Projet de loi de finances 2019, l’équipement des forces en débat

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Cédric Perrin, co-rapporteur du programme 146 « Equipement des forces » au Sénat, a souligné combien ce programme est structurant pour les armées car il concerne l’équipement des forces et représente 30 % des crédits du ministère pour 2019. En outre, avec 10,9 milliards d’euros, il s’agit aussi du premier budget d’investissement de l’Etat.
 

L’équipement des armées en HK 416 se poursuivra en 2019 (Photo : ministère des Armées)


 
Forces Operations l’avait déjà relevé : le fait majeur de ce premier budget de la nouvelle LPM, c’est naturellement la progression des crédits : + 644 millions d’euros par rapport à 2018, soit une augmentation de 6,3 %. Toutefois, cette hausse n’est pas uniformément répartie. Elle bénéficie surtout à l’action 6 « Dissuasion » (+ 331 millions d’euros) et à l’action 7 « Commandement et maîtrise de l’information » (+ 304 millions d’euros). Ceci, dit les autorisations effectives d’engagement n’évoluent pas de manière uniforme.
 
Mais comme tout est dans la nuance, la réjouissance permise par l’augmentation de budget est ternie par certaines décisions d’affectation. Par exemple, la commission Défense a dénoncé publiquement le fait que le Gouvernement ait décidé de faire supporter la totalité du surcoût OPEX de 2018 au seul ministère des Armées. Cela correspond à 404 millions d’euros qu’il faut trouver dans le budget des armées. C’est le programme 146 qui sera le plus lourdement impacté, avec 319 millions d’euros annulés. Il s’agit du recours à la facilité habituelle : les annulations sur les programmes d’équipements produisent des impacts de moyen-long terme, peu visibles pour nos concitoyens à court terme. Ces millions annulés aujourd’hui, il faudra les payer plus tard, c’est-à-dire au cours d’une LPM qui, avant même son premier jour, est déjà dans le rouge.
 
Ces annulations de programmes ne sont pas symboliques : pour le programme 146, elles représentent 3 % des crédits. Raisonnement adopté par le gouvernement : les armées ont plus de crédits, donc on peut leur en prendre plus. Si on suit ce raisonnement lorsque le budget des armées augmente d’1,7 milliard d’euros, que se passera-t-il lorsqu’il s’agira d’ajouter 3 milliards chaque année, dans la seconde partie de la LPM ?
 
Deuxième conséquence probable de ces annulations : l’aggravation des restes à payer, ces charges qui se répercutent sur l’année suivante. Pourtant, là encore, la LPM prévoyait leur diminution progressive.
 
Et Cédric Perrin de conclure que nous voyons malheureusement cette LPM de redressement se heurter d’emblée à des logiques budgétaires qui posent la question des priorités politiques. Dans ces conditions, on se demande comment, dans les années qui viennent, moderniser la dissuasion, combler les trous capacitaires, moderniser les matériels conventionnels, tout en investissant les nouveaux champs de conflictualité et en renforçant le renseignement.
 
Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure du programme 146, en a « rajouté une couche » en déplorant qu’« on ne peut aborder l’examen des crédits du programme 146 sans considérer le contexte général dans lequel s’inscrit le Projet de Loi de Finances pour 2019. Ce contexte, c’est d’abord celui de la LPM, sur laquelle nous avons fondé beaucoup d’espoirs, puisqu’elle a été votée à la quasi-unanimité du Sénat. Plus important encore, le contexte, c’est celui des espoirs et des attentes des femmes et des hommes qui servent la France dans nos armées. Or ces espoirs sont déjà déçus, avec la fin de gestion 2018 et les 404 millions d’euros ponctionnés sur les crédits de 2018 ».
 
Le problème budgétaire lié aux OPEX est avant tout un problème politique : tout d’abord, cette ponction est contraire à l’article 4 de la LPM de 2013, qui s’applique encore en 2018, qui prévoyait que le surcoût des OPEX était financé par la solidarité interministérielle que le Gouvernement actuel a réaffirmée dans la nouvelle LPM mais qu’il écarte aujourd’hui d’un revers de la main.
 
L’enjeu va bien au-delà des 404 millions d’euros de 2018 (dont 319 millions pour le seul programme 146) : c’est la crédibilité des engagements de la LPM qui est en jeu, parce que le Gouvernement fait à l’automne le contraire de ce qu’il a dit au printemps, déplore Hélène Conway-Mouret. Or le Gouvernement a fait le choix d’une LPM longue (7 exercices), et déséquilibrée, puisque l’essentiel de l’effort sera en deuxième partie de LP.
 
Certes, il y aura en 2019 un certain nombre de livraison et de commandes, dont les 500 premiers véhicules VT4, mais l’annulation de 319 millions d’euros en 2018 pour le programme 146 représente un mauvais départ pour la dimension capacitaire du redressement annoncé des armées. 319 millions d’euros d’annulation, c’est l’équivalent de deux ans et demi de livraisons de blindés Griffon !
 
Rappelons que le programme Scorpion, dans son ensemble, est un projet très ambitieux par ses objectifs. Or, Thalès a rencontré des difficultés significatives sur les Griffon. De ce fait, les trois exemplaires annoncés comme à livrer dès cette année pourraient bien ne pas être réceptionnés par l’armée de Terre. Thalès se veut rassurant : les difficultés sont très clairement identifiées et en cours de traitement, ce qui devrait permettre, selon l’entreprise, de tenir le calendrier de livraison prévu, soit 89 exemplaires à livrer sur l’année.
 
L’équipement des forces armées en matériel neuf se poursuit mais…