La DRSD s’inquiète d’une flambée de l’ingérence économique

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Les 1500 agents de la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) sont sur le pont. Pour leur patron, le général de corps d’armée Éric Bucquet, « le niveau de menace n’a jamais été si élevé, et la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 l’a encore renforcé ». Avec pour conséquence une accentuation des menaces d’ingérence économique en provenance de l’étranger.

Un niveau de menace sans précédent

 

L’inquiétude est particulièrement prégnante en ce qui concerne la protection des 4000 entreprises de la BITD et établissements de recherche accompagnés par ce service de renseignement du ministère des Armées. Entre la prise de contrôle par un acteur étranger et la captation de savoir-faire, « Le niveau de vulnérabilité de nos entreprises est immense, et le besoin de protection de nos intérêts stratégiques n’a jamais été aussi avéré », signalait le général Bucquet lors d’une récente audition parlementaire. 

Parmi les principales craintes, le rachat potentiel d’ « entreprises françaises exceptionnelles » par des étrangers surfant sur leur fragilisation en raison de la crise économique. Un cas de figure « déjà vu par le passé », rappelle le général Bucquet, et qui aboutirait à la disparition d’un savoir-faire français et à la rupture de la chaîne de valeur de certains grands groupes, dès lors dans l’impossibilité de produire leur systèmes d’armes. 

Parmi les pays régulièrement cités, les États-Unis et la Chine. Si les premiers usent de la réglementation ITAR pour affaiblir la concurrence, française entre autres, la seconde « est très présente » et comprend des entreprises « très actives sur les technologies de pointe ». La localisation de leurs sites industriels, parfois à proximité directe d’implantations militaires ou civiles sensibles, « exige des précautions ».

C’est un fait, ces entités étatiques ou privées ont récemment accentué leur activité, avec à la clef une explosion du nombre d’alertes côté français. Le DRSD aura ainsi rédigé « plusieurs centaines de notes de renseignement » dans ce domaine en 2020, soit une augmentation de 36% par rapport à l’année précédente. 

Crédits : DRSD

Le choc est contenu, pour l’instant

Après plus d’une année de crise et « en dépit de vulnérabilités importantes », le général Bucquet estime qu’il n’y a pour l’instant pas lieu de parler de catastrophe. L’aide d’urgence du gouvernement, à commencer par les prêts garantis par l’État (PGE), aura constitué un bon amortisseur, complété par le recours au chômage partiel. 

Non, ce qui préoccupe la DRSD, c’est bien l’avenir proche. « Nous sommes plus inquiets pour le futur, au terme de la crise sanitaire, dans six mois », souligne le général Bucquet. 

La reprise est très inégale d’un pays à l’autre. Certains clients historiques de la BITD française, à l’image de l’Inde, étant aujourd’hui touché de plein fouet. A contrario, plusieurs concurrents ont en partie retrouvé une pleine capacité opérationnelle, quand les commerciaux français éprouvent toujours des difficultés à se rendre sur leurs terrains de chasse en raison de barrières sanitaires fortes. 

Enfin, viendra un temps où les bénéficiaires des PGE devront commencer à rembourser leur banque, qu’importe leur état de santé. Différer et/ou étaler ce remboursement reste possible, mais affectera davantage la trésorerie de l’entreprise. 

Avec « certaines PME et PMI dont les carnets de commandes sont vides ou qui n’ont pas eu les commandes qu’elles attendaient », il est probable que le PGE, après avoir été une bouffée d’oxygène, devienne un boulet économique pour une partie de la filière. 

Bien qu’il soit difficile à évaluer, le potentiel de prédation reste bien réel, comme le prouve les cas récents d’Aubert & Duval, de CNIM ou encore la très médiatique « affaire Photonis ». Les deux derniers sont heureusement sortis d’affaire et resteront dans le giron national, majoritairement suite à un coup de pouce financier de l’État. Qu’en sera-t-il des « petits », tout aussi essentiels mais situés à un niveau inférieur dans l’échelle de souveraineté ?

« C’est pourquoi, comme la DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure], nous restons en contact avec les entreprises pour connaître leurs difficultés, essayer de les analyser avec elles, puis remonter ces informations le plus rapidement possible vers le service de l’information stratégique et de la sécurité économique afin d’apporter, si besoin, des mesures correctrices et d’essayer de les soutenir », pointe le directeur de la DRSD.