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Instructeurs français en Irak : former et savoir faire faire

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Il y a peu, nous consacrions un billet à l’action des artilleurs français en Irak, et il en ressortait que leur professionnalisme impressionnait leurs alliés et rassurait les troupes irakiennes engagées dans les âpres combats contre l’État islamique. À ce volet « appui » (terrestre) de l’opération Chammal il nous faut ajouter le volet « formation » par lequel des instructeurs d’élite préparent les Irakiens à l’action anti-terroriste. Assis dans des salles de classe, ou à même le sable, ils tendent l’oreille au savoir-faire français, ou plutôt au savoir « faire faire ».
 

Militaires irakiens à l'écoute d'un instructeur français de la Task Force Narvik (TF N) dans le cadre de l'opération Chammal (Crédits : Ministère des Armées)

Militaires irakiens à l’écoute d’un instructeur français de la Task Force Narvik (TF N) dans le cadre de l’opération Chammal (Crédits : Ministère des Armées)


 
Entrer pour la première fois dans les locaux du Ministère des Armées à Balard, s’installer aux côtés d’amiraux et d’officiers de l’armée de terre pour s’entretenir en visio-conférence avec deux colonels postés à Bagdad, l’un devant le drapeau français, l’autre devant celui de la République d’Irak, quel environnement de travail sympathique ! Et qu’ils sont intéressants ces hommes en OPEX, toujours ! L’homme en charge de la Task Force Monsabert (TF M) c’est Pinard-Legry, un officier du 1er régiment étranger de génie, son frère d’armes est le lieutenant-colonel Grossin, avec ses seize ans de services dans l’infanterie, il est actuellement à la tête de la Task Force Narvik (TF N).
 
Ici, déjà, notons quelque chose. Si quelques détracteurs de l’histoire militaire française voudraient coller à nos soldats une certaine image de passivité devant les grandes menaces, les noms symboliques des Task Forces sont là pour nous rappeler le contraire, partout où il y a l’ennemi, il y a le soldat français : Narvik est le nom de la première victoire alliée contre l’Allemagne nazie, un mois avant le déclenchement de la bataille de France, quand les troupes étaient, parait-il, cachées derrière la ligne Maginot. Monsabert était un général du Corps Franc d’Afrique, de la campagne d’Italie, du débarquement de Provence, de la libération du pays et de la campagne d’Allemagne.
 

Les hommes de la TF M, qui en est à son dixième mandat depuis le déclenchement de l’opération Chammal en septembre 2014, conseillent et appuient la 6ème division irakienne dans la conduite de ses opérations de contre-insurrection : on aide à la planification, on met à leur disposition des moyens logistiques de la coalition, dont ils manquent cruellement. Savoir tirer est une chose, vaincre dans un environnement parfois urbain, habité par des civils, où les engins explosifs improvisés et les kamikazes peuvent vous faire disparaitre avec votre véhicule en quelques secondes, en est une autre. Aussi, il faut être réactif, flexible et force de proposition, « La division est engagée quotidiennement alors on ne peut pas tout planifier, il faut s’adapter à des besoins de très court terme. »

 

« Vivants au milieu des Irakiens nous sommes un peu leurs Français. » nous dit en souriant Pinard-Legry. La TF M c’est trois-mille irakiens formés et entrainés sur les points lacunaires de cette armée maintes fois restructurée : la menace des engins explosifs improvisés, le secourisme, la topographie ou tout simplement l’adresse au tir. Même les meilleurs éléments viennent y recevoir une formation en complément, on a toujours quelque chose à apprendre auprès d’officiers expérimentés (surtout si ceux-ci commandent à la Légion). Deux-cent-cinquante-sept stages ont été réalisés au profit des forces de sécurité irakiennes, parfois courts, parfois d’un mois, le plus souvent d’une semaine, à une cadence moyenne de soixante hommes formés par semaine.

