L’obus de précision KATANA sur trajectoire pour un éventuel premier contrat

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Sans tambour ni trompette, la division munitionnaire du groupe Nexter poursuit le développement de l’obus d’artillerie guidé de 155 mm KATANA. Une première version atteindra bientôt le niveau de maturité suffisant pour entrevoir la phase d’industrialisation, apprenait-on récemment. Il pourrait entre temps attirer un premier client.

Atteindre la commercialisation en 2024

Ce besoin pour une artillerie de précision, les militaires français l’ont exprimé de longue date. Le sujet est devenu une priorité pour Nexter Arrowtech. Entre l’obus antichar BONUS et les munitions explosives et éclairantes, ne manque qu’une référence dans son portfolio : « un obus guidé capable de traiter des cibles à haute valeur ajoutée à une distance de 40 km ».  

La réponse repose plus que jamais sur l’obus KATANA, un développement formellement lancé en juillet 2018 dans la foulée du salon Eurosatory. Le sujet mobilise aujourd’hui une vingtaine d’ingénieurs dans un bâtiment dédié sur le site Nexter de Bourges (Cher), contre trois ou quatre pour une munition classique. KATANA requiert en effet un éventail de compétences particulières, en particulier des spécialistes des solutions de guidage.

Sa maturité est en croissance constante grâce aux campagnes d’essais menées en collaboration avec la Direction générale de l’armement (DGA) et le Bofors Test Center (BTC) de Karlskoga (Suède). « Nous avons investi dans leurs positions de tir afin de pouvoir tirer dans les conditions que nous avons définies », explique Nexter à propos du BTC.

À ce jour, l’équipe KATANA a plusieurs centaines de tirs de mise au point à son actif, dont une poignée de tirs guidés-pilotés depuis l’été 2021. Un jalon atteint à la suite d’essais conduits en laboratoire avec la DGA, dont des tests en soufflerie et de résistance à des accélérations de près de 18 000 G. Toute la partie « intelligence » avait quant à elle été éprouvée sur un banc HWIL (hardware in the loop) sur lequel sont générés des environnements de guidage. La tête militaire a elle aussi été l’objet d’essais en chambre et de quelques tirs directs.

Les expérimentations se poursuivront en 2022 et 2023, année durant laquelle Nexter conduira « une grosse campagne ». Si le jalon final est maintenu, la crise sanitaire aura engendré son lot de difficultés. La crise des composantes électroniques, par exemple, a contribué à décaler d’un an certaines phases. « Nous n’avons pas encore réalisé de tir balistique à 20, 30 ou 40 km », indique Nexter. Le premier tir opérationnel, à l’origine prévu pour cette année, devrait normalement avoir lieu à l’été prochain.


Si la DGA a rejoint le train en marche, l’effort financier provient en très grande majorité de Nexter, qui a jusqu’à présent investi quelques dizaines de millions d’euros. De quoi permettre à l’obus KATANA d’atteindre un degré de maturité TRL 7 avant 2024 et d’autoriser son industrialisation dans la foulée.  

Le couple CAESAR-KATANA présenté durant Eurosatory 2022, la proposition de Nexter pour répondre au besoin d’une artillerie de précision souveraine

Atteindre une précision décamétrique

Pour Nexter, KATANA se résume à cinq mots : « précis, indépendant et plein calibre ». « L’objectif est en effet de fournir dans un premier temps le CAESAR mais aussi toutes les artilleries compatibles JBMoU*  de 52 calibre, avec une munition qui permette de garantir un cercle d’erreur probable (CEP) de niveau décamétrique », explique Nexter. Dit autrement, l’obus KATANA est conçu de manière à ce que 50% des coups tombent à moins de 10 m de leur cible. « Ce niveau de précision est indispensable pour soutenir les troupes débarquées dans les endroits imbriqués, notamment rencontrés en environnement urbain ».

Pour atteindre une telle performance, Nexter mise sur la combinaison de plusieurs composantes : un récepteur GNSS et une unité de mesure inertielle (IMU). Pourquoi GNSS ? Parce que les puces qui seront réceptionnées en 2023 par Nexter seront à la fois compatibles GPS et Galileo, contribuant à améliorer encore la précision et la résilience.

Le principe est simple. La munition est programmée avant le tir avec les coordonnées de la cible et quelques données essentielles comme la météo. Le tout en moins de deux minutes. Le système s’initialise lors de la phase de montée et récupère toutes les informations nécessaires pour naviguer, du signal satellite aux capteurs embarqués. L’obus reçoit ensuite l’autorisation de déployer son Canard Actuation System (CAS), un ensemble d’ailettes en titane grâce auxquelles il sera possible de former la meilleure trajectoire de rejointe de la cible.

