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Levant : la France devra-t-elle s'installer dans la durée?

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Limiter le coût des opérations extérieures, en réduisant le dispositif de Chammal et en soulageant celui de Barkhane, c’est éviter un surcoût des OPEX, soit conserver des crédits cruciaux pour les forces armées françaises. Si l’influence de Daesh décline de jour en jour, Washington, Moscou, Ankara et Téhéran s’installent pourtant dans la durée au Levant. Dès lors, quelle option reste-t-il à la France, dont l’objectif est d’assurer la stabilité de la région?

 

Carte présentant le recul de l'EI. Janvier 2018. (Crédits : IHS Monitor)

Carte présentant le recul de l’EI. Janvier 2018. (Crédits : IHS Monitor)


 

Fin 2017, tout tendait à l’allégement de la présence française au Levant, puisque la menace de Daesh en tant que proto-Etat était devenue quasi inexistante. Dans ce sens, le vendredi 8 décembre, lors d’un conseil de défense, des options avaient été présentées pour réduire les moyens militaires français en Irak et en Syrie. On annonçait alors le retour en métropole de plusieurs Rafale et canons automoteurs CAESAR. Cependant, la disparition de l’État islamique ne rime pas avec le départ de forces armées dans la région, bien au contraire.

 
Tout d’abord, et comme l’avait expliqué l’Etat-major des armées à l’époque, la possible mutation de l’EI signifie que tout n’est pas terminé. Il faut impérativement faire progresser la sécurisation du territoire et nettoyer les « dernières poches terroristes restantes ». Cela permettra aux armées actives en Irak et en Syrie de garder un pied (ferme) dans les zones pacifiées. Difficile d’imaginer la fin d’une OPEX au Levant, d’autant plus lorsque les Etats-Unis adressent un message aux nations de la coalition internationale: « ne partez pas tous ». La France va-t-elle limiter sa présence au renseignement, à la formation et à l’assistance dans des zones à la souveraineté inexistante, là où deux puissances régionales et deux super-puissances militaires entendent s’installer durablement, voire, continuer le combat dans le cas des Turcs ?
 

Carte présentant les multiples belligérants du théâtre levantin en janvier 2018, hors coalition internationale , Russes, Turcs et Iraniens (Crédits : IHS Monitor)

Carte présentant les multiples belligérants du théâtre levantin en janvier 2018, hors coalition internationale , Russes, Turcs et Iraniens
(Crédits : IHS Monitor)


 

Le dossier irako-syrien reste cher à M. Le Drian, ministre de la Défense lors du déclenchement de l’opération Chammal. Aujourd’hui, il s’agit pour le ministre de ne pas laisser la Syrie aux mains d’Assad et d’éviter au peuple kurde d’être réduit au silence. La posture française est-elle adaptée face à l’appétit des ogres ? Le processus de Genève poussé par les Américains et soutenu par l’ONU tarde à donner des résultats, le départ d’Assad n’est donc pas pour demain. De même, la France n’a pas été conviée au Congrès du dialogue national syrien, organisé à Sotchi le 30 janvier prochain.

Le ministre des Affaires étrangères ne reste pour autant pas les bras ballants. Selon lui, les Russes « ne pouvaient pas » régler seuls la crise syrienne, « la Syrie devra un jour être reconstruite et leurs moyens n’y suffiront pas», les Nations Unies estimant le coût de la reconstruction du pays à 250Md$ (215Md€). Le Drian souhaite donc un « rapport direct entre puissances », c’est à dire la poursuite du dialogue avec les Russes. L’objectif du quai d’Orsay est « de créer un environnement stabilisé qui permette d’organiser des élections et de forger une nouvelle Constitution » qui pourrait constituer la base d’un consensus « y compris pour les Russes ». Mais si Le Drian parvient à s’entendre avec Lavrov comme il le souhaite, que dire de ses homologues turcs et iraniens ? Et comment faire coopérer à la fois les Russes, les Iraniens et l’allié Américain ?

La communication de la Russie sur le sujet levantin fait, quant à elle, gagner du temps et des points à Poutine. La Russie continue de protéger le régime d’Assad mais reste plutôt passive face aux opérations d’autres forces armées sur le territoire de l’Etat syrien. Moscou laisse notamment les Turcs y écraser le PKK, tout en invitant les Kurdes au congrès pour la paix. Paradoxalement, les Russes sont peut-être les plus actifs en Syrie et, même si Poutine a annoncé un retrait partiel, ses soldats sont déployés à proximité du Golan et poursuivent leur installation via une base navale et une base aérienne. Celles-ci vont être agrandies et devenir des centres militaires permanents pour au moins 49 ans.

