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Des pistes parlementaires pour relancer la filière terrestre

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Augmentation la dotation en TTOP des Griffon ? C'est l'une des pistes évoquées par les parlementaires pour soutenir la filière terrestre (Crédits : Arquus)

Augmentation la dotation en TTOP des Griffon ? C’est l’une des pistes évoquées par les parlementaires pour soutenir la filière terrestre (Crédits : Arquus)


 
Moins à plaindre que le secteur aéronautique, la filière terrestre française n’en reste pas moins fragilisée par les remous de la crise sanitaire et attend elle aussi avec impatience un plan de relance. De l’affermissement de tranches Scorpion à l’accélération de la LPM, plusieurs leviers de soutien ont d’ores et déjà été évoqués par les députés Benjamin Griveaux (LREM) et Jean-Louis Thiériot (LR) lors d’une mission flash. 
 
La crainte d’un effet de falaise à l’automne
 
Pour les 4000 entreprises de la BITD française, le principal enjeu est désormais d’éviter une seconde gueule de bois à l’issue des congés estivaux. Pour la plupart d’entre elles, les aides de l’État permettront de « passer l’été », mais guère davantage. Selon les rapporteurs, l’extinction des dispositifs d’aides, le remboursement des prêts souscrits au printemps et la poursuite de la crise sanitaire devraient occasionner un « effet de falaise » à partir de septembre 2020. Avec le maintien de mesures de distanciation, l’absence de nouveaux leviers de relance spécifiques à la BITD et l’incertitude du marché export, ce scénario paraît de plus en plus plausible.
 
Même ponctuel, l’émergence d’un « trou » dans les prises de commandes à l’export en 2020 aura des effets « à retardement » dans les cycles longs de l’armement. C’est ce qu’a fait valoir notamment le PDG de MBDA, Eric Béranger, qui anticipe en 2020 un tel ralentissement, avec des hypothèses basses allant jusqu’à une baisse de 50% des commandes. Il se traduira par une perte de chiffre d’affaires dans trois ou quatre ans plutôt qu’en 2020 compte tenu des délais entre les commandes et les livraisons.
 
Les répercussions sur la chaîne de sous-traitance sont pour l’instant difficilement mesurables. Pour y voir clair, la DGA, en coordination avec les GICAT, GICAN et GIFAS, a rapidement entrepris une cartographie des PME à l’échelon national afin de repérer les entités les plus vulnérables. Celles-ci se comptent déjà « par dizaines dans chacun des secteurs », indiquent les députés Griveaux et Thiériot. Tel est notamment le cas des très petites entreprises, en 4e ou 5e rang dans les chaînes d’approvisionnement, qui ont autrement plus de difficultés à recourir aux dispositifs d’aide de l’État ou à accéder à des prêts bancaires. Côté terrestre, un fournisseur de moteurs électriques indispensables à la fabrication des tourelleaux téléopérés T1 et T2 du programme Scorpion de l’armée de Terre est aujourd’hui en difficulté. « En cas de défaillance de cette PME, c’est tout Scorpion qui s’en trouverait grippé », estiment les parlementaires.
 
Chez les grands donneurs d’ordre du terrestre, on confirme que les différents retards pris sur les programmes cette année sont pour l’immense majorité dus à des ruptures d’approvisionnement ou au rallongement des délais de livraisons en raison d’un redémarrage compliqué et de problèmes de trésorerie chez des fournisseurs essentiels, en majorité des PME. Tout effort permettant d’appuyer ceux-ci servira donc l’intérêt général. L’appui n’est pas uniquement financier ou relatif à de nouvelles commandes : de la visibilité et des garanties de trésorerie peuvent déjà suffire en terme de réassurance.
 
Accélérer la LPM, affermir Scorpion
 
Si elle reconnait avoir été « très bien servie » par l’actuelle LPM avec Scorpion, la filière terrestre requiert cependant un plan de relance sectoriel dont la matérialisation est espérée pour le mois prochain. Pour les industriels concernés, ce rebond se traduirait globalement par une accélération des commandes « pourvu qu’elles restent conformes au modèle d’armée complet et cohérent défini par la LPM pour l’horizon 2030 ». Il ne s’agit donc pas de modifier les équilibres capacitaires qui sous-tendent les objectifs fixés par la LPM dans la décennie à venir, mais d’en accélérer l’atteinte. « Accélérer la modernisation de nos capacités n’a d’ailleurs rien de superflu. Il suffit pour s’en convaincre de noter l’état de vétusté avancée des équipements terrestres au seuil de la présente période de programmation : 85 % des matériels majeurs avaient plus de trente ans », indiquent les rapporteurs. Or, au rythme prévu par la LPM, seuls 50% des livraisons de la gamme Scorpion auront été réalisées en 2025.
 
Selon les rapporteurs, la relance impliquerait avant tout d’affermir des commandes inéluctables comme celles des matériels issus du programme Scorpion. Plus de 1100 de ces véhicules doivent encore être commandés d’ici 2025 mais relèvent pour majorité de tranches conditionnelles, les commandes fermes ne portant pour l’heure que sur 359 engins (339 Griffon et 20 Jaguar). Confirmer ces tranches engageant l’État à ne verser immédiatement que 10% du montant total, « une telle massification des programmes ne coûte guère à la trésorerie de l’État, mais nourrit celle des industriels, ainsi que leur carnet de commandes, ce qui faciliterait leur accès aux financements », soulignent les députés.
 
