Du cockpit au rotor anticouple, il y aura du « Made in Thales » un peu partout sur le futur Tigre Mk 3. Notifié le 2 mars à Airbus Helicopters et MBDA, ce programme mené par la France et l’Espagne s’avère aussi « très important » pour Thales, qui mobilisera plusieurs centaines d’ingénieurs pour développer les briques situées dans son périmètre.
Longtemps attendue, l’opération verra 42 Tigre français et 18 Tigre espagnols être portés au prochain standard, respectivement à compter de 2029 et 2030. L’avenir de 25 des 67 Tigre français reste pour l’instant suspendu à la décision du partenaire allemand, mais « tout ce qui était prévu et voulu par les opérationnels est intégré à cette rénovation », assurait Yannick Assouad, directrice générale adjointe Avionique au sein de Thales, lors d’un récent point presse.
Le niveau d’ambition technique demeure bel et bien inchangé et se traduit par « un contrat important pour Thales » qui se situe « plutôt dans les centaines de millions d’euros que dans les dizaines », expliquait Yannick Assouad. L’aspect financier ne sera pas davantage détaillé, « parce que nous n’avons pas encore de contrat » et « parce qu’il y a encore quelques options qui sont en discussion ». Les systèmes d’entraînement et de simulation, par exemple, doivent encore faire l’objet d’un arbitrage.
La rénovation du Tigre fournira de l’activité à une douzaine de sites français du groupe, tant dans le périmètre de l’avionique que dans d’autres divisions et filiales. Le système d’autoprotection sera développé et produit à Brest dans une usine de Thales DMS. La liaison de données µTMA (microTMA) et la radio CONTACT proviendront des sites de Gennevilliers, Cholet et Brive de la filiale Thales SIX GTS.
La roquette guidée laser de 68 mm sera produite à la Ferté-Saint-Aubin. Les équipements avioniques – suite FlytX, casque TopOwl Digital Display, capteur air data et récepteur multi-constellation TopStarM – dépendent des sites de Bordeaux, Toulouse, Valence, Châtellerault et Vendôme. Quant aux dispositifs d’entraînement et de simulation, ils seront modernisés à Cergy si Thales est retenu pour ce pan du programme.
En tout, « 600 ou 700 ingénieurs vont contribuer à l’ensemble de ces développements », souligne Yannick Assouad. Le seul volet avionique, poussé tant par le Tigre Mk 3 que par le HIL Guépard lancé en janvier, se traduira par l’ouverture de 100 à 200 postes. Une partie d’entre eux seront remplis en s’appuyant sur l’Engineering Competence Center France, une structure dans laquelle Thales a rassemblé ses savoir-faire en avionique après l’effondrement du secteur aéronautique en 2020. Lancer le Tigre Mk 3 se révélait dès lors tout autant essentiel pour la préservation de certaines compétences. Pour Thales comme pour Airbus Helicopters, l’objectif principal est désormais de pouvoir faire voler un prototype en 2025.
L’industriel se veut par ailleurs prudent quant aux perspectives d’exportation de ce nouveau standard. « Vu dans sa globalité, la réponse est non », explique Yannick Assouad. Thales propose néanmoins « certains de ces équipements pour équiper certains hélicoptères étrangers (…) et en particulier aux États-Unis ». Le casque TopOwl DD, par exemple, s’avère « relativement versatile ». Véritable succès commercial, la version actuelle a été intégrée sur des hélicoptères de combat étrangers, tels que le T129 turc et les AH-1Z/UH-1Y américains. La même manœuvre serait possible pour des systèmes de communication comme CONTACT, quoique plus complexe à réaliser en raison des questions de compatibilité.
Pour maîtriser les coûts et maximiser l’interopérabilité, industriels, DGA et DGAM ont travaillé à faire converger les besoins. Que ce soit pour MBDA ou pour Thales, la plupart des systèmes sélectionnés sont donc communs aux deux utilisateurs. Mieux, côté français certaines briques sont ou seront intégrées sur d’autres plateformes aériennes existantes ou à venir.
C’est tout particulièrement le cas de CONTACT. Adoptée par les deux pays, cette radio logicielle sécurisée facilitera non seulement le partage d’informations entre Tigre français et espagnols mais leur permettra aussi d’entrer dans la bulle Scorpion de l’armée de Terre et de communiquer avec la quasi totalité des véhicules, aéronefs et bâtiments français.
La même logique prévaut pour la suite avionique FlytX et la liaison de données µTMA, cette dernière étant déclinée en terminaux de guidage des nouveaux missiles air-sol et de liaison vidéo avec les drones. Hormis le Tigre Mk 3, ces deux systèmes embarqueront sur le futur hélicoptère interarmées léger Guépard. La liaison µTMA est quant à elle aussi intégrée au mini-drone SMDR de l’armée de Terre.
FlytX repose notamment sur deux écrans de 10 pouces pour la place pilote et trois écrans de 10 pouces pour la place tireur. Chacun sera également doté d’un petit écran tactile en couleurs permettant d’interagir avec l’ensemble des éléments connectés au système. « Tout cela va permettre à l’équipage de se concentrer sur la mission », indique Julien Litas, responsable des ventes Tigre Mk 3 pour Thales.
Les deux pays recevront ensuite le casque TopOwl DD, élément parmi d’autres d’une rénovation complète de la chaîne vidéo qui ira de la boule optronique Euroflir 510 (ou Strix NG) de Safran Electronics & Defense à la partie tête basse avec FlytX. Le casque TopOwl DD est par ailleurs synonyme d’amélioration de la chaine DRI (détection-reconnaissance-identification) et des performances, en particulier au niveau du couplage avec le viseur de toit et les systèmes d’armes.
Le casque TopOwl DD permettra « d’aller plus loin dans la mission grâce à la tête haute qui va donner un certain nombre d’informations de pilotage. Nous travaillons aussi à l’intégration de fonctions de type SVS (Synthetic Vision System), ou de la symbologie pour atterrir en environnement dégradé ».
Quelques différences subsistent malgré les efforts consentis de chaque côté. La suite d’autoprotection, premièrement, est l’un des rares sujets où il n’y aura pas eu de convergence, car situé dans le domaine de la souveraineté. Côté français, cette suite construite autour du CATS-150 (Compact Airborne Threat Surveyor) sera bien entendu plus performante et capable de s’adapter aux nouvelles menaces « pour les vingt prochaines années », relève Julien Litas.
La roquette guidée laser de 68 mm, qui armera également le HIL Guépard et le drone tactique Patroller, sera sur le Tigre français mais pas sur le Tigre espagnol. Celui-ci recevra une nouvelle roquette de 70 mm dont le fournisseur n’a pas été détaillé.
Ces disparités ne sont pas limitées au seul périmètre de Thales. Ainsi, si l’Espagne rejoint la France dans l’intégration du missile air-air Mistral 3, elle favorise cependant le développement d’un « nouveau missile air-sol » plutôt que l’adoption du missile MHT développé par MBDA. Si elle choisit in fine de rejoindre le mouvement, l’Allemagne fera à son tour le choix d’une version partiellement « nationalisée », signale Thales. La roquette guidée laser, entre autres, ne fait pas partie des options retenues par la partie allemande lors des discussions préliminaires, qui lui préférera le maintien d’une roquette de 70 mm.