Brexit : impacts prévisibles… et imprévisibles

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Ah, le Brexit… Ce processus  que nous nous permettons de juger très regrettable et dommageable pour les deux parties, même si les Britanniques ont toujours défendu des singularités et des exceptions déplaisantes, est d’une telle complexité que ses impacts innombrables n’ont pas fini d’apparaître au fil des semaines. En matière de sécurité et de défense, y compris pour l’industrie, les inquiétudes se multiplient.
 

 
Ce mercredi 14 novembre, la Première ministre britannique Theresa May a arraché à son gouvernement l’approbation du projet d’accord pour une période d’adaptation qu’elle a douloureusement signé avec l’Union européenne. Très fâché, Dominic Raab, son ministre du Brexit a démissionné dans la foulée, suivi par Shailesh Vara, secrétaire d’Etat pour l’Irlande du Nord (province britannique dont le sort est au cœur des ultimes discussions sur le retrait), Esther McVey, ministre du Travail Esther, Suella Braverman, secrétaire d’Etat chargée du Brexit, et enfin (en date de ce jeudi après-midi), Ann-Marie Trevelyan, la secrétaire parlementaire. Voilà qui augure mal de l’obtention incontournable de l’accord de son Parlement. Si l’on y ajoute la fureur des Écossais et les inquiétudes des Européens vivant à Gibraltar…
 
Nous aurons encore plusieurs occasions d’y revenir mais mentionnons déjà certains points figurant dans un document gouvernemental officiel daté du 14 novembre, intitulé « Explainer for the agreement on the withdrawal of the United Kingdom of Great Britain and Northern
Ireland from the European Union« .
 
« Dans des circonstances exceptionnelles, le Royaume-Uni peut être exclu d’échanges d’informations sensibles liées à la sécurité dans l’UE (…) L’UE est tenue de notifier cette exclusion au Royaume-Uni. » Aïe ! De manière plus fondamentale, « L’implication du Royaume-Uni dans les institutions de l’UE reflétera le fait qu’elle n’est plus un État membre. Cela signifie, par exemple, que la participation à des organes de l’UE et aux agences se fera au cas par cas. Le Royaume-Uni et l’Union européenne ont toutefois convenu que des représentants ou des experts du Royaume-Uni pourront continuer à assister à certaines réunions de l’UE et d’entités de l’UE où des représentants ou des experts des États membres participent, (…) à condition que la présence du Royaume-Uni soit nécessaire et dans l’intérêt de l’Union, ou lorsque la discussion concerne des sujets qui visent le Royaume-Uni et ses citoyens. Dans les instances internationales où l’UE représente actuellement le Royaume-Uni, l’UE peut inviter le Royaume-Uni à participer à ses travaux. (…) Là où le Royaume-Uni participe actuellement à des organismes internationaux à part entière, il continuera à le faire. Le Royaume-Uni conservera également l’accès à des systèmes d’information spécifiques et des bases de données pour la durée de la période de mise en œuvre. »
 
Le bon sens a prévalu lorsqu’il s’agit de sécurité, de lutte contre le terrorisme, de trafics, de grande criminalité, y compris « en col blanc », etc. A juste titre donc, « Le Royaume-Uni continuera à participer à la justice et aux affaires intérieures au cours de la période de mise en œuvre (…).  Au cours de cette période, les autorités britanniques ne joueront plus le rôle de chef de file au nom de l’UE en matière d’évaluation des risques, d’examens, de procédures d’approbation et d’autorisation. » Les Britanniques vont commencer à s’effacer, du moins officiellement. Vu leur compétence en la matière (surtout dans l’espace cyber, aux dépens parfois de certains alliés européens, notamment la Belgique !), leurs liens avec les agences américaines de renseignement et leur réseaux d’informateurs sur la planète, leur retrait ne pourra être que dommageable. Europol se fait du souci !
 
Matière d’une grande complexité et souvent très sensible : les accords internationaux. « Au cours de la période de mise en œuvre, le Royaume-Uni et l’UE ont convenu que le Royaume-Uni serait traité comme un État membre dans les dossiers actuels de coopération internationale de l’UE avec des pays tiers. (…) Ceci assure une continuité importante ». De part et d’autre, on se donne un peu de temps pour mesurer l’ampleur des problèmes  résoudre. En septembre dernier, Florence Parly, ministre française de la Défense, s’inquiétait déjà de l’impact budgétaire du Brexit sur les accords de coopération, sans même évoquer l’industrie de défense. Le 20 septembre à Londres, elle déclarait :  » Notre partenariat est aussi crucial que jamais, indépendamment du Brexit ». Certains pays tiers pourraient remettre des accords en question.
 
Le casse-tête sur l’union douanière européenne – dans laquelle la Grande-Bretagne restera « temporairement » avant un éventuel accord de libre échange, à la fureur des partisans d’un Brexit dur qui y voient la prolongation d’un « asservissement » de leur pays à l’UE – aura un impact sur l’industrie de défense : chaque programme impliquant des partenaires britanniques et européens sera touché par la fin de la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Thales, MBDA, BAE Systems et bien d’autres sociétés vont devoir repenser, réorganiser leur mode de fonctionnement.
 
Tous les composants matériels qui transitent actuellement sans entraves entre la Grande-Bretagne et le reste de l’UE devront vraisemblablement être déclarés et soumis à la réglementation sur la TVA et les accises. Une fois sorti de l’Union, le Royaume-Uni continuera de partager une frontière avec l’UE entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Il existait déjà une zone de voyage commune entre le Royaume-Uni et la République d’Irlande avant l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne. La continuation de ce principe est source de conflit très dur entre le « clan » de Theresa May et les partisans d’un Brexit dur. L’UE connaît une situation similaire au niveau de la frontière entre la Suède et la Norvège.
 
La prolongation d’une pareille situation visant l’Irlande au-delà du 31 décembre 2020 sous la forme d’un accord de libre échange encore mal défini résoudra-t-elle les problèmes que vont affronter les industries de défense en partenariat des deux côtés de la Manche ? D’ici au 29 mars 2019 à minuit, moment fatidique où le Brexit entrera en vigueur, Forces Operations reviendra sur des cas concrets d’adaptation forcée de l’industrie européenne de défense à cet isolationnisme exigé par une frange (majoritaire, vraiment ?) de la population britannique.