Deuxièmement, accélérer certains programmes de la LPM. À ce titre, l’armée de Terre propose le remplacement anticipé de camions GBC 180 « qui datent de 1961 et présentent aujourd’hui nombre de faiblesses » malgré le renouvellement du parc et une DTO « record » de 68% au sein de la flotte logistique. Néanmoins, la LPM n’envisage les premières livraisons que pour 2025. La crise aidant, l’armée de Terre propose à présent l’acquisition anticipée de 2 800 nouveaux camions d’un standard civil sur les 7000 attendus à l’horizon 2030, « ce qui constituerait un marché accessible à Renault Trucks [en coopération avec Arquus] ». Ce besoin, pour lequel Arquus a déployé en juin une offre spécifique autour de sa nouvelle gamme ARMIS, aurait le mérite de mettre à contribution un vaste panel d’acteurs, depuis le concepteur, le camionneur civil, les fournisseurs de pièces pour la militarisation, l’intégration et l’assemblage, à, sans doute, d’autres entreprises pour les cabines blindées, les remorques, etc. En résumé, un programme dense et complexe intégrant beaucoup de parties prenantes et promettant du planning de charge pour quelques années.
 
Troisièmement, la relance de la BITD serait l’occasion de ramener à 75 %, « voire davantage », le taux d’équipement des Griffon en tourelleaux téléopérés (TTOP). Une cinquantaine d’exemplaires du modèle T1 ont été livrés l’an dernier par Arquus et 262 autres ont été commandés dans le cadre de l’avenant MEPAC notifié en décembre 2019. Malgré une plus-value opérationnelle majeure en terrain hostile, les TTOP du programme Scorpion ont régulièrement servi de variable d’ajustement au gré des aléas budgétaires et il est pour l’instant prévu de ne doter que la moitié des Griffon. Du côté industriel, on applaudit dès lors le « bon sens » d’une telle proposition. Équiper plus de Griffon – et pourquoi pas les Serval – serait donc une solution parfaitement logique et aurait le mérite d’irriguer le PME d’une filière TTOP jusqu’alors inexistante en France.
 
Relancer par les petits programmes et les études amont

 
Enfin, un éventuel plan de relance ne pourra faire l’impasse sur les programmes de moindre ampleur et le programme 144 (études amont). Comme l’a fait valoir le général Beaudouin, ex-sous-chef d’état-major « plans et programmes » au sein de l’EMAT, les programmes majeurs de l’armée de Terre ne peuvent se cristalliser « sans le ciment que constituent les « petits » programmes, intéressant davantage les PME ». Les lignes budgétaires qui financent ce « ciment » ‒ les « autres opérations d’armement » (AOA) et « équipements d’accompagnement et de cohérence » (EAC) ‒ atteignent aujourd’hui respectivement 400 M€ et 220 M€. « Ces montants suivent une trajectoire de rattrapage progressif fixée par la LPM, après de nombreuses années de sous-investissement, qui ont vu AOA et EAC servir de variable d’ajustement dans des budgets contraints », rappellent les députés. À tout le moins, il convient donc « d’éviter que les efforts de relance via des programmes d’armement plus coûteux n’aient un effet d’éviction au détriment de ces crédits », ajoutent-ils. Ici encore, le travail parlementaire est essentiel et les résultats de la mission d’information sur la « politique d’achat du ministère des Armées en petits équipements » dirigée par les députés André Chassaigne (PCF) et Jean-Pierre Cubertafon (MoDem), présentés le 29 septembre, seront certainement riches d’enseignement.
 
Les députés ont par ailleurs souligné le risque qu’il y aurait à « investir massivement dans la production d’équipements mais à négliger l’activité des bureaux d’études et des laboratoires de recherche ». L’armée de Terre plaide en particulier en faveur d’un effort supplémentaire au profit des études amont relatives aux technologies regroupées par le programme Titan, soit le renouvellement du segment lourd des systèmes d’armes. Ce sont des opérations telles que les programmes franco-allemands Main Ground Combat System (MGCS) et Common Indirect Fire System (CIFS), l’évolution du Tigre vers le standard Mk3 puis son remplacement dans un cadre européen, ou encore le successeur du VBCI et des systèmes sol-air. Pour ce qui est des crédits militaires, la LPM planifie une hausse des crédits d’études amont de 750 M€ à un 1 Md€ par an à partir de 2025.
 
Pour Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot, « une telle croissance va naturellement dans le bon sens, et appelle une certaine attention quant à la consommation réelle de ces crédits ». De fait, il apparaît qu’une quarantaine de millions d’euros, soit 5 % de la dotation, n’a pas été employée en 2019. La consommation de ces crédits supplémentaires pourrait in fine concourir à rétablir la balance extrêmement inégale entre les différentes filières. De fait, quand Thales captait à lui seul près d’un tiers du budget du programme 144 (235 M€), Nexter et Arquus n’auront quant à eux été gratifiés que de 6 M€ et 2 M€ l’an dernier. Un changement de cap au profit des entreprises du terrestre est nécessaire à l’heure où s’amorcent de nouveaux projets structurants – donc coûteux – dans les autres segments, le SCAF et le porte-avions de nouvelle génération en tête.

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