De l’eau à la terre, les plongeurs de l’armée de Terre inaugurent un champ de tir unique sur fond d’anniversaire

Share

Les plongeurs de l’armée de Terre fêtent leurs 75 ans d’existence cette année. Pas d’anniversaire sans cadeau alors, pour l’occasion, ces spécialistes du changement de milieu se sont vus offrir un nouvel outil d’entraînement installé au sein du camp de Bitche (Moselle) : un champ de tir nautique, le premier du genre en France.

De la Guyane à la Moselle

Ceux qui sont alors appelés les « plongeurs découpeurs du génie » apparaissent au lendemain de la Seconde guerre mondiale.  En novembre 1947, ils sont mis à profit pour dégager les voies navigables obstruées par les destructions de ponts et d’installations portuaires intervenues au cours du conflit. Cette spécialité sera dissoute 10 ans plus tard, avant de réapparaître en 1967. Depuis, elle n’a cessé d’évoluer et de développer ses capacités et savoir-faire.

Trois quarts de siècle plus tard, les plongeurs sont désormais environ 250 répartis dans les régiments du génie* à raison d’une section, dans les forces spéciales avec les 13e RDP et 1er RPIMa et, plus succinctement, dans l’infanterie et le renseignement. Quarante-cinq d’entre eux, en provenance d’un peu partout, se sont réunis cette semaine en Moselle pour célébrer cet anniversaire et inaugurer le nouveau champ de tir nautique installé sur le lac de Haspelschiedt.

Poétiquement appelé « PM 12 », ce parcours est le premier du genre en France. L’idée trouve ses racines à 7500 km de Bitche et dans un environnement radicalement différent : la jungle guyanaise et ses multiples cours d’eau. En 2018, la situation sécuritaire en Guyane se dégrade. Une dizaine d’accrochages avec ouverture du feu y ont lieu, visant les militaires français engagés dans l’opération Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal. Le Commandement des forces terrestres (CFT) décide alors de densifier la mise en condition finale de l’opération.

Tous les régiments du génie possèdent un détachement de plongeurs de combat, avec une expertise amphibie pour les 6e RG et 1er REG

Deux expérimentations sont menées suivant ce constat. L’une est jouée en Belgique avec le 1er REG, la défense belge disposant alors des installations nécessaires. La seconde l’est en mer, à Saint-Mandrier-sur-Mer (Var), cette fois avec les plongeurs du 6e RG. Mi-2018, le CFT valide l’utilité de ce type d’entraînement et engage des études. « Détail fâcheux » : il n’existe pas d’infrastructures de ce type en France. Exploité depuis 1901 par l’armée de Terre, doté d’un plan d’eau, d’un site de franchissement, de cales de mise à l’eau, situé à proximité de plusieurs régiments du génie, le camp de Bitche s’avère être le candidat idéal pour accueillir de nouvelles installations. Les premières reconnaissances réalisées par le 13e RG participeront à affermir ce choix.

Identifiée comme prioritaire par l’École du génie, la construction de ce parcours de tir profite d’un coup d’accélérateur en 2021. Un an plus tard, et avec l’aide du Service d’infrastructure de la Défense (SID), du 13e RG, du 19e RG et du 16e BCP voisin, le site PM 12 sort définitivement de terre. Ou d’eau, c’est selon.

« Un très beau terrain de jeu »

Centré sur un carré d’environ 250 mètres de côté, le parcours nautique de Haspelschiedt permet le tir sur embarcation vers la terre, sur l’eau ou en sortie d’eau à partir de tous les moyens nautiques disponibles, des palmes à l’embarcation de combat fluvial développée avec l’entreprise héraultaise Littoral et en cours d’évaluation du côté de la Section technique de l’armée de Terre (STAT). Parce qu’il est conçu pour entraîner aux changements de milieu, le PM12 comprend un second pas de tir installé dans la forêt environnante, un atout de taille pour travailler les spécificités du plongeur combat du génie (PCG), une appellation adoptée en 2006.

