Produire en masse un drone low cost au profit de l’armée de Terre, c’est la mission confiée par la Direction générale de l’armement (DGA) à une filière française qui, pour l’occasion, devrait mobiliser la force de frappe de l’industrie civile.
Moins de 2500 drones toutes classes confondues. C’est le parc dont dispose aujourd’hui l’armée de Terre, avec des systèmes parfois en service depuis 2019. Une éternité au vu du bouillonnement technologique et un volume bien trop resserré par rapport aux enjeux actuels et sans commune mesure avec les 4 millions de drones que l’Ukraine produirait désormais annuellement au profit d’une armée de 30 000 télépilotes.
Ces enjeux d’accélération et de massification de leur trame drones, les armées s’en sont notamment emparés via une première expérimentation portant sur un système d’entrainement low-cost. Officialisé début décembre par le ministère des Armées, ce « cas test » vise à produire plusieurs milliers de drones à bas coût pour équiper massivement les unités de l’armée de Terre. La démarche reposerait sur un binôme : un droniste pour la maîtrise des savoir-faire propres au segment allié à un géant industriel habitué à produire du volume.
Un lot initial de 1000 drones est attendu pour l’exercice majeur ORION 2026, annonce le ministre des Armées. De quoi permettre à l’armée de Terre de s’approprier vraiment « la guerre des drones », estimait l’ingénieur général de l’armement Claude Chenuil hier en audition parlementaire. « Nous sommes fin décembre 2024. Si on arrive à le faire, on va battre des records en matière de passation de contrat », complétait celui qui pilote le groupe de travail « drones » du Groupement des industriels de l’armement terrestre (GICAT).
Qui dit masse dit low cost, un « enjeu majeur » face à des systèmes qui « coûtent trop chers », pointe le « monsieur drones » du GICAT. Le drone espéré devra donc être le moins cher possible, un critère que la DGA contrebalance visiblement avec une grande liberté en matière de spécifications. Une définition qui n’est pas sans rappeler en partie celle adoptée pour les appels à projet LARINAE et COLIBRI. Et une recherche du moindre coût déjà explorée avec succès par quelques artilleurs astucieux de l’armée de Terre, l’industrialisation en moins.
Se pose aussi la question des cadences. S’il reste possible d’accélérer ponctuellement au sein de la filière, ses moyens actuels ne suffiront pas pour basculer sur une production de temps guerre « de type ukrainienne », constate le représentant du GICAT. Le sujet est dans les mains de la DGA. L’une des options les plus prometteuses est celle retenue pour ce crash test : la mobilisation de l’écosystème civil. De fait, la France ne manque pas d’entreprises dont l’outil industriel, bien que consacré à d’autres technologies, peut être réorienté vers la production de drones. De quoi monter en puissance rapidement et à budget maîtrisé sans construire des usines qui, en temps de paix, ne tourneraient pas.
« C’est un challenge que la DGA va essayer de relever, nous allons l’appuyer dans le cadre du pacte drones », poursuit Claude Chenuil. Avec la recherche de concepts de vecteurs longue portée, cette acquisition est l’une des deux premières réalisations de ce pacte officialisé en juin et piloté depuis par la DGA avec le soutien du GICAT.
Cette nouvelle approche, les dronistes l’appelaient de leur voeu dans un rapport co-rédigé par le GICAT et l’Association du drone de l’industrie française (ADIF). Publié en avril dernier, plusieurs de ses recommandations ont été répétées hier devant les députés de la commission défense. « Il faut que cela devienne plus opérationnel, il faut que l’armée achète des drones et qu’elle soit en contact avec nous », résumait le PDG de Parrot, Henri Seydoux. Message reçu, au moins en partie.
« On voit que c’est un domaine où la dynamique est très importante », notait pour sa part Bastien Mancini, à la tête du droniste toulousain Delair. Pour tenir la barre, les armées doivent dès lors raccourcir le temps des programmes d’armement – jusqu’à 10 ans entre l’expression de besoin et la livraison – pour l’aligner sur celui de l’innovation, évalué à deux à trois ans dans le cas des drones.
Facteur parmi d’autres de cette accélération, la prise de risque privée devrait néanmoins être compensée par « un investissement public constant ». C’est cette enveloppe annuelle de 250 M€ que le GICAT et l’ADIF estiment suffisante pour soutenir efficacement la filière. Quelque 170 M€ seraient consacrés aux acquisitions, 60 M€ aux actions de R&D et 20 M€ à la souveraineté, certains éléments critiques provenant encore de l’étranger, à l’image de cellules de batterie d’origine chinoise. Ce qui peut paraître conséquent ne représente en réalité qu’une part minoritaire des 5 Md€ consacrés à la dronisation des armées par la loi de programmation militaire 2024-2030.
La démarche rejoint par ailleurs les préconisations d’un rapport parlementaire sur les retours d’expérience d’ORION 2023, première édition d’un rendez-vous triennal. Ses phases majeures avait démontré plusieurs limites du modèle alors adopté. La force adverse, par exemple, n’a pu en être dotée faute de ressource suffisante. Il a donc fallu passer par une société pour modéliser une menace pourtant devenue omniprésente. Pour les députés à l’origine d’un rapport d’information sur les retours d’expérience de l’exercice, il convenait dès lors d’ « accélérer la dronisation des armées en soutenant la BITD française ». La dynamique souhaitée est-elle lancée ? Début de réponse dans un peu plus d’un an.
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