Katana : Nexter sur la voie de l’artillerie de précision

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Attendu avec impatience par les artilleurs français, l’obus Katana conçu par Nexter a franchi le mois dernier le cap des premiers tirs d’essais pilotés. Une étape majeure pour cette première munition de précision « made in France », dont la commercialisation de l’incrément initial pourrait intervenir en 2023.

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Il aura fallu moins de deux ans pour passer d’une maquette exposée en 2018 à Paris lors du dernier salon Eurosatory à une première solution évaluée avec succès en environnement opérationnel. Décalée en raison de la crise sanitaire, cette campagne s’est déroulée au Bofors Test Center (BTC), gigantesque centre d’essais privé situé dans le sud de la Suède.

« Ces tirs d’essais, réalisés depuis un canon de 155mm CAESAR sur affût, ont confirmé la manœuvrabilité de la munition. Le CAS (Canard Actuation System), autrement dit l’ensemble des gouvernes de contrôle, s’est déployé conformément aux simulations », annonçait cette semaine le groupe français.

Des tirs effectués dépendait la validation finale des algorithmes de pilotage, de l’aérobalistique et de l’ensemble des fonctions électroniques et mécaniques. Le pilotage de l’obus en phase terminale aura aussi permis de fixer la portée à 40 km, en parfaite cohérence avec la gamme de Nexter Munitions et avec les capacités des canons actuels de 52 calibre/155 mm. Le CAESAR en tête, mais aussi le PzH 2000 et le RCH 155 de Krauss-Maffei Wegmann, partenaire de Nexter au sein de KNDS. L’obus Katana sera d’emblée compatible avec ces deux systèmes. Les données récoltées permettront de recaler le modèle numérique et de compléter les essais en soufflerie réalisés plus tôt en 2020 dans les installations de l’ONERA.

Deux décennies de maturation

Cette campagne d’essais, c’est aussi l’aboutissement de vingt années de dialogue mené de concert avec la Direction générale de l’armement (DGA) et les opérationnels. Plusieurs plans d’études amont réalisés entre 2000 et 2012 auront permis d’ébaucher certaines technologies fondamentales.

Nexter décide ensuite d’affiner son modèle sur fonds propres, tout en maintenant un lien étroit et continu avec la DGA et les états-majors. « C’est à dire que nous avons été autorisés à leur présenter le projet, à leur poser des questions techniques et à bénéficier d’une expertise très précieuse ». Lorsqu’il apparaît pour la première fois en public en juin 2018, l’obus Katana atteint un niveau de maturité TRL 5, soit la validation du système en environnement simulé. Le projet est alors suffisamment avancé pour basculer vers une phase de développement proprement dite du produit, avec la bénédiction de KNDS.

Une maquette de l’obus Katana présentée lors du salon Eurosatory 2018 (Crédits : Nexter)

Le développement de cet obus a dès l’origine été conduit selon une nouvelle démarche itérative, fondamentalement plus rapide que l’ancienne. « En réalité, Katana est beaucoup plus qu’un simple produit. C’est un projet qui est le vecteur de transformation de la direction des munitions parce que nous lui appliquons un processus de développement et de qualification que l’on dit ‘agile’ », explique Nexter.

Le programme rassemble aujourd’hui 30 employés au sein d’un plateau intégré installé à Bourges, sur le site de Nexter Munitions. C’est dans cet environnement à la « Skunk Works » que sont échafaudés plusieurs niveaux successifs de performances du système. Des performances dont la spécification n’est pas figée mais évolue avec le produit, chaque boucle d’itération étant assortie d’essais de validation, à l’image de celui effectué en décembre.

La précision pour principal enjeu

Les armées, qu’elles soient françaises ou d’ailleurs, expriment un besoin grandissant pour des munitions de précision. Côté français, l’attrait des militaires pour cette solution n’a fait que s’accentuer au rythme des RETEX d’Afghanistan et du Levant. Une réflexion concernant la munition de 155 mm a donc été engagée de longue date au sein du ministère des Armées, réflexion à laquelle Nexter peut enfin répondre grâce à Katana.

« Ce que l’on nous demande aujourd’hui, c’est finalement de compléter la famille d’applications opérationnelles avec un produit qui permette de faire de la précision au premier coup tiré », souligne l’industriel. L’obus Katana est en effet synonyme de montée en gamme pour les artilleurs, lesquels disposeront dès lors d’un choix élargi d’effets pour accomplir leur mission. 

L’obus Katana sera la première munition d’artillerie française dont la précision repose sur le couplage d’un récepteur GNSS et d’une centrale inertielle. Du déjà vu, notamment avec la munition Excalibur produite depuis une décennie par l’Américain Raytheon ? Pas tout à fait, car le modèle français repose sur un récepteur GNSS capable de se coupler avec le GPS américain mais aussi avec la constellation européenne de satellites Galileo, qui offre une couverture mondiale et plus précise que son pendant américain. L’argument est de taille pour Nexter, qui précise que « Katana va d’emblée profiter de ce degré supérieur de précision apporté par Galileo ».