Cet « outil unique fera faire un bond extraordinaire à toute la spécialité », déclarait ce mercredi le général Jean-Philippe Crach, commandant de l’École du génie et père de l’arme, devant un parterre d’officiers français, belges et allemands. « Ce parcours nautique est exemplaire à plus d’un titre. Tout d’abord, parce qu’il répond à un besoin opérationnel issu notamment du RETEX. Ensuite, parce qu’il est une brique dans l’expérimentation de certaines techniques et que lui-même est le produit d’expérimentations », complétait-il. S’il a surtout vocation à entraîner les militaires français, le PM12 est également ouvert aux exercices en interarmes et en interarmées et pourra, selon les disponibilités, accueillir des détachements étrangers. Et, par là, rendre la pareille au partenaire belge.

« Ce parcours nous donne de vraies capacités d’entraînement à délivrer des tirs, ce qu’on était pas capables de faire en France jusqu’à présent », commente le commandant Raphaël, seul officier de l’armée de Terre affecté au Centre de plongée humaine et intervention sous la mer (CEPHISMER) de la Marine nationale. Pour le chef Pierre-Alain, plongeur de combat du génie au sein du 19e RG, ce parcours est « un très beau terrain de jeu. Un terrain de jeu ouvert et dont le pas de tir terrestre n’est pas aseptisé et nous permet d’évoluer dans un milieu boisé, ce qui est assez rare ».

L’endroit est idyllique de prime abord mais, sous la surface, le parcours n’est pas exempt de difficultés. Les températures, par exemple, sont très éloignées de celles rencontrées à Saint-Mandrier. L’absence de visibilité, ensuite, participe à complexifier l’entraînement. Pas de quoi effrayer les plongeurs français. Parmi leurs qualités premières, celle d’ « aimer l’eau », rappelle le commandant Raphaël. « Tous nos plongeurs de la façade Est de la France plongent dans de l’eau à 2 ou 3 degrés durant une bonne partie de l’année, dans de l’eau sans visibilité, avec du courant, ce qui nous caractérise par rapport à la Marine [nationale] ».

Évoluer dans le respect de la biodiversité

À la tête de la manœuvre depuis le début, le capitaine Jean-Yves du 16e BCP a dû compiler avec les restrictions environnementales en vigueur. Hors de question, en effet, de menacer la biodiversité d’un site classé Natura 2000. Le dialogue étroit établi avec les partenaires locaux, dont le Parc des Vosges du nord, aura permis de trouver un compromis entre la préservation du lieu et le besoin opérationnel et d’établir une série de bonnes pratiques. Parmi celles-ci, des zones de passage restreint et l’imposition du sac récupérateur d’étuis à tout personnel militaire.

Loin d’être figé, le cadre d’emploi de ce nouvel outil d’entraînement continuera à évoluer. Après la terre et l’eau, ses concepteurs planchent sur l’air au travers d’une intégration plus poussée des drones et des hélicoptères. Deux des trois régiments de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT), le 1er RHC d’Étain et le 3e RHC de Phalsbourg sont situés dans le quart nord-est de la France. Le premier n’est qu’à 20 km de Bitche. Cette proximité, l’armée de Terre compte la mettre à profit pour renforcer l’entraînement au tir depuis un hélicoptère au dessus d’un plan d’eau.

« Ce projet est déjà bien avancé, cela fait trois ans que nous travaillons dessus. Les délais sont néanmoins plus longs, essentiellement pour des questions d’impact environnemental ». L’étude d’impact durera un an. Le succès de la manœuvre devrait faciliter l’aboutissement d’une autre évolution au moins aussi ambitieuse : le tir canon des hélicoptères Tigre, autre demande exprimée par les régiments de l’ALAT.

*1er régiment étranger de génie (1er REG), 2e régiment étranger de génie (2e REG), 3e régiment du génie (3e RG), 6e régiment du génie (6e RG), 13e régiment du génie (13e RG), 17e régiment du génie parachutiste (17e RGP), 19e régiment du génie (19e RG) et 31e régiment du génie (31e RG).