 

D’autre part, quid de l’Oncle Sam ? « Il est crucial, pour notre intérêt national, de maintenir une présence militaire et diplomatique en Syrie (…) un désengagement américain fournirait à l’Iran l’opportunité de renforcer sa position en Syrie ». Tillerson a (peu) parlé du dossier syrien lors d’une conférence le 17 janvier dernier, rappelant que l’EI était la cible prioritaire des Etats-Unis et que si il avait actuellement un pied dans la tombe, il en aurait bientôt deux en gardant une présence américaine « sur la durée ». Une présence pour ne pas faire « la même erreur qu’en Irak ». Les Américains ne participeront pas à la reconstruction du pays tant que Al-Assad sera au pouvoir. Ayant pour objectif l’organisation d’élections en 2021, ils espèrent une gouvernance arabo-kurde, empêchant alors les Iraniens de mettre en place un corridor Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth.

N’en déplaise aux Etats-Unis, les Iraniens ont eux aussi un plan de stabilisation du pays, et ce avec l’aide de Damas et Moscou. Al-Assad finira par reprendre le contrôle des provinces de Deir ez-Zor puis d’Idlib, avant de négocier l’autonomie des Kurdes contre des territoires arabes. Ensuite, la stabilisation permettra à Damas d’entamer la reconstruction du pays et aux Iraniens d’établir leur zone d’influence. C’est en tout cas ce qu’expliquait Fabrice Lalanche, maître de conférences à Lyon 2 et chercheur invité à l’université de Stanford, lors de son audition par la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat le 6 décembre 2017 : « les Syriens comptent reconstruire le pays par leurs propres moyens, et à un coût bien moindre. L’économie sera relancée par l’accès au marché irakien. Avant la guerre, l’Irak était le premier client de la Syrie, et achetait fruits et légumes, produits manufacturés, faisant la prospérité d’Alep. L’intégration économique Liban-Syrie-Irak-Iran est la clef de la reconstruction syrienne ». La stabilisation du régime et la sécurisation d’un marché économique permettront un retour des investissements de la diaspora syrienne et devraient contenir le départ des locaux.

 
Comme les Iraniens, les Etats-Unis veulent rester. Dans cette optique, la coalition internationale a annoncé la formation d’une nouvelle force de sécurité frontalière composée de 30 000 hommes. Ceux-ci seront entraînés et appuyés par l’armée américaine, puis massés le long de la frontière turque. Ils seront pour la plupart issus des rangs du YPG, branche armée kurde opposée à Erdogan.
 

Anadolu Agency : Members of Free Syrian Army (FSA), backed by Turkish Forces, are seen as they launch an operation against PYD/PKK in Afrin, as part of the "Operation Olive Branch", on January 22, 2018 in Azez region of Aleppo, Syria

Anadolu Agency : Members of Free Syrian Army (FSA), backed by Turkish Forces, are seen as they launch an operation against PYD/PKK in Afrin, as part of the « Operation Olive Branch », on January 22, 2018 in Azez region of Aleppo, Syria


 
Evidemment, l’outsider (in)attendu du théâtre levantin s’est fait entendre, et est d’autant plus bruyant aujourd’hui. Après avoir menacé de « tuer dans l’oeuf » la force prévue par les Etats-Unis, Erdogan a envoyé ses forces spéciales prendre 11 positions du YPG à Afrin dans le « but de créer une zone de sécurité d’une profondeur de 30 km à partir de la frontière ». Il y aurait déjà plus de 50 morts depuis le lancement de l’offensive le 20 janvier, dont un soldat des forces spéciales turques. Les soldats turcs étaient accompagnés de combattants de l’Armée Syrienne Libre et appuyés par l’artillerie ainsi que par 32 chasseurs-bombardiers. Les Turcs ont également engagé leurs blindés Leopard 2A5, un engagement qui pose déjà question dans la presse allemande à l’heure ou Berlin envisage d’interdire les exportations d’armes vers les belligérants du théâtre yéménite. Inquiet pour la population kurde, le quai d’Orsay de son côté a saisi le conseil de sécurité de l’ONU en urgence.
 
Si l’opération française en Irak et en Syrie visant à défaire l’Etat islamique touche à sa fin, la présence de soldats français devrait perdurer, reste à savoir dans quel cadre et avec quels moyens. Selon Florence Parly « ça prendra sans doute encore un peu de temps (…) Daech sur le terrain est défait » mais ses combattants « sont en train de rentrer dans la clandestinité », selon la ministre « il faut continuer le combat jusqu’au bout et entamer le défi de la reconstruction ».
D’abord la France n’en a pas fini avec les djihadistes de l’EI, ensuite il y aura le temps de la stabilisation, celui de la reconstruction, sans parler de la formation des forces de sécurité irakiennes et de la sécurité des Kurdes. Surtout, il faudra s’assurer d’une paix durable au Levant : en Syrie elle sera impossible sans Téhéran, Ankara et Moscou; en Irak il s’agira de prévenir de futures insurrections islamistes contre un processus politique chiite sous influence iranienne et miné par la corruption.

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