La Belgique, futur eldorado de l’industrie française ?

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Près de 9,2Md€ investis en matériel majeur d’ici 2030, dont un contrat record pour 500 véhicules « Made in France » : la Belgique a-t-elle réalisé un « one shot » opportuniste ou déposé la première pierre d’un partenariat renforcé ? La France, engagée dans une refonte complète de son outil militaire terrestre, est régulièrement citée à l’exemple par la « Vision stratégique » du ministre de la Défense belge Steven Vandeput. D’ici 2030, ce plan pourrait aboutir à un rapprochement sans précédent entre Bruxelles et Paris avec, au passage, une belle carte à jouer pour l’industrie française.
 

Et si la vente de 500 véhicules Jaguar et Griffon n’était qu’un prélude?
(Crédit photo: MBDA)


 
L’annonce du contrat Jaguar/Griffon belge ne tiendrait donc pas du pur hasard. En effet « la proximité géographique est ici primordiale en vue d’organiser de concert les lignes de développement capacitaires ‘formation’, ‘organisation’, ‘entraînement’, ‘gestion et entretien du matériel’ et ‘infrastructure’ », explique la Vision stratégique. De même, force est de constater que les lignes conductrices de la future « Capacité motorisée interarmes » belge ne sont pas sans rappeler les éléments centraux du programme Scorpion. On apprend ainsi que « depuis 2014, nos forces terrestres sont mises en condition de manière renforcée suivant un concept d’engagement interarmes comparable à celui de la France », explique la Vision stratégique. De comparable à identique, il n’y a qu’un pas. Et la Belgique va plus loin que Scorpion et considère la constitution d’une véritable force amphibie dont la mise en condition serait réalisée « avec les Pays-Bas ou la France, (…) vu que ces deux pays possèdent des bataillons d’infanterie de Marine ». La capacité aéromobile, actuellement constituée de quatre NH90 TTH, n’est pas en reste, avec la possibilité de transférer l’entraînement des pilotes de l’Allemagne vers le Training Center NH90 français.
 
Autant de synergies sur lesquelles l’environnement industriel français peut s’appuyer pour promouvoir son savoir-faire parce que, selon la Vision stratégique, « acquérir du matériel identique offre (…) la meilleure base pour une coopération poussée dans toutes les lignes de développement qui soutiennent une capacité militaire ». Le « Scorpion belge » n’est en réalité que l’arbre cachant une véritable forêt de programmes d’achat représentant un peu plus d’1,2Md€ et impliquant tant de nouveaux systèmes de communication, qu’une capacité NRBC, de l’artillerie et des véhicules tactiques et logistiques. Le tout conditionné par une économie de coûts propice à la France, parce que les perspectives capacitaires belges ne peuvent « se réaliser que par une intégration poussée avec les capacités militaires des pays partenaires stratégiques ».
 
Prenons, par exemple, le cas de l’artillerie. Aujourd’hui limitée à une batterie d’obusiers de 105 mm LG1 Mk II et quelques mortiers F1 de 120 mm – respectivement produits par Nexter et TDA Armements -, la capacité de frappe belge évoluera entre 2027 et 2029 « vers une batterie d’appui-feu de précision indirecte, à longue portée, équipée de véhicules à roues aérotransportables », précise la Vision stratégique. Autrement dit, Nexter aurait très clairement une carte à jouer en proposant un canon automoteur CAESAR qui multiplie les succès en 2017. Comme le démontrait Nexter la semaine dernière au Bourget, le CAESAR est totalement aérotransportable par A400M, dont sept exemplaires constitueront la future capacité de transport de la Composante Air. Si la Belgique ne mentionne pas le nombre de systèmes envisagés, le budget prévisionnel de 48M€ surpasserait de peu la récente commande danoise pour 15 CAESAR.
 

Le CAESAR de Nexter, future colonne vertébrale de l’artillerie belge?


 
Mais pour arracher d’autres succès, l’industrie française devra néanmoins se plier à certaines règles, somme toute prévisibles. La Vision stratégique insiste par exemple sur la nécessité d’optimiser les dépenses à travers un « retour maximal de ces investissements vers la société via le know-how, la technologie et l’emploi ». Tout achat sera donc inscrit dans une logique d’offset soutenue notamment par la loi du 15 juin 2006 autorisant l’utilisation des compensations industrielles comme critère d’attribution des marchés. De même, la Vision stratégique s’inscrit clairement dans une logique de soutien à l’industrie nationale passant notamment par l’établissement de liens « plus étroits entre l’industrie européenne/internationale et notre propre industrie » susceptibles de rebuter certains acteurs industriels. Il est, enfin, peu probable que la Belgique accepte de miser l’avenir de sa Composante Terre sur un unique partenaire industriel. Dans la lutte pour le marché belge, la France devra nécessairement compiler avec l’appétit des industries nationales voisines. Autant de critères auxquels devra se plier l’industrie française si elle désire dépasser le stade de simple feu de pailles et multiplier les tours de force sur le sol belge.