recherche

Souveraine et multimission : comment Nexter, EOS et TRAAK feront décoller la munition téléopérée LARINAE

Partager

Top départ pour LARINAE, second projet de développement d’une munition téléopérée (MTO) lancé par la Direction générale de l’armement (DGA) et l’Agence de l’innovation de défense (AID). Deux consortiums l’emportent parmi 16 propositions industrielles. D’un côté, MBDA et Delair avec la munition MUTANT. De l’autre, une solution souveraine et multimission proposée par Nexter, EOS Technologie et TRAAK. 

18 mois pour convaincre

« Le compte à rebours est lancé », annonçait le directeur général d’EOS Technologie, Jean-Marc Zuliani, lors du dernier salon du Bourget. Dans le viseur ? Une première démonstration avec un système complet équipé d’une tête militaire inerte d’ici à fin 2024, jalon qui permettra à l’AID et la DGA « d’évaluer la pertinence des propositions industrielles vis-à-vis du besoin opérationnel exprimé par les armées françaises ». 

Au cours des 18 prochains mois, les consortiums poursuivront une phase de prototypage, d’exploration et de montée en maturité qui participera à répondre aux enjeux aussi divers que la capacité du drone à parvenir sur sa cible, à conserver des liaisons de données sécurisées, à délivrer une munition avec précision, ou encore à rentrer en sécurité en cas de non déclenchement.  

« LARINAE, pour nous, ce sont deux innovations. La première, c’est une nouvelle règle du jeu qui était d’imposer un travail en commun entre startups et grands groupes. Et la seconde c’est que, presqu’il y a un an jour pour jour, nous avions trois semaines pour répondre et nous engager sur deux nouveautés : un coût unitaire maximal de 200 000€ par munition et un délai prévu à l’avance pour en faire la démonstration », note le patron d’EOS Technologie. Restait une marge de manoeuvre moins affichée, celle d’un degré de souveraineté sur lequel le trio a considérablement travaillé pour parvenir à une solution présentée comme « ITAR free » et « BAFA free ».

L’attribution de ce marché, Nexter & Cie l’avait pressentie dès octobre 2022. Depuis, les partenaires n’ont pas perdu de temps et ont progressé sur fonds propres pour compenser la flambée des délais de fourniture de certains composants et s’assurer d’être au rendez-vous fixé par la DGA et l’AID. 

Si MBDA propose un drone d’une dizaine de kilos à ailes déployables, l’équipe emmenée par la branche munitionnaire Nexter développe une solution à voilure fixe d’une quinzaine de kilos, de plus de 4,5 mètres d’envergure, à décollage vertical (VTOL) et favorable à l’endurance. Cette solution inspirée du Strix 425 d’EOS se veut nativement multimission, « un paramètre qui nous a permis de remporter l’appel d’offres LARINAE », relève un représentant de Nexter Arrowtech.

Une seule solution pour plusieurs missions

 « Pour nous, une MTO n’est pas forcément ce qu’on peut lire uniquement dans la presse, à savoir une copie d’un Switchblade américain ou d’un Hero israélien. Une MTO, ce peut aussi être autre chose qu’une ‘roquette longue portée’ », indique Jean-Marc Zuliani. ». Son vecteur sera capable de voler à 75 km/h en vitesse de croisière et dans un rayon de 80 km, bien au-delà des 50 km imposés par l’appel à projets et suffisamment pour réaliser des missions d’observation, de renseignement, de surveillance, d’acquisition, de levée de doute. Le tout de manière discrète, car les drones d’EOS sont aussi conçus comme des planeurs capables d’évoluer moteur électrique éteint. 

Au coeur du système, une munition de 2 à 3 kg de type « charge génératrice de noyau » inspirée de celle de l’obus antichar de 155 mm BONUS. « C’est une première mondiale pour un emport sur drone », souligne Nexter. La charge de LARINAE sera cependant moins complexe car misant sur la boule optronique du drone pour se diriger le vecteur en lieu et place de l’autodirecteur intégré aux deux charges du BONUS. En confiant la visée terminale à l’opérateur, cette MTO devrait offrir un niveau de précision métrique sur une cible durcie immobile ou en mouvement.

Pas question de percuter une cible potentiellement protégée avec le drone : celui-ci volera en éclat à quelques dizaines de mètres, distance choisie pour déclencher la charge et projeter un noyau métallique à 2000 mètres par seconde. La manoeuvre n’a rien de simple et nécessitera de déterminer le bon angle d’attaque pour maximiser les effets.