L’obus Katana sera compatible avec tous les systèmes d’artillerie de 52 calibre/155 mm disponibles sur le marché, à commencer par le CAESAR 6×6 en service dans l’armée de Terre (Crédits : 3e RAMa)

Reste que ces nouvelles solutions de guidages doivent aussi être résistantes aux agressions extérieures, une préoccupation majeure et un besoin opérationnel qui commence à se préciser. Le premier incrément de Katana présentera ainsi une capacité de résistance au brouillage du récepteur GNSS. Les prochains incréments ajouteront un durcissement accru face aux diverses contre-mesures, dont le brouillage électromagnétique. Ils affineront également le degré de précision par l’ajout d’un écartomètre semi-actif laser, technologie développée de longue date avec Thales et qui devrait à terme assurer une précision métrique.

Si l’attente de la clientèle porte essentiellement sur cette propriété, Nexter travaille en parallèle sur les questions de la portée et de la charge militaire. Fixée à environ 40 km à l’issue des derniers tirs, la portée pourra évoluer si l’un des utilisateurs le souhaite. Nexter anticipe d’ores et déjà cette exigence supplémentaire. La plupart des tirs, ensuite, s’effectuent actuellement au moyen d’une charge modulaire. Pour « demain », Nexter compte proposer une charge propulsive monolithique qui permettra d’accroître la quantité de poudre, avec un effet positif sur la portée.

L’obus Katana se verra par ailleurs adjoindre un nouveau type de tête militaire. « Nous faisons en sorte qu’elle soit plus efficace et qu’elle puisse embarquer plus d’explosif que l’Excalibur », promet Nexter. Si les tirs sont pour linstant effectués sur base d’obus inertes, la future charge explosive a elle aussi été mise à l’épreuve lors de tests statiques menés dans une chambre de détonation. Cette charge autorisera l’artilleur à traiter plusieurs types d’objectifs, notamment durcis, en réponse, à nouveau, à un besoin exprimé par les forces armées françaises.

Une solution modulaire et souveraine

Si le processus entrepris en France s’avère plus long et complexe que celui de la concurrence, c’est aussi parce que Nexter cherche en priorité à s’affranchir de tout obstacle de type « ITAR ». « Notre mission envers la défense n’est pas seulement de fournir une supériorité opérationnelle, mais aussi les clefs de sa liberté d’emploi », indique Nexter. Pour ce dernier, la souveraineté repose sur deux enjeux : disposer de la capacité de produire à la demande et sans restriction, donc pouvoir se reposer sur une BITD européenne et des composants maîtrisés et sans « boîte noire », et garantir la liberté d’emploi pour les armées, dégagées de toute limitation vis-à-vis d’un fournisseur étranger.

La majorité des composants de Katana proviennent d’entreprises françaises, la principale difficulté reposant sur la nécessité de créer de toutes pièces certains composants et d’en faire gagner d’autres en maturité. Un nouveau réducteur de traînée de culot, par exemple, sera conçu par Eurenco, partenaire de longue date qui fournit déjà cette technologie pour certains obus de 105 et 155 mm. La démarche ne se limite pas à la filière française et inclut une poignée de partenaires européens.

Cet argument de la souveraineté, Nexter souhaite pouvoir l’élargir à tout prospect. Grâce à sa modularité native, l’obus Katana peut être adapté aux besoins d’un pays client sur base de solutions nationales. « Nous sommes ouverts aux coopérations industrielles et prêts à engager des incréments futurs avec des industriels de France et d’ailleurs », nous explique-t-on. Les premières marques d’intérêt se multiplient déjà, principalement en provenance de clients engagés dans des phases de consultation pour un approvisionnement en munitions sur les prochaines années.

Vers la commercialisation en 2023

La configuration incrémentale du programme lui permet d’avancer rapidement ; alors pour l’équipe Katana, l’objectif est maintenant de parvenir à proposer un premier incrément apte à la production de série en 2023.

Le niveau d’évaluation sera rehaussé cette année, avec des tirs d’essais sur des obus qui cette fois seront non seulement pilotés mais aussi guidés sur des coordonnées enregistrées préalablement dans la munition. De nouvelles phases de réglages devraient ensuite aboutir à l’évaluation d’un système totalement fonctionnel. L’équipe Katana continuera en parallèle le développement de nouveaux composants, tels que le réducteur de traînée et la tête militaire.

Nexter entrera en 2022 dans une phase de qualifications industrielles comprenant des tests « de diverses natures qui valideront le fait que la munition est robuste, fiable, sûre à l’emploi ». Les premières démonstrations au profit des différents prospects pourraient intervenir en 2023, voire avant. Avec, pourquoi pas, de premiers succès commerciaux en ligne de mire pour la discrète équipe Katana.