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PRONOÏA, ou la recherche de l’autoprotection soft-kill de demain

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Voilà près de trois ans qu’une équipe emmenée par Lacroix Defense, spécialiste français de systèmes pyrotechniques, travaille sur l’autoprotection « soft-kill » de demain au profit des armées françaises. Point d’étape à mi-parcours d’un effort dont l’aboutissement est attendu pour 2025. 

De S-KAPS à PRONOÏA

Sur un champ de bataille rendu de plus en plus transparent par la profusion de capteurs, la survie dépend aussi de la capacité à disparaître ou à leurrer l’adversaire. Et la prolifération de munitions rôdeuses, obus guidés et autres missiles antichars n’a fait qu’accroître le besoin d’intégration d’une protection active au moins aussi intelligente sur les véhicules de combat. 

Cet enjeu bien défini et renforcé par l’ancienneté des systèmes de protection dont dispose l’armée de Terre, la Direction générale de l’armement (DGA) lançait il y a plus de deux ans le projet de technologies de défense (PTD) « Protection Novatrice Orientable Intégrée d’Auto-protection soft-kill » (PRONOÏA). 

Personnification de la prévoyance dans le panthéon grecque, PRONOÏA est depuis lors managé par Lacroix Defense, à l’origine d’un système GALIX conçu conjointement avec GIAT Industries (devenu Nexter) dans les années 1990 et utilisé depuis lors sur VBCI au Mali, sur char Leclerc au Yemen, sur AMX-10RC et CV-90 en Ukraine. C’est en partant de cette autoprotection « maison » que l’entreprise toulousaine a développé une première évolution : « Soft-Kill Advanced Protection System » (S-KAPS). 

Dévoilé l’an dernier à Paris au salon Eurosatory, S-KAPS pose les bases d’une solution ouverte, évolutive, connectée à la vétronique du véhicule pour réduire les temps de détection, d’analyse et de réaction et offrir la meilleure solution de masquage. Un pari gagnant, la première mouture de S-KAPS est rapidement adoptée en Arabie Saoudite. « Nous attaquons maintenant avec d’autres pays d’Europe et du Moyen Orient et d’ailleurs avec différentes variantes de S-KAPS », explique Éric Galvani, responsable programme pour Lacroix Defense. Au Canada, par exemple, en vue de répondre à l’adoption par les forces terrestres locales d’un nouveau standard d’autoprotection. Chez le voisin américain, également, où les performances des solutions de masquage ont été validées par un grand centre de la cote Est. 

D’un simple boîtier de commande activant des lanceurs, S-KAPS a fait évoluer l’architecture vers des configurations plus complexes, au bénéfice de la survivabilité. « Nous rentrons dans des concepts de protection proches de ceux que l’on trouve dans les domaines naval et aéronautique ». La première architecture de S-KAPS, qualifiée par un utilisateur du Moyen-Orient et déjà opérationnelle, combine des systèmes d’alerte laser et acoustique à un calculateur, lui-même associé au système de combat, aux lanceurs et à des munitions multispectrales actives dans le visible et l’infrarouge. L’ensemble offre une protection quasi immédiate à 360°.

L’initiative restera orientée vers l’export jusqu’en 2016, date à laquelle la multiplication des licences mettra la puce à l’oreille de la DGA. Après une évaluation lors d’une OER (Opération d’Expérimentation Réactive), S-KAPS finit de convaincre les militaires et rehausse le degré d’ambition alors existant dans le domaine. D’un effort orienté sur l’évolution des munitions GALIX, PRONOÏA se réoriente vers un système complet et, surtout, souverain. 

Vers une solution souveraine

Si S-KAPS et PRONOÏA partagent un objectif commun, le premier vise un horizon immédiat et ne s’interdit donc pas de recourir aux composants étrangers disponibles sur étagère. Brique centrale, le détecteur d’alerte laser repose aujourd’hui sur la solution LEDS 50 de la filiale sud-africaine du groupe suédois Saab ou sur les composants du système MUSS conçu par l’allemand Hensoldt. 

PRONOÏA doit quant à lui déboucher vers 2030 sur un outil souverain. Lacroix est pour cela accompagné de quelques grands noms de la filière française, réunis au sein d’un groupement momentané d’entreprises conjoint (GMEC). Ce sont Thales et Bertin pour la détection, KNDS (Nexter Systems) et Arquus pour l’intégration sur plateforme, KNDS (Nexter Arrowtech) pour les effecteurs ainsi que Metravib Defense, Sadal Engineering et l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL), les trois derniers opérant au titre de sous-traitants. 

Porteur du projet, Lacroix détient la responsabilité de l’architecture système, du calculateur d’analyse et de réaction, des algorithmes de mise en œuvre – « ce qui est en quelque sorte le cœur de la réflexion et de l’innovation », pointe Éric Galvani – et des effets de masquage multi-bandes (visible/IR), de protection de foule et de nouvelles munitions de leurrage.