Un drone type VTOL présenté par EOS lors du dernier salon du Bourget, préfiguration de ce à quoi pourrait ressembler leur version de LARINAE

« Et si elle ne trouve aucune cible valorisée, la MTO revient et se pose sur le ventre », ajoute Nexter. Une réutilisation qui peut sembler risquée, mais pour laquelle Nexter apportera son savoir-faire en terme de munitronique. L’ajout d’une simple LED, par exemple, permettrait à l’opérateur non spécialisé d’appréhender par un simple code couleur de l’état d’inertie ou d’activation de la charge. 

À l’instar de ses autres gammes, le munitionnaire n’exclut pas de proposer à terme un catalogue complet de charges, de l’explosive à la fumigène, creuse, létale ou non létale. Partagée avec COLIBRI, autre sujet dans lequel Nexter s’investit, la démarche pourrait déboucher sur la création de nouveaux standards de munitions destinées aux MTO. 

Chasser en meute

« Le chef d’état-major des Armées nous avait indiqué de chasser en meute », se souvient Jean-Marc Zuliani. Message parfaitement compris par Nexter, qui a su s’adjoindre les services de deux références dans leur domaine respectif. Surnommé « le Skunk Works des armées françaises » par certains, EOS Technologie aura conçu rien de moins que quatre nouvelles références en quatre ans, du minidrone de 3 mètres d’envergure au drone tactique léger (MAME) de 12 mètres. Un tour de force sans équivalent en Europe et seulement égalé par l’américain AeroVironment et le turc Baykar.

Autre force qui aura motivé Nexter à se rapprocher du droniste bordelais : des plateformes pratiquement dépourvues de carbone. Un choix à contre-courant du reste du marché et motivé par deux effets négatifs, que sont une surface de résistance très similaire au métal qui le rend facilement détectable aux radars et la génération d’une cage de Faraday entraînant des soucis de latence, voire des coupures ou des pertes de contrôle. « Nous avons mis au point, depuis une trentaine d’années, une méthode de fabrication composite assez évoluée qui permet aujourd’hui de nous passer presque entièrement de carbone », se félicite le patron d’EOS. 

Innover ne suffira pas, il faudra également sécuriser pour s’assurer que le drone puisse réaliser sa mission « surtout quand il est brouillé par le camp ennemi ». « En Ukraine, aujourd’hui, nous en sommes à plus de 300 drones détruits du seul fait du brouillage », rappelle Jean-Marc Zuliani. Un exemple qui explique à lui seule la présence de TRAAK, spécialiste français des traqueurs de localisation dont les solutions permettent de naviguer sans GPS et de pouvoir travailler avec un drone et un opérateur « silencieux ». « Nous travaillons sur différents angles. La technologie pour LARINAE, telle qu’elle est définie dans le projet, est quelque chose d’unique. Elle consiste par contre de différentes briques technologiques que l’on maîtrise en interne, déjà développées ou en développement », souligne son PDG et co-fondateur, Thomas Duroyon.  

« La problématique est double. Il s’agit de contrer l’ensemble des menaces et d’interfacer notre système avec celui d’EOS », complète la startup fondée en 2020. Celle-ci doit notamment compiler avec une montagne de cas non conformes à intégrer pour que l’outil puisse y répondre, autre RETEX de l’Ukraine. Là aussi, la question de la souveraineté est clé. « Nous avons assuré à l’AID et à la DGA qu’il n’y a aucune boîte noire dans l’électronique. Tout est transparent. Il n’y a aucun composant ITAR, par exemple ». 

Pour les trois acolytes, la notification intervenue il y a  moins de deux semaines n’est qu’un point de départ. Si la démonstration initiale s’avère probante, une tranche optionnelle pourrait être activée en vue d’un essai à partir d’une charge militaire active « 6 à 12 mois plus tard », précise Jean-Marc Zuliani. Et, derrière, l’objectif reste bien de s’imposer comme fournisseur des armées dans une compétition qui n’est pas réservée qu’aux lauréats de LARINAE. 

En France ou ailleurs, le besoin pour ces MTO est immense. Côté français, la seule armée de Terre devrait percevoir au moins 1800 de tous types sur la période. Mille unités, cela peut paraître peu pour un munitionnaire dimensionné pour produire des millions d’unités par ligne, mais c’est un défi de taille pour une structure comme EOS. Le passage à l’échelle, mais aussi les questions d’accélération et de volumes suscitées par le principe d’économie de guerre, nécessiteront de plancher sur de nouveaux processus industriels pour « diviser par 10, par 50, par 100 le temps de fabrication d’un vecteur ». Entre l’agilité d’EOS et de TRAAK et la force de frappe de Nexter, il suffirait, en cas de commande étatique, de moins d’un an pour que sortent les premières munitions, estime le titulaire du marché. 

Laisser un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *