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Apprendre sans attendre, ou quand la frugalité s’invite dans la maintenance prédictive

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Anticiper une panne grâce à la maintenance prédictive, voilà l’un des Graal des services de soutien des armées françaises. Le hic ? Le concept telle qu’il a été conçu jusqu’à présent suppose d’amasser une montagne de données. Une méthode très chronophage alors, plutôt que d’attendre les résultats durant des décennies, certains chez Nexter planchent sur une nouvelle approche où rapidité rime avec frugalité.

Les limites de la maintenance prédictive militaire

L’enjeu de la maintenance prédictive, militaires et industriels de la défense et d’ailleurs travaillent dessus depuis un bon moment. Cette capacité à prédire la durée de vie d’une pièce génère en effet des avancées majeures dans la gestion de flotte, de l’optimisation des plans de maintenance et de la disponibilité et la réduction des coûts de possession. 

Plusieurs approches se côtoient dans l’industrie. La première, centrée sur la donnée, consiste à amasser un maximum d’informations via une galaxie de capteurs embarqués (ou HUMS) pour en faire ressortir, grâce à une intelligence artificielle (IA) et à l’apprentissage automatique, des « signatures » de défauts liés à des faits techniques.

Cette approche dite « data driven », Nexter l’a expérimentée entre 2019 et 2021 sur 40 VBCI avec le programme ERMES (intEgration pour le Recueil, la Maîtrise et l’Exploitation de donnéeS). Les résultats de cette expérimentation ont permis à Nexter de monter en maturité et de mettre ainsi en exergue le peu de données exploitables et la difficulté de corréler celles-ci avec les faits techniques de par la différence temporelle entre les deux éléments. En ne partant que des données, il faudrait par ailleurs des années de récolte pour parvenir à former une IA crédible. Autre point, parmi les plus importants aux yeux de l’industriel, c’est « un profil d’emploi des véhicules qui est anarchique » et rend impossible l’établissement d’un profil de vieillissement. De fait, et contrairement à l’automobile de monsieur tout le monde, un véhicule militaire oscille entre différents terrains, climats et intensités d’usage.

Loin de baisser les bras, les équipes de Nexter ont tenté une seconde approche dite « model driven » basée sur « une modélisation multiphysique ». En d’autres termes, elle repose sur la création d’un modèle ensuite nourri avec des données historiques. Cette première bibliothèque, c’est celle issue d’une expérimentation menée sur le char Leclerc. Une fois réunis, les deux volets « permettent de créer un premier modèle de vieillissement qui a donné des résultats intéressants et a permis de faire avancer notre compréhension ».

Mais ce qui est envisageable pour un char en service depuis 30 ans « ne fonctionne pas » avec des véhicules SCORPION dont l’entrée en service remonte, dans le cas du Griffon, à fin 2019. Non seulement le panel de données est très limité, mais il est également impensable d’attendre des décennies pour le compléter et obtenir une brique de maintenance mature. C’est ici qu’intervient la notion de frugalité, une nouvelle approche « qui consiste à savoir ce que l’on cherche pour le trouver » et permet de construire un algorithme de prédiction à partir d’une quantité limitée de données. Cette méthode dite « frugale » existe et est déjà déployée dans certains domaines civils, dont le secteur médical. Ne restait qu’à la transposer dans le monde militaire.  

Une méthode pour « apprendre sans attendre »

Plutôt que d’élargir la surveillance à toutes les fonctions d’un véhicule, la maintenance prédictive frugale va commencer par cibler celles dont la criticité est la plus élevée. C’est le cas, par exemple, pour une distribution électrique sans laquelle ni le véhicule, ni ses systèmes embarqués ne fonctionnent. Dans un second temps, il s’agira d’analyser les éléments redoutés, comme une batterie ou un alternateur hors service, et de définir des témoins d’usure.

Jusque là, rien de très neuf. La frugalité apparaît dans la troisième étape du processus, lorsqu’il s’agit de caractériser sur véhicule avec des tests fonctionnels et dysfonctionnels. Une fois ces défauts identifiés et « joués », il devient possible d’associer les modèles de vieillissement théoriques aux modèles pratiques et d’ainsi créer des lois de prédictions les plus réalistes qui soient. L’expertise humaine, la modélisation, l’apprentissage automatique (IA) sont également au cœur de cette approche. L’opération pourrait être menée en lien avec le programme Artemis.IA du ministère des Armées. Confié à la co-entreprise Athea formée par Thales et Atos, cette plateforme doit doter les armées françaises d’une solution souveraine de traitement massif de données et d’IA. Les industriels sont déjà dans la boucle, Artemis.IA devant aussi déboucher sur la mise à disposition par l’État d’un kit de développement logiciel, soit des outils numériques permettant de faire de l’IA.

Les algorithmes qui en découlent pourront être déployés sur un parc après seulement quelques mois de mise au point via des boucles courtes et itératives. L’exploitation des données peut alors commencer, soutenue par la mise en place d’une boucle vertueuse d’amélioration continue. Grâce à sa frugalité, donc à partir d’un lot restreint de données, un tel outil pourrait être opérationnel en trois ans d’après Nexter. Les débouchés sont de deux ordres. En version embarquée, « l’idée, c’est de faire de l’aide à la décision ou de l’aide à la conduite ». Nexter imagine pour cela un interface homme-machine simplifié, par exemple à base d’un code couleur universel dans lequel le rouge conserverait sa nature d’alerte. En débarqué, la maintenance prédictive aura pour objectif de récupérer l’ensemble des données d’une flotte pour améliorer continuellement les différents modèles.  

La méthode frugale est actuellement transposée dans les projets européens FAMOUS 1 et 2. Elle pourrait également être proposée pour la phase de pré-design du futur VBAE. Si les Griffon et Jaguar, au travers de l’avenant 4 du marché EBMR, sont pour l’instant liés à la méthode « data driven », ces parcs pourraient un jour basculer dans l’ère de la frugalité en partenariat avec les autres industriels du GME SCORPION, Arquus et Thales. La même logique pourrait ensuite s’étendre au CAESAR Mk II, voire, plus loin, au char Leclerc et au VBMR léger Serval.

Crédits image : 8e RMAT

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