 

La France et les autres nations engagées dans la région ont pour objectif d’aider l’Irak à « remettre sur pied un sytème autonome de formation », d’où l’idée de « savoir faire faire » posée en introduction. À quoi bon former des milliers de soldats pendant des années, si après le départ, ceux-ci ne peuvent transmettre leur savoir aux futures recrues. Si il y a encore beaucoup de travail, selon Pinard-Legry, il est « très satisfaisant de voir les progrès », les Irakiens ont pris en « autonomie et en assurance. » Surtout, « maintenant que les opérations sont réduites, on peut se concentrer sur les écoles ». Les officiers français qui sont passés par la TF M ont développé des relations avec l’école d’artillerie et l’école de déminage irakiennes : on envoie des instructeurs dans ces écoles, souvent des artilleurs qui opèrent sur CAESAr, on organise des campagnes de tir avec les forces américaines, ou encore des semaines de « séminaires français ».

 

Si on tend à se concentrer sur la lutte anti-IED, qui sera déterminante dans un contexte où les hommes de Daesh, maintenant acculés, reprennent leurs modes opératoires traditionnels, le contre-terrorisme passe aussi par la « sécurisation des élections » en formant « à la fouille » et à « l’utilisation de petits drones techniques. » Pour Pinard-Legry, si il fallait résumer l’action d’un officier à la TF M, c’est « aider », d’abord, et « discuter des heures durant, dans des canapés confortables, parfois baroques, mais c’est la culture de notre hôte. » Et dans les yeux de cet hôte, selon Pinard-Legry, l’on peut voir les terribles régimes qu’il a connus, comme l’on peut voir qu’il est déterminé à reprendre en main la sécurité de son pays.

 

La TF N fête elle son troisième anniversaire. Quatre-cent instructeurs y sont passés et quarante d’entre-eux sont présents pour toute la durée d’un mandat. Installés à l’Académie de l’’Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS) à proximité de l’aéroport de Bagdad, ils forment les Irakiens avant leur déploiement en unité opérationnelle. Adresse au tir, lutte anti-IED, aguérrissement, techniques commandos ou de snipers, secourisme ou encore formation au combat embarqué-débarqué etc, ce ne sont pas moins de six-mille soldats irakiens qui ont bénéficié du savoir-faire français en la matière. Beaucoup d’entre-eux d’ailleurs, selon Grossin, repassent par le camp d’entraînement, remercier les instructeurs français de la qualité de la formation.

 

Comme pour la TF M, la TF N pense à demain, quand elle n’aura plus lieu d’être et sera dissoute : il faut savoir faire faire. On augmente la cadence sur la formation des cadres, ou sur l’apprentissage techniques de renseignement (il y aurait déjà près d’une vingtaine d’officiers formés). Pour Grossin, les Français agissent « comme une courroie de transmission » pour atteindre l’autonomisation irakienne, l’académie irakienne devant être autonome dès l’année prochaine. Dans ce sens, sur la promotion février-avril, vingt-cinq des meilleures recrues seront directement reversées en tant qu’instructeurs plutôt que d’être envoyées sur le champ de bataille.

 

Quand la coalition et ses multiples instructeurs seront partis, qu’est-ce-qui manquera encore aux forces de sécurités irakiennes, dans quel domaine doivent-elles encore progresser ? De l’avis de Grossin, bien d’accord avec Pinard-Legry, le soutien logistique est un réel défaut de l’armée irakienne. Aussi, il s’agit insister sur l’entrainement : il faut encore les « stimuler pour qu’ils s’entrainent au quotidien ». Mais tout ça, selon Grossin, « n’a rien à voir avec ce qu’on pouvait voir il y a quelques années. » Avant de partir, les Français ne comptent pas se reposer, aujourd’hui il est l’heure de former les JTAC (les contrôleurs aériens). L’armée de l’air irakienne menant de manière autonome, et efficacement, des opérations de frappes sur les positions de l’EI, il reste aux hommes au sol de contrôler la sécurité du trafic aérien. Déjà trois sessions de formation ont été organisées en trois mois.

 

Et puis, même si les Task Forces quittent le théâtre irakien, il y aura toujours quelque part dans le monde, un instructeur français prêt à transmettre son savoir à qui en aura besoin, comme dans le cadre du G5 Sahel par exemple, au Sénégal et au Gabon, où trente-deux actions de formation et d’entrainement ont permis de préparer mille-deux-cents militaires de la force conjointe et d’accompagner la mise en place d’une structure de commandement.

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