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Le cap du démonstrateur franchi, le camouflage intelligent CAMELEON vise l’aéronautique et le textile

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Lancé il y a  10 ans, le camouflage adaptatif intelligent CAMELEON conçu par Nexter a désormais atteint le stade du démonstrateur. Un jalon majeur pour l’industriel français, les PME et laboratoires concernés et l’occasion pour le commanditaire, la Direction générale de l’armement (DGA), de détailler la trajectoire à venir, potentiellement émaillée de VBCI, d’hélicoptères et, pourquoi pas, de fantassins invisibles.

« Faire mieux que James Bond »

Carton plein pour CAMELEON, qui a définitivement prouvé sa pertinence en octobre lors d’évaluations menées en octobre à Satory. Assemblés pour la première fois sur un panneau de 3 m2, les « pixels », ces tuiles hexagonales polychromes (rouge-vert-bleu), sont parvenues à se confondre parfaitement dans un paysage de type Centre-Europe. Résultat : à 400 mètres, il devient pratiquement impossible de différencier l’objet camouflé de l’environnement ambiant, ni pour l’œil humain ni pour un capteur thermique.

Derrière ce résultat, près de 15 années de réflexion et un constat de départ : si l’Aston Martin V12 Vanquish confiée à James Bond dans « Meurs un autre jour » sait se rendre invisible, elle n’échappe cependant pas un simple détecteur infrarouge. Pour les quatre experts de la DGA à l’origine de l’idée, le défi consistait à « faire mieux que James Bond » en créant un camouflage capable de reproduire simultanément le fond de couleurs et le fond thermique, expliquait Eric, manager études amont pour la DGA/AID à l’occasion du dernier Forum Innovation Défense.

Un Griffon doté du camouflage adaptatif intelligent CAMELEON (Crédits : DGA)

CAMELEON se démarquera ainsi de l’animal homonyme par sa capacité à faire disparaître un objet tant dans le spectre visible que dans les bandes infrarouges II et III. Le secret ? Des pixels hexagonaux et un système de refroidissement liquide permettant de moduler la température en fonction de l’environnement ambiant. Le tout piloté par un logiciel utilisant une intelligence artificielle pour déterminer en temps réel les formes et couleurs à appliquer sur chaque pixel.

CAMELEON est un système frugal, un mètre carré de pixels ayant une consommation électrique équivalente à celle d’une ampoule. Pour y parvenir, les chercheurs ont notamment misé sur la bistabilité du pixel, autrement dit sa capacité à fixer le fond de couleurs sur le long terme sans recourir à une source d’énergie. Pratique lorsque la mission requiert de se dissimuler durant plusieurs heures ou plusieurs jours pour observer un adversaire.

Breveté en 2010 par la DGA, CAMELEON est engagé un an plus tard sous la direction de Nexter. Le programme devient SALAMANDRE au lancement de la seconde phase, en 2016. Si le marché initial visait à développer le concept de pixel, le second, toujours en cours, aura donc abouti au stade du démonstrateur taille réelle (TRL 5). Ce panneau sera évalué durant une année dans différents environnements et conditions climatiques.

Des pixels souples produits en France

Le marché SALAMANDRE s’achèvera aux alentours de 2022-2023, le temps de peaufiner les derniers points avant de basculer dans une troisième phase de développement. Un troisième marché devrait être attribué l’an prochain avec pour cible de rehausser encore le niveau d’ambition et de parvenir à un démonstrateur de niveau TRL6/7 embarqué sur un VBCI à l’horizon 2025.

Le VBCI est en effet le candidat idéal, car appelé à être rénové à compter de 2026. L’objectif sera de pouvoir proposer aux forces une solution suffisamment mature que pour être intégrée au cours de cette opération. Avant de parvenir au VBCI, un « débogage » sera effectué au préalable à partir d’un véhicule plus petit, tel qu’un robot lourd.

Franchir ce nouveau jalon nécessitera de faire évoluer considérablement la technologie existante. Il s’agira premièrement, de réussir à combiner des voies visibles et IR aujourd’hui distinctes sur un unique pixel multispectral. Des études sont en cours pour rendre les différentes bandes compatibles et éviter qu’elles ne se gênent entre elles.