Intégrer un système comme l’IMU peut paraître simple, mais il s’agit en réalité de confronter des modules tenant « plus de l’horlogerie que de la munition » à des contraintes extrêmes, à commencer par une vitesse en sortie de bouche de 900 m/s et une accélération de 16 à 20 000 G. Résultat : seuls deux systèmes de ce type existent dans le monde. L’un sur KATANA et l’autre sur l’Excalibur de l’américain BAE Systems.

Bien qu’elle soit conçue prioritairement pour le CAESAR, la munition KATANA a été dimensionnée pour être compatible avec tous les systèmes de chargement automatique. D’où une longueur inférieure à 1 m pour un poids de 45,6 kg. Elle contient une tête militaire de plus de 6 kg d’explosif insensible. Celle-ci, « la plus efficace sur le marché des munitions guidées », autorise les opérationnels à étendre le champ des applications aux cibles à haute valeur ajoutée. Seule exception notoire, le char de combat reste la cible privilégiée de l’obus BONUS.

La précision tend à réduire la consommation de munitions, influant au passage positivement sur le volet logistique. Ainsi, quand il faudrait de 20 à 40 munitions traditionnelles pour s’assurer de détruire une cible à 40 km, KATANA limite idéalement le besoin à un seul obus. Et si la tête militaire est deux fois plus petite que celle de l’obus LU 211, l’équipe de KATANA aura profité des travaux réalisés pour son évolution, l’obus LU 220, pour intégrer un corps de charge et un explosif optimisés pour concentrer la gerbe d’éclats dans un périmètre défini.

L’obus KATANA comprend également une fusée multimode « légèrement différente des fusées traditionnelles ». Elle offre par contre les mêmes types d’effets : la détonation à l’impact, un léger retard pour pénétrer avant d’exploser et, pour l’instant en option, une capacité « height of burst » planifiant une détonation à l’altitude déterminée.

Contrairement aux obus classiques, « le CEP de KATANA n’est pas dépendant de la portée puisque la trajectoire est corrigée en permanence ». « Nous ne voulions pas limiter les capacités du CAESAR, dont les 35 à 45 km de portée suivant la munition. Il était hors de question que, pour tirer une munition guidée, les artilleurs soient obligés de rapprocher leur canon ».

Quelques-uns des modules développés pour l’obus KATANA présentés durant Eurosatory. À droite, le Canard Actuation System déployé en cours de vol pour corriger la trajectoire.

Vers un premier contrat ?

Nexter a surtout travaillé « sur le squelette » de l’obus, et, tout en étant nativement ITAR-free, KATANA est conçu de manière modulaire pour deux raisons. La première relève de la volonté de conserver une grande capacité d’évolution. L’intérieur de l’obus repose ainsi sur différentes « cassettes » empilées, chacune assurant une fonction. Hormis les fonctions de navigation et d’intelligence, l’une est dédiée à l’alimentation en énergie de l’ensemble des sous-systèmes. Des trois batteries thermiques embarquées, l’une assure le fonctionnement de l’IMU, du module GNSS et du calculateur, une autre alimente les trois moteurs pour le déploiement et l’actionnement des gouvernes, et la troisième est dévolue au système de mise à feu.

Demain, cette modularité permettra de répondre à deux autres enjeux : parvenir à un CEP inférieur à 1 m et, probablement, toucher des cibles en mouvement. Deux capacités qui pourraient être atteintes par l’ajout d’un écartomètre semi-actif laser (ECSAL) pour lequel une provision de volume interne et de masse est prévue.

L’avenir devrait également voir se généraliser le brouillage anti-GNSS. Nexter travaille donc déjà avec plusieurs entreprises pour déterminer de nouvelles solutions de localisation. Certains travaux sont menés en interne, d’autres dans le cadre du programme européen FIRES* financé par le mécanisme EDIDP. Nexter Arrowtech en a pris la tête, notamment grâce aux connaissances accumulées avec KATANA. FIRES est la première marche vers l’élaboration de d’un obus d’artillerie de 155 mm et d’une roquette, deux nouvelles munitions guidées qui pourront venir alimenter la feuille de route du KATANA. « Nous travaillons sur les deux périmètres en même temps afin de maximiser les communalités », pointe l’industriel.

L’autre atout de la modularité, c’est l’argument qu’elle représente pour capter des marchés export. Rien n’empêche de délocaliser certaines technologies pour répondre au cahier des charges des clients, ceux-ci pouvant « faire évoluer leur projectile suivant leurs besoins et en intégrant leurs industries nationales ». Et vice-versa, car l’adaptation d’une brique de KATANA à une autre munition peut être envisagée sous certaines conditions. Nexter finalise aujourd’hui les négociations pour un premier contrat avec « un gros client européen ». En cas de succès, il s’agira premièrement de parachever le développement et de qualifier le produit avant d’entrevoir l’activation de tranches de production. Régulièrement aperçu sur les salons d’armement, l’obus KATANA a désormais plusieurs prospects dans le viseur, et pas seulement en Europe.

*NATO Joint Ballistics Memorandum of Understanding

*Future Indirect fiRes European Solution