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La BITD face au casse-tête du financement de l’économie de guerre

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Qui financera la bascule vers l’économie de guerre souhaitée par le président de la République ? Quand, d’un côté, le ministère des Armées en appelle à la dimension patriotique de la souveraineté, dans les rangs industriels il ne fait aucun doute que l’effort budgétaire doit provenir de l’État. 

Ballotée d’une crise à l’autre, « l’industrie de défense y arrive mais c’est compliqué », soulignait Eric Trappier, PDG du groupe Dassault et président du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), entre autres. Ce dernier, également à la tête du GIFAS*, et ses homologues du GICAT*, du GICAN* et du Comité Richelieu ont présenté leur vision de l’économie de guerre ce mercredi à l’Assemblée nationale.

À l’heure où les délais de livraison des composants et matières premières ne font que s’allonger, la réactivité que suppose l’économie de guerre « va demander de passer d’une logique de flux à une logique de stock », rappelle Thierry Gaiffe, directeur général d’Elno et vice-président du Comité Richelieu. Créé il y a plus de 30 ans sous l’égide de la DGA, celui-ci rassemble aujourd’hui plusieurs centaines de PME de défense autour d’un tropisme « innovation ». 

« On doit faire face à un choc sur les approvisionnements qui est terrible », complète Thierry Gaiffe. La guerre en Ukraine aura en effet fait qu’accentuer une pénurie consécutive de la crise sanitaire. Les apports en cuivre, en nickel, en titanium, par exemple, ne sont envisageables qu’à court terme et pour un coût croissant. 

Dès lors, comment faire lorsque les délais sont « plutôt délirants » ? « Il faut évidemment constituer des stocks stratégiques, il n’y a pas d’autre alternative, c’est la seule ». Des stocks dans lesquels piocher en temps voulu, mais aussi des machines et des bras supplémentaires pour les opérer. « Après se pose la question du financement de tout cela. Qui va payer ? ». Il serait tentant, selon le vice-président du Comité Richelieu, de croire que la filière autofinancera l’effort car son chiffre d’affaires sera le première bénéficiaire, « peut-être un jour », de l’économie de guerre. 

Investir dans l’augmentation des stocks « peut avoir des impacts sur la marge de ces entreprises », reconnaissait le ministre des Armées à l’issue d’une première table ronde sur l’économie de guerre. « Mais enfin, une fois de plus, les entreprises d’armement participent aussi à notre souveraineté et donc il y a une dimension patriotique à laquelle évidemment les différentes industriels ont été sensibles ». 

La robustesse d’un grand groupe n’est néanmoins pas celle d’une PME et, pour le patron d’Elno, le constat est sans appel : « nos capacités à aller autofinancer tout cela sont nulles ». Comme l’ont rappelé les représentants de groupement, la situation financière du secteur « est complexe ». Oui, la BITD a démontré sa résilience lors de la crise sanitaire. Oui, les carnets de commande sont remplis, notamment grâce aux 11,7 Md€ de prises de commandes engrangés en 2021 sur le marché export. Et oui, le client national reste porteur grâce au respect de la trajectoire budgétaire de la loi de programmation militaire. 

Les petites structures et les sociétés à caractère dual ont particulièrement souffert, en particulier celles actives dans le secteur aéronautique. Hormis les tensions sur les approvisionnements, l’ensemble du secteur doit par ailleurs toujours compiler avec la méfiance croissante du secteur bancaire. « Nous en arrivons à la situation ubuesque d’être obligé de s’appuyer sur des organismes financiers étrangers pour nos PME », indique Marc Darmon, directeur général adjoint de Thales et président du GICAT. 

Viennent s’ajouter les premières échéances de remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) et, cerise sur le gâteau, l’explosion des prix de l’énergie. « Le vrai sujet du jour, c’est le prix de l’énergie. Vous n’imaginez pas la détresse (…) d’un certain nombre de nos PME, et dans l’industrie en général », explique Eric Trappier. Chaque renouvellement de contrat revient à prendre le risque de multiplier par 10 les factures, indique-t-il, rappelant que la sobriété forcée se traduira pour certains par l’arrêt de la production, voire par des fermetures pures et simples.

Pour les industriels, il ne fait donc aucun doute que l’économie de guerre impose un financement de l’État « qui va descendre l’ensemble de la structure, comme c’était le cas pendant la crise Covid ». Un scénario dans lequel le donneur d’ordre doit établir et partager une « vision », une visibilité ensuite relayée tout au long de la chaîne de valeur, du maître d’œuvre au plus petit maillon. L’idée implique « dès maintenant » d’adopter une totale transparence ascendante et descendante entre les différents échelons, ainsi qu’une structuration, « peut-être par système d’armes ». Le premier geste allant dans ce sens serait de ne pas revoir à la baisse la programmation budgétaire pour 2023. Le second reviendrait à profiter de l’élaboration d’une nouvelle LPM pour 2024-2030 pour instaurer un soutien étatique et sa logique de ruissellement dans la durée. 

* GIFAS : Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, GICAT : Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres, GICAN : Groupement des industries de construction et activités navales

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