De nouvelles images satellitaires révèlent des améliorations militaires russes en cours dans l’enclave de Kaliningrad. La géographie particulière de cette enclave, les améliorations militaires qui y sont apportées et la situation stratégique de la zone justifient que Forces Operations s’y intéresse en partageant l’analyse de Morgan Deane sur OpsLens.
Missile Iskander sur son lanceur (Photo : Forces Operations)
Jusqu’en 1946, suite aux négociations entre Alliés à Potsdam sur le sort de l’Allemagne, Kaliningrad s’appelait Königsberg, chef-lieu de la Prusse orientale redésignée enclave de Kaliningrad. Avec le remodelage de certaines frontières qui s’en est suivi à l’Est, ce territoire devenu russe constitue un port critique pour eux sur la mer Baltique, à la frontière avec la Pologne et les États baltes. Entre l’enclave et la Biélorussie, pays allié de la Russie, existe une frontière de 100 kilomètres entre Pologne et Lituanie, appelée Suwalki Gap (l’espace Suwalki). En cas d’hostilités, il s’agirait d’un lien terrestre vital que les forces de l’OTAN en Pologne utiliseraient pour acheminer des forces en vue de la défense des États baltes. Le défi serait de contrer un éventuel mouvement en tenaille des Russes et de leurs alliés.
En raison de cette géographie, tout changement dans les infrastructures et le déploiement de moyens humains et techniques devient important à évaluer. Et précisément, les Russes ont apporté quatre changements. Les images satellitaires révèlent qu’ils fortifient un bunker et en construisent au moins quarante nouveaux. Les images montrent également qu’ils modernisent la base aérienne de Chkalovsk, en ce compris une nouvelle voie ferrée et l’installation d’un système d’atterrissage aux instruments qui permettrait aux aéronefs d’atterrir par mauvais temps. La mise à niveau finale inclut la base de Chernyakhovsk recevant des missiles 9K720 Iskander (SS-26 Stone pour l’OTAN) à capacité nucléaire.
Les bunkers assurent le durcissement et la redondance en cas de conflit, ce dont l’OTAN a également besoin de la région. Pour les Russes, cela représente un investissement important et un potentiel de résistance efficace en cas de conflit. Ils semblent également constituer un dispositif pour s’opposer adéquatement à la réaction probable de l’OTAN consistant à utiliser une puissance aérienne écrasante pour compenser l’infériorité numérique des unités terrestres. Les nouveaux moyens russes contrecarreraient davantage la supériorité aérienne occidentale et augmentent déjà la capacité de la Russie à assurer un soutien aérien toute l’année à l’enclave. En cas d’hostilités, cela réduirait le temps de vol aller-retour pour les sorties de combat, augmentant ainsi le temps d’activité en vol et la portée face aux forces de l’OTAN qui répliqueraient depuis l’Europe de l’Ouest.
Les missiles Iskander constituent probablement l’escalade la plus dangereuse. Ils existent en sept versions différentes. Ces missiles balistiques à courte portée, appelés à remplacer les OTR-21 Tochka à partir de 2020, contribuent à ce que certains analystes qualifient de stratégie anti-déni de zone d’accès (A2AD) qui utilise une quantité écrasante de missiles pour interdire l’accès à des zones critiques au début d’un conflit. Avec la géographie de la poche de Kaliningrad, ce déni d’accès donnerait aux Russes le temps d’envahir les États baltes et dissuaderait, si possible, l’OTAN de mener une guerre de libération en dépit de l’article 5 de la charte de l’Alliance atlantique.
Les missiles Iskander sont encore plus dangereux s’ils sont armés d’une tête nucléaire et dots d’une portée intermédiaire, motif invoqué par Donald Trump pour retirer les Etats-Unis du traité FNI en accusant les Russes de tricherie. La crise des missiles cubains a commencé avec le positionnement de missiles russes à Cuba et a pris fin avec le retrait américain de missiles Jupiter de Turquie. L’ambassadeur américain auprès de l’OTAN a déjà déclaré qu’il pourrait être nécessaire de « supprimer » les missiles russes dont le déploiement s’effectue en violation du traité FNI et représente une escalade dangereuse.
Les facteurs qui déclencheraient effectivement une guerre – limitée ou de grande ampleur – dans telle ou telle région impliquant tels ou tels acteurs restent difficiles à prédire. Aussi est-il extrêmement important d’évaluer les améliorations apportées par les armées en temps de paix. Les Russes semblent augmenter leur capacité de résistance à long terme par redondance, augmenter leur puissance aérienne et placer de nouveaux missiles en Europe orientale et à Kaliningrad. L’OTAN devrait y déployer des efforts supplémentaires pour se préparer au conflit en mettant en place des forces plus lourdement équipées, plus de systèmes antimissiles et en renforçant la coordination entre alliés de la région.
Le grand exercice Trident Juncture 2018 en cours en Norvège (principalement), en Finlande et en Suède inclut certainement des scénarios qui tiennent compte de la présence du dispositif russe à Kaliningrad. N’oublions pas que le CCDCOE (Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence) de l’OTAN est installé à Tallin, capitale de l’Estonie, objectif de choix pour les Russes, donc à protéger à tout prix.