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Un ingénieur de la DGA crée une intelligence artificielle « anti-IED »

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Et si un simple smartphone doté d’une couche d’intelligence artificielle suffisait pour contrer un engin explosif improvisé (EEI, ou IED) ? Voici la question à laquelle a répondu un jeune ingénieur de la Direction générale de l’armement, à l’origine d’une solution présentée pour la première fois lors du Forum Innovation Défense (FID).

Des IED difficiles à détecter

Derrière l’acronyme « Détection embarquée de liaison par interception de communication électromagnétique » (DELICE), une étude de concept menée par l’ingénieur Axel, chargé d’expertise en intelligence artificielle au sein de DGA Maîtrise de l’information (DGA MI). Entré au ministère des Armées en 2019, celui-ci a entrepris de répondre à un besoin issu des théâtres d’OPEX : conserver un temps d’avance en détectant et en identifiant instantanément les communications malveillantes liées aux IED.

Les signaux à l’origine du déclenchement d’un IED sont « très difficiles à détecter actuellement », reconnaît cet expert en deep learning, car émis dans des bandes spécifiques du spectre électromagnétique par des émetteurs pouvant être acquis pour trois fois rien sur AliExpress. « C’est réellement un besoin exprimé au niveau programme, à partir d’un problème remonté du terrain. Il y a ce composant inconnu que je n’arrive pas à mesurer, à identifier donc j’ai besoin d’une solution fiable », explique-t-il.

Le danger est quotidien pour les opérationnels, confrontés à un embrouillamini de signatures amies et potentiellement ennemies particulièrement difficile à détricoter. Le principal enjeu de DELICE était donc de parvenir à « réaliser ce compromis de discriminer et de brouiller la menace tout en maintenant nos propres communications intactes ».

Fort ce de constat, « nous proposons un modèle de deep learning qui va identifier précisément les paramètres électromagnétiques de cette menace ». Pour y parvenir, « nous avons utilisé plusieurs milliers d’échantillons de la menace que l’on veut brouiller et quelques milliers d’échantillons de ce que nous ne voulons absolument pas brouiller ». Cette bibliothèque a ensuite servi pour entraîner un modèle de deep learning sur base des infrastructures de calcul de DGA MI, « des grandes baies remplies de processeurs graphiques [GPU] ».

Vers une IA embarquée

Une fois en état de fonctionnement, ce modèle a été converti, optimisé et intégré sur un téléphone portable. Pourquoi ce type de plateforme ? « Parce que nous souhaitions une preuve de concept qui puisse être embarquée. Le contexte d’emploi, c’est un camion au sein d’un convoi logistique. Il nous faut donc quelque chose qui soit transportable ». Un choix qui va à l’encontre de l’image véhiculée par l’IA, souvent illustrée par d’immenses salles où s’alignent plusieurs milliers de GPU.

« Ce qui est vrai pour l’apprentissage ne l’est pas du tout pour l’utilisation », souligne l’ingénieur Axel, qui précise que « nous sommes à présent parfaitement capable de développer des modèles tournant sur téléphone ». Relié à un kit d’acquisition du signal, un smartphone suffirait alors pour fournir en continu une capacité d’interception de communication dans la bande dans laquelle se situe la menace. Une fois l’événement identifié, celui-ci sera analysé, caractérisé et représenté selon un code couleur intuitif : bleu pour les communications amies, vert en l’absence de risque, orange et rouge pour la situation inverse. En cas d’IED, DELICE déclenchera automatiquement un brouillage de zone.

L’ingénieur Axel à l’origine de DELICE, dévoilée à l’occasion du Forum Innovation Défense (Crédits : ministère des Armées)

« Nous avons développé un système d’alerte suffisamment rapide. C’est à cela que sert le deep learning : générer un champ de protection avant même la fin du message malveillant ». Parce qu’elle est détectée suffisamment tôt, cette menace ne nécessitera de déclencher le brouillage que sur un laps de temps assez court, limitant de potentielles interférences avec les communications amies.

DELICE surfe par ailleurs sur la richesse du spectre électromagnétique pour ajouter une corde à son arc : la lutte anti-drones. « De la même manière que nous avons entraîné notre algorithme à détecter une menace IED, nous l’avons entrainé à identifier différentes télécommandes de drones à partir de leurs protocoles de communication ». Preuve à l’appui avec une démonstration réussie sur base de télécommandes de drones de classes 1 et 3.

Bien que complexe, la création de la fonction anti-IED a su être menée en un temps record. Entre la collecte des données, leur traitement et l’implémentation du modèle dans le téléphone, il ne s’est écoulé qu’un mois et demi. Grâce à ces acquis, répéter le processus pour la fonction anti-drones n’aura pris qu’une dizaine de jours. C’est finalement l’intégration industrielle qui demandera de la patience, de l’ordre de plusieurs années. Un timing « tout à fait normal au vu des enjeux », estime l’ingénieur de la DGA.

« Muscler » le kit BARAGE

Cette IA ne pourra à elle seule garantir une protection intégrale contre les IED, beaucoup d’entre eux étant déclenchés par d’autres biais, tel qu’un système de pression. Il contribuera néanmoins à faire progresser un programme déjà bien engagé, BARAGE. Conçu par Thales, ce kit crée une bulle de brouillage autour d’un véhicule et de combattants débarqués. Il sera notamment installé sur les camions PPT. Pour l’ingénieur Axel, « DELICE amène tous les éléments nécessaires pour préparer de futurs incréments et rendre nos brouillages plus réactifs et plus efficaces contre les nouvelles menaces ».

« Nous sommes vraiment sur les prémisses d’une IA amenée au plus près du capteur, qui tourne de manière autonome, avec les moyens du bord et sans Wifi, ni 5G ». Si la fonction anti-IED est indéniablement liée à BARAGE, le volet anti-drones se rapprocherait davantage de solutions semi-fixes conçues pour la protection d’installations sensibles.

Tant la fonction anti-IED que son pendant anti-drones sont appelées à évoluer au fur et à mesure de l’apparition de nouvelles menaces. En l’attente d’un examen détaillé par les experts en analyse du signal, « la démarche consistera à récupérer le composant ‘menaçant’ et à le rapatrier en métropole pour ensuite, en une semaine et demi, monter un classifieur qui va permettre de contrecarrer rapidement ce danger ».

« Ce n’est pas la DGA qui soudera les composants les uns sur les autres », rappelle notre interlocuteur. Le code des marchés interdisant d’offrir cette brique à l’industriel, celui-ci sera plutôt accompagné par DGA MI dans le développement continu de son produit. À l’entreprise concernée d’intégrer les recommandations, les spécifications, les niveaux de performances issus des RETEX de DELICE. « Cela lui permettra de s’approprier la technologie et à nous d’obtenir une performance que l’on sait être atteignable ».

Plusieurs pistes d’intégration sont à l’étude. Le duo téléphone portable-kit d’acquisition reste peu robuste, peu performant. La seconde phase du projet DELICE consistera donc à porter les modèles sur d’autres plateformes afin de pouvoir livrer un premier prototype durci et plus puissant. Un objectif qui dépendra de plusieurs paramètres techniques et financiers, mais qui pourrait aboutir « dans l’année à venir ».

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