À gauche, un prototype de pixel souple produit sur le sol français présenté lors du FID 2021

Mais le gros morceau sera celui de la flexibilité. Exit le panneau rigide : pour s’adapter à n’importe quelle surface, SALAMANDRE doit s’assouplir et devenir une « bâche » similaire aux filets de camouflage actuels. Cette bâche devra être résistante tout en restant « consommable ». Son coût devra dès lors être maîtrisé. Industriels et chercheurs planchent depuis un moment sur un pixel souple constitué de plusieurs couches de plastique, matière la plus à même de répondre à l’ensemble des exigences.

Alléger et assouplir les pixels autoriserait également des applications dans le secteur aéronautique. Dans le cadre du marché SALAMANDRE, Nexter s’est rapproché d’Airbus Helicopters pour réfléchir à la meilleure façon d’étendre l’usage aux hélicoptères. « Fins, légers, souples, les pixels sont aussi bien adaptés à ce type de plateforme. Ce serait même plus simple à décliner car il s’agit de camoufler en vol sur un fond généralement bleu ou gris. Nous développons donc un autre type de pixel souple qui assurerait l’affichage de ces deux couleurs sur les hélicoptères », précise Eric.

L’équipe de SALAMANDRE a considérablement progressé sur le processus industriel qui autorisera un passage à l’échelle. Quand les pixels « durs » actuellement disponibles sont conçus « en Europe », la prochaine génération se devra d’être entièrement produite en France. Grâce au prochain marché, l’industriel français retenu pourra s’attacher à mettre en place une ligne baptisée « PIXTER » et dimensionnée pour la production en série.

De grandes quantités effectivement seront nécessaires pour « se faire la main », affiner la technologie et, in fine, participer à diminuer la facture. La DGA raisonne dès à présent selon une logique duale. « Pour réduire les coûts, nous allons aussi aller voir du côté du monde civil », souligne Éric. Les déclinaisons sont a priori infinies pour les secteurs de la publicité et de la décoration. Le groupe de luxe français LVMH aurait montré de l’intérêt pour cette solution, plutôt commode pour « animer » une marque.

Vers MGCS et la cape d’invisibilité

Hormis ce « kit amovible », les concepteurs imaginent d’ores et déjà une variante intégrée nativement sur les véhicules de prochaine génération, tel que le futur système de combat terrestre principal MGCS. « Ce serait un pixel en dur intégré dans la protection même de la plateforme. Les bâches ne sont pas adaptées au char lourd ». Toute la difficulté sera de parvenir à combiner les fonctions camouflage et protection sans perte de potentiel. C’est ici que SALAMANDRE vient croiser un autre projet de technologies de défense (PTD) baptisé Spinelle.

Lancé en 2014 et mené par Solcera en coopération avec Nexter et Airbus Helicopters, Spinelle est une solution de protection balistique transparente et légère destinée aux véhicules terrestres et aux hélicoptères. Cette céramique nanostructurée résiste à un calibre 7.62 mm tout en restant deux fois plus légère que le verre. « Nous essayerions de voir si nous pouvons ajouter des céramiques transparentes pour protéger nos pixels. C’est une idée que nous avons, nous allons essayer de mixer les deux ».

SALAMANDRE n’aura pas vocation à se limiter aux seuls véhicules terrestres et aériens. Il pourrait aussi être « décliné sous forme de fibre au profit du fantassin », précise Eric. Avec, « peut-être à l’horizon 2030 », l’ambition de disposer d’une véritable cape d’invisibilité au travers du PTD Centurion, dont l’enjeu est de concevoir le combattant débarqué du futur de manière incrémentale. Une thèse a été lancée dans ce but en 2019 et a récemment débouché sur la création d’une fibre fonctionnelle de 7 cm.

Un démonstrateur dans lequel s’entrecroisent trois fils de couleurs rouge, bleu et vert reproduisant la logique de SALAMANDRE. Séduisante, l’idée n’est pas exempte d’obstacles. Il s’agira en effet de pouvoir produire cette fibre dans des quantités suffisantes que pour pouvoir être tissée et servir de matière première à un futur tissu adaptatif. S’ils y parviennent, la DGA et les industriels concernés auront alors non seulement fait mieux que James Bond, mais aussi que Harry Potter et Captain Marvel.

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