Démonstration de S-KAPS à partir d'une tourelle fournie par John Cockerill Defense (Crédits image : Lacroix Defense)
Démonstration de S-KAPS à partir d’une tourelle fournie par John Cockerill Defense (Crédits image : Lacroix Defense)

Ensemble, les partenaires planchent sur un outil incrémental capable d’agréger les technologies au fur et à mesure de leur apparition pour mieux s’adapter aux menaces futures. L’architecture sera donc ouverte, optimisée pour toutes les classes de véhicules et offrira une prédisposition pour la protection collaborative, dont les premiers jalons sont franchis au travers du programme SCORPION. 

À terme, PRONOÏA agglomérera plusieurs capteurs, chacun réalisant sa propre fusion de données. Ces paquets d’informations « pré-mâchées » sont transmises au calculateur pour fusionner le tout, confirmer la menace et permettre à un algorithme de décision souverain de dialoguer avec le module d’aide à la riposte et de protection pour générer une réponse adaptée. Réponse qui prendra non seulement la forme d’un masque multibande mais aussi de recommandations de manœuvre au pilote. Le tout sans latence, l’une des clefs de la survie restant l’immédiateté. 

PRONOÏA promet des gains opérationnels multiples. Augmenter la survavibiltié du porteur et de son équipage, bien sûr, mais aussi décharger un peu le volet cognitif, diminuer les contraintes d’emport et d’emploi et les effets sur le véhicule tout en maîtrisant les coûts par la réduction du nombre de lanceurs et de munitions tirées. « Notre intérêt, grâce à l’algorithme, c’est aussi de diminuer le nombre de lanceurs. Il fallait jusqu’à présent 24 lanceurs pour couvrir un véhicule à 360°. Avec ces algorithmes, nous pourront réduire ce nombre de moitié sans diminuer les performances grâce à un usage optimisé », précise Éric Galvani. 

Un démonstrateur avant 2025

PRONOÏA ne se contente pas d’accélérer et d’automatiser un processus aujourd’hui essentiellement manuel. Il apporte également quelques fonctionnalités nouvelles, dont celle du leurrage. Celle-ci se concentrera en priorité sur les attaques par le toit, point de vulnérabilité identifié de longue date par les concepteurs de munitions anti-véhicules. Entre autres pistes poursuivies, la première relève de la « séduction », à savoir la volonté d’attirer et de déclencher la menace à distance en proposant une seconde signature thermique crédible tout en réduisant celle du véhicule ciblé. Si la technologie reste secrète, celle-ci pourrait aboutir « dans un très proche avenir », annonce Lacroix.

Multi-effets, le système S-KAPS  pourrait également mettre en œuvre une fonction de brouillage qui ne serait pas seulement limitée aux brouilleurs infrarouges connus actuellement. D’autres voies sont ainsi à l’étude pour orienter la réflexion vers la lutte anti-drones, segment déficitaire parmi les armées françaises que la prochaine loi de programmation militaire pour 2024-2030 tentera d’étoffer. 

Le fruit de PRONOÏA n’est pas attendu avant la prochaine décennie et, malgré un contexte propice aux nouvelles réflexions, aucune accélération n’est à l’ordre du jour. L’heure est plutôt à la recomplétion des stocks de munitions GALIX par certains pays proches de la frontière russe, pointe l’industriel. L’Agence OTAN de soutien et d’acquisition (NSPA) vient ainsi d’émettre un appel d’offres pour la production de plusieurs dizaines de milliers de munitions de la gamme GALIX. 

Le GMEC progresse donc selon le calendrier initial et œuvre essentiellement à la finalisation des préparatifs en vue d’une démonstration à partir d’un petit véhicule protégé (PVP) acquis par Lacroix pour servir de banc d’essais roulant. Ces essais seront déterminants pour déverminer les algorithmes, affiner le panel de réactions et parvenir, en 2024, au stade du démonstrateur final embarqué sur un véhicule léger des forces spéciales (VLFS). Un choix qui pourra surprendre mais reste parfaitement aligné avec la volonté initiale de porter PRONOÏA en priorité sur les plateformes légères. Les segments médians et lourds, comme SCORPION et le Leclerc XLR ou son successeur, arriveraient dans un second temps.

Lacroix a déjà accumulé du savoir en qualifiant et en intégrant S-KAPS sur des véhicules de patrouille spéciale (VPS) au profit des unités du Commandement des opérations spéciales (COS). De quoi aborder sereinement une dernière ligne droite qui amènera l’équipe à proposer une première réponse technique crédible et souveraine. Aux forces d’ensuite acter la prochaine étape tout en précisant le degré d’ambition. 

Crédits image : Lacroix Defense

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