Capacités, stocks, soutien : des propositions parlementaires pour une armée de Terre « de haute intensité »

Crédit : 54e RA

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S’ils annoncent des évolutions majeures, SCORPION et, plus tard, TITAN, ne suffiront pas pour préparer l’armée de Terre à relever le défi de la haute intensité. Des compléments sont requis pour renforcer d’autres capacités et redonner de l’épaisseur au soutien, deux axes d’effort détaillés dans un rapport parlementaire publié ce lundi.

Quatres piliers à renforcer

De 40 à 60 Mds€ répartis sur deux lois de programmation militaire, voilà l’effort financier jugé nécessaire pour doter les militaires français d’un portfolio capacitaire dimensionné pour un éventuel conflit de haute intensité, estime le député Jean-Louis Thiériot (LR), co-auteur avec Patricia Mirallès (LREM) d’un rapport d’information sur la préparation à la haute intensité. Pour la députée LREM, il est avant tout essentiel de « ne pas perdre de vue les marches à 3 milliards à partir de 2023 sur la LPM actuelle ». Dans les deux cas, cela contribuerait à reconstituer des capacités aéroterrestres abandonnées ou devenues échantillonnaires, chacune représentant un investissement évalué entre 500 M€ et 1 Md€ par les rapporteurs.

Défense sol-air basse couche : Dans l’armée de Terre, la DSABC repose actuellement sur 196 postes de tir Mistral 3 et de quelques affûts tractés 53t2 et VAB T20/13, tous deux dotés d’un canon Mle F2 de 20 mm. Or, cette défense devrait plutôt s’appuyer « sur des véhicules protégés, capables d’accompagner les unités au plus près des combats. Elle devra reposer en particulier sur des postes de commandement de défense sol-air de nouvelle génération ainsi que sur d’indispensables radars en trois dimensions », relève le rapport.

Prévues à l’origine pour cette année, les livraisons dans ce segment « ont malheureusement été repoussées en 2027, c’est à dire au-delà du mandat d’un chef d’état-major ». Si bien que le sujet DSABC semble désormais du ressort de TITAN, dont l’horizon est fixé à 2040. Un horizon trop lointain pour les députés, selon qui « un effort d’acquisition est absolument nécessaire dans ce domaine dans les années à venir ».

Faute de mieux, la France pourrait s’appuyer partiellement sur ses alliés, certaines armées européennes, en Italie et en Espagne par exemple, ayant « conservé une défense sol-air notamment de zone ». Au risque d’y perdre en autonomie d’action.

Appui-feu dans la profondeur : TITAN et son volet CIFS ne sont pas attendus avant au moins deux décennies alors, dans l’intervalle, les députés proposent de compléter les capacités de frappes dans la profondeur. D’après le général Michel Delion, directeur du centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC) de l’armée de Terre, cette dernière manque en effet « de portée, de systèmes d’acquisition. Il faudra un renforcement considérable en feux ».

Corriger ces lacunes passerait par un investissement dans un « high-low mix », ou un panachage entre capacités de haute technologie et des solutions plus rustiques et moins coûteuses. Côté français, ce « mix » supposerait d’augmenter le nombre de CAESAR à renouveler « après 2025 » les LRU et à développer des missiles doté d’une portée de 150 à 500 km.

Aucun de ces scénarios ne semble être à l’ordre du jour du côté du ministère. Le parc de CAESAR reste fixé à 109 exemplaires de nouvelle génération à l’horizon 2031. Il n’est jusqu’à présent pas question de remplacer les 13 lance-roquettes unitaires (LRU) du 1er régiment d’artillerie de Belfort. Concernant le LRU, le seul effort évoqué jusqu’à présent repose sur le projet européen e-COLORRS, susceptible de « permettre de préparer une solution européenne pour le remplacement du châssis et de la conduite de tir LRU à l’horizon 2030 ».

Si l’augmentation ou le renouvellement des parcs n’est pas envisagé, l’effort pourrait par contre porter sur les munitions. Cela tombe bien, une solution souveraine est dans les tuyaux des industriels. Pour le CAESAR, ce serait l’obus de 155 mm Katana, dévoilé en 2018 par Nexter et dont l’entrée en production d’un premier incrément pourrait intervenir l’an prochain. Si l’objectif reste la précision, Katana pourrait étendre la portée du CAESAR à 60 km lors d’un prochain incrément.

La situation s’avère plus complexe pour le LRU, la filière française ne maîtrisant qu’un élément de la munition M31 d’origine américaine. Il s’agit du moteur, produit par Roxel. Une solution serait à chercher du côté de l’Allemagne, où la filiale locale de MBDA planche depuis quelques années sur un concept de « Joint Fire Support-Missile » (JFS-M) capable d’atteindre une cible à 499 km. L’option européenne autoriserait la France à se départir d’un équivalent américain, le « Precision Strike Missile » (PrSM) en développement depuis 2016 chez Lockheed Martin. Son entrée en service est attendue pour l’an prochain en remplacement du missile ATACMS.

Génie divisionnaire : Ici aussi, le format actuel présente des lacunes. D’après l’édition 2021 des chiffres clés de la défense, l’armée de Terre dispose de 50 EBG (engins blindés du génie) et EBG SDPMAC (systèmes de déminage pyrotechnique de mines antichars). Le premier est en cours de modernisation vers le standard Vulcain pour permettre aux régiments « de revenir au combat de haute intensité ». Le parc reste cependant basé sur une plateforme vieillissante et est régulièrement dispersé entre le territoire métropolitain et les contingents français présents à l’étranger. Deux EBG Vulcain sont en Estonie depuis mars 2021 dans le cadre de la mission LYNX.

