Après O-NYX, Thales décroche le marché des jumelles de vision nocturne BI-NYX

La JVN binoculaire Nellie de Thales, solution retenue par la DGA pour le marché BI-NYX (Crédits : Thales)

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Sans tambour ni trompette, Thales a remporté en début d’année le marché BI-NYX, nouvelle étape dans le renouvellement du parc de jumelles de vision nocturne (JVN) des armées françaises. La Direction générale de l’armement (DGA) a cette fois retenu la JVN binoculaire Nellie, présentée officiellement en juin 2020.

Coup double pour Thales Saint-Héand

Ce contrat, Thales n’est pour l’instant pas autorisé à le détailler. La primeur reviendra certainement au client, la DGA. Il faut donc se tourner vers le peu de documentation officielle disponible pour en apprendre davantage. Derrière BI-NYX, un marché d’une « valeur totale finale » de 94,5 M€ attribué en décembre 2020 au détriment d’un unique concurrent, révèle un avis d’attribution daté d’avril dernier. Selon l’appel d’offres lancé au printemps 2018, la cible maximale atteindrait environ 10 000 unités collectives commandées en plusieurs tranches.

Ce succès intervient deux ans après celui du marché O-NYX, qui avait vu la DGA retenir le modèle Minie de Thales. Le groupe français mise cette fois sur la solution Nellie, une JVN de nouvelle génération conçue, à l’instar de l’ensemble de la gamme NightRise, dans la Loire par les équipes de Thales Saint-Héand (ex-Thales Angénieux).

Tant O-NYX que BI-NYX concourent au remplacement du parc de JVN Lucie de l’armée de Terre. Environ 3200 exemplaires d’O-NYX ont ainsi été livrés l’an dernier aux forces terrestres, un premier jalon rapidement suivi d’une commande pour 3000 unités supplémentaires officialisée en février 2021.

BI-NYX permet à Thales de conforter une position de leader acquise dès le milieu des années 1990 avec la Lucie, premier modèle déployé massivement au sein de l’armée de Terre, puis renforcée par la Minie-D acquise dans le cadre du programme FELIN et par la Bonie-HP adoptée par les forces spéciales. Ces victoires font de Thales « la seule entreprise française à avoir conservé une filière souveraine de jumelles de vision nocturne pour les armées françaises en France », nous explique-t-on. Quinze ans après avoir quitté ce segment, Safran avait quant à lui dû s’associer avec le grec Theon Sensors pour créer l’E-NYX, candidate malheureuse du programme BI-NYX.

La France n’est pas la seule à s’être lancée dans le renouvellement ou la constitution d’un parc de JVN. D’autres s’y attardent, parfois au profit de Thales. « Nous avons eu de multiples démonstrations d’intérêt », indique-t-on du côté de Saint-Héand. Mieux, sans pouvoir citer les pays concernés, l’industriel confirme avoir décroché plusieurs contrats pour des JVN Nellie « d’une ampleur qui nous satisfait amplement ».

Une JVN de nouvelle génération

Si elles visent le même objectif, les JVN O-NYX et BI-NYX sont chacune destinées à des usagers différents, signe d’une compréhension poussée du besoin utilisateur par la DGA. Quant la première est destinée au combattant débarqué, la seconde s’oriente vers des conducteurs de véhicule pour qui la conservation d’une vision en 3D est indispensable. D’où l’adoption d’une jumelle à deux voies distinctes.

Dernière venue, la JVN Nellie « cumule les technologies les plus récentes en matière d’optique et d’intensification de lumière pour offrir une vision stéréoscopique haute résolution avec un champ de vision extra large dans un format ultra-léger alliant confort et facilité d’utilisation », résume Thales.

Sur les 400 employés du site de Saint-Héand, la moitié fabrique des zooms de cinéma de très haute qualité connus mondialement sous le label « Angénieux ». Ces compétences ont été mobilisées pour concevoir le design optique de la JVN Nellie et gagner quelques pourcents pour parvenir à un champ de vision de 47°. « On gagne 7° par rapport aux autres systèmes. Cela paraît peu, mais 7° sur un champ circulaire, c’est une surface gagnée énorme sur l’ensemble du champ de vision du combattant », commente Thales.