Le franchissement évoluera quant à lui quelque peu si le futur SYFRALL (système de franchissement lourd-léger), objet d’une demande d’informations publiée en avril 2021 par la DGA, parvient à terme. « Mais les capacités de minage mécanique, indispensables pour arrêter une offensive ennemie d’ampleur, et les capacités de bréchage, permettant aux forces terrestres de franchir sous le feu les obstacles adverses, nécessitent une remontée en puissance ». Une capacité transitoire serait à l’étude pour une introduction en 2030, avant l’arrivée d’une capacité haut du spectre en 2040 au travers de TITAN.

Système d’arme du maintenancier : Le dernier enjeu sera celui de la reconstitution des outils de maintenance. Que ce soit pour les 17 dépanneurs de chars Leclerc (DCL) disponibles selon l’édition 2021 des chiffres clés de la Défense, le PPLD, les magasins ou les containers de maintenance mobiles, « tout ce matériel n’a pas donné lieu à des investissements suffisants depuis les années 1990 », a fait observer le général Christian Jouslin de Noray, directeur central de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (DC SIMMT) depuis juin 2020.

« Il n’y a, à l’heure actuelle, que quelques dépanneurs de chars Leclerc, éparpillés entre le territoire national et l’étranger (Émirats arabes unis et Estonie). Ce n’est pas dramatique aujourd’hui mais cela pourrait l’être en cas de conflit de haute intensité. (…) De la même manière, faute de moyens, la maintenance de Barkhane se fait sous tente ou à l’air libre. La maintenance terrestre ne dispose plus de containers-atelier », pointe le DC SIMMT. Le problème « est pris en compte. Le matériel nécessaire sera proposé », ajoute-t-il, rappelant néanmoins que le renforcement de ce système d’arme doit être l’un des enjeux de la prochaine LPM.

L’un des deux EBG Vulcain déployés en Estonie (Crédit : EMA)

Redonner de l’épaisseur au soutien

L’armée de Terre dispose d’un modèle de maintenance « remarquablement performant pour faire face à la haute intensité parce qu’il allie l’agilité, l’innovation et la puissance du privé à la résilience et à la réactivité de la maintenance étatique », estiment les députés. Et pourtant, la rénovation des matériels du maintenancier ne serait pas le seul écueil.

« Ce modèle est couvrant mais manque d’épaisseur et c’est pourquoi il est nécessaire d’investir dedans », nuance le général Jouslin de Noray. La crise sanitaire et les commandes massives qui en ont découlé auront permis de tester les chaînes d’approvisionnement, occasionnant un rapprochement bénéfique entre industriels et militaires, mais la question des stocks reste un « vrai point de faiblesse » pour le DC SIMMT.

Selon le général Delion, « lors de l’exercice Warfighter 2021, la division française a réussi la performance tactique de bousculer l’ennemi au-delà du fleuve, ce que n’avaient jamais réussi les unités anglo-saxonnes. En revanche, la division n’aurait sans doute pas pu tenir sa ligne de défense dans la durée, faute de stocks, ce qui soulève la problématique de la capacité de la BITD terrestre à générer les flux adaptés au soutien des forces en haute intensité ». Ou celle de l’État à constituer des stocks en amont du besoin ?

Traduit en chiffres, il faudrait investir 2,4 Mds€ supplémentaires sur une LPM pour tenir le contrat opérationnel des forces terrestres dans l’hypothèse d’engagement majeur, dont 650 M€ pour, entre autres, constituer des stocks de pièces suffisants, résoudre certaines obsolescences et organiser la maintenance étatique des matériels Scorpion.

Investir dans la transformation numérique

Hormis les stocks, quelques investissements dans la transformation numérique du MCO pourraient s’avérer payants, essentiellement dans la « testabilité », la maintenance prédictive et l’impression 3D. Ce sont des bancs de tests afin d’être capables de réparer uniquement ce qui doit l’être et, dans la même logique, « la mise en place de capteurs qui permettront aux maintenanciers de savoir dans quelles conditions a évolué le matériel (vibrations, chocs, …) permettra d’aller vers une maintenance beaucoup plus personnalisée », indique le DC SIMMT.

C’est, enfin, la possibilité de miser davantage sur l’impression 3D, un atout pour diminuer l’empreinte logistique et rapprocher l’étape de production de l’utilisateur final. « Les imprimantes 3D sont un vrai levier de performance dans un futur très proche. Aujourd’hui, la SIMMT peut compter sur une centaine d’imprimantes 3D polymère, y compris en opération extérieure. Cela permet déjà de faire beaucoup », souligne le DC SIMMT.

Deux étapes restent à franchir dans la fabrication additive : passer aux imprimantes métalliques et la qualification des pièces. « La procédure actuelle mérite d’aller plus vite pour soutenir à bon niveau nos 4 millions d’équipements », ajoute le DC SIMMT. Son service travaille conjointement avec la DGA pour réduire les délais, le succès de la manœuvre dépendant aussi de questions de propriété intellectuelle. Si l’impression 3D est une solution d’avenir, elle reste aussi assez lente et plus chère qu’une production classique. Son usage devra dès lors être discriminant car « dans trois à cinq ans, même si on a beaucoup progressé sur le sujet, cela ne fera pas tout », relève le DC SIMMT.