L’une des premières sorties publiques de la JVN Nellie, ici lors du salon SOFINS organisé en juillet dernier au camp de Souge (Gironde)

Le tout, sans perdre ni en qualité optique, ni en portée. La Nellie répond ici à l’une des difficultés de l’optique, à savoir la déformation en bord de champ. Cette déformation peut s’avérer « très importante en cas de conduite d’un véhicule car si quelque chose apparaît au-delà de 40°, le pilote ne le verra pas ou de manière déformée, augmentant la dangerosité de la manœuvre ». Une propriété compensée par de technologies « maison » de redressement des rayons optiques. La résolution dans l’axe et jusqu’aux deux tiers du champ est par ailleurs sensiblement améliorée du fait de l’usage de tubes intensificateurs de 18 mm assurant une portée de 940 m pour la détection et de 330 m pour la reconnaissance.

Pour parvenir à un tel niveau de performance, Thales travaille depuis toujours main dans la main avec Photonis, fournisseur français des tubes IL, et avec un vivier de sous-traitants et partenaires qui garantit des cadences de production de l’ordre de plusieurs milliers d’unité par an. La production des JVN Nellie est déjà en cours, une réactivité qui était l’une des spécificités de l’appel d’offres français.

« Thales implique aussi l’utilisateur au plus tôt dans le développement ». Ses équipes maintiennent un dialogue continu avec le client français, relation étroite facilitée par la proximité géographique. Ce fut le cas avec la Nellie mais aussi auparavant avec la Bonie HP, issue d’un long développement sur deux ans ponctué d’échanges réguliers avec les forces spéciales et d’élaborations de prototypes.

« Cette jumelle Nellie a bénéficié de tout ce développement réalisé sur Bonie HP. Et notamment sur un point particulier, qui est l’unique bouton on/off central permettant une utilisation ambidextre. Il est très important que, si le soldat est sous stress et pris à partie, l’ergonomie de nos produits soit pensée de manière à faciliter au maximum son usage ». S’y ajoute un nouveau système de relevage latéral autorisant le dégagement de l’un des oculaires et améliorant la perspective et l’appréciation de la situation. 

L’obsession du poids

Hormis ses nouvelles capacités, la JVN Nellie conserve un « poids plume » de 460 grammes, batteries comprises. La masse est un facteur essentiel car synonyme de fatigue pour les vertèbres cervicales lorsque la mission s’étend dans la durée. Grappiller quelques grammes est « un travail de longue haleine et un savoir-faire entretenu depuis 25 ans à Saint-Héand. Nos ingénieurs sont obnubilés par le milligramme et le milliwatt de consommation ».

Pour y parvenir, Thales peut compter sur « des opticiens de haut vol ». L’un des principaux vecteurs de poids d’une JVN repose en effet dans ses optiques. « En utilisant des optiques plus complexes, en utilisant des façons plus subtiles de tordre les rayons, qui demandent donc plus de travail en amont, on est capable de supprimer un certain nombre de lentilles et d’en changer la matière pour améliorer leur légèreté », nous précise-t-on.

‘usage de lentilles asphériques, par exemple, qui sont plus complexes à produire mais permettent d’éliminer d’autres optiques. Une lentille est souvent sphérique pour des questions d’aisance de polissage. « On s’assure par là que les rayons de lumière qui y passent sont déformés de la même façon en fonction du champ, soit au centre, soit en bord de champ ». La lentille asphérique découle d’une autre logique. « On ne tourne plus autour d’un axe de révolution mais on change le modèle pour pouvoir corriger un certain nombre d’aberrations d’une autre manière ». En corrigeant ces aberrations à la source, plus besoin de le faire en rajoutant d’autres lentilles.

Le second vecteur d’amaigrissement relève de la mécanique. Ici aussi, Thales travaille sur des matériaux différents, parce qu’il faut à la fois gagner du poids et maintenir le plus haut niveau de robustesse. Reste, enfin, la question de la consommation d’énergie. Une faible consommation requiert moins de batteries, et participe donc à la cure d’amaigrissement. « Nos équipes du bureau d’études électroniques travaillent uniquement à fournir un service équivalent mais pour une consommation moindre ». Résultat : jusqu’à 24 heures d’autonomie et un utilisateur final satisfait du saut capacitaire à venir.