À l’heure où les États-Unis se dirigent vers un nouveau budget de défense record de 692Md$ (587Md€), une part croissante de celui-ci sera consacrée au renforcement de la présence américaine en Europe. Selon la mouture du budget approuvée le 14 novembre par la Chambre des représentants, Washington devrait en effet allouer 4,8Md$ (4,07Md€) à l’European Reassurance Initiative (ERI), soit une augmentation de 1,4Md$ (1,2Md€) par rapport à 2017.
Deux chars M1 Abrams de la 3e brigade blindée de l’US Army déployés en Roumanie pour l’excercice Getica Saber 17
(Crédit photo: USEUCOM/RICK DOCKSAI)
Annoncée par l’ancien président Barrack Obama en juin 2014, l’ERI (aussi connu par un autre nom: European Deterrence Initiative ou EDI) fut lancée en 2015 avec un budget initial de 985M$ (836,3M€) pour une durée d’un an. L’objectif de cette mesure d’urgence était alors de rassurer les alliées européens de l’investissement des États-Unis dans leur sécurité et leur intégrité territoriale suite à l’invasion de la Crimée par la Russie. D’après l’imposant document budgétaire adopté mardi, les États-Unis se doivent en effet de «
développer et implémenter une politique et une stratégie (…)
pour dissuader et, si nécessaire, contrecarrer l’agression russe, ce qui nécessitera de renforcer les capacités militaires des États-Unis et ses capacités en Europe, en ce y compris une forte augmentation des investissements au profit des forces stationnées en permanence et de celles déployées en rotation ».
À travers l’ERI, Washington investit dans cinq missions clefs : la présence des troupes, l’entraînement et les exercices, les infrastructures, l’équipement prépositionné et l’élaboration de partenariats. Les fonds de l’ERI servent, par exemple, à financer l’opération Atlantic Resolve (OAR), dont les nombreuses manœuvres reposent sur une chaîne logistique actuellement source d’embarras au sein de l’Alliance (cfr notre article
ici).
Mais, comme souvent dans les histoires de gros sous, il y a un hic. La budgétisation annuelle de l’ERI est en effet décalée par rapport à celle, quinquennale, du Département de la défense américain. Or, l’absence de prévisibilité pluriannuelle pourrait avoir un impact significatif sur la stratégie à court terme des alliés U.S. et européens, révèle un rapport (DoDIG-2017-111) de l’Inspectorat général de la Défense américaine (DoDIG) publié le 22 août dernier. Dés lors, le U.S. European Command (USEUCOM) et OAR pourraient être «
incapables d’appuyer la contribution de l’ERI au profit des capacités des armées alliées et partenaires », explique ce rapport.
Le DoDIG conseille donc l’élaboration d’un nouveau cycle budgétaire et d’outils spécifiques pour évaluer l’impact du financement de l’ERI. Sans évaluation précise des résultats de l’ERI, il est en effet impossible pour le Pentagone de mesurer la progression des pays européens concernés et de justifier auprès du Congrès l’injection de fonds supplémentaires pour progresser au sein des cinq piliers précités. Le DoDIG recommande dés lors l’établissement de solutions budgétaires cycliques calquées sur celles du Pentagone pour mieux s’aligner sur les capacités des pays bénéficiaires. Ces nouvelles mesures permettront tout particulièrement de rationaliser le pilier « Infrastructures », dont la concrétisation nécessite une vision à long terme. Car si toutes les routes de l’ERI mènent à l’est, la reconstruction du « rempart oriental » ne se fera pas en un jour…
Une fois n’est pas coutume, la moitié de ce budget géré par l’USEUCOM, soit 2,2Md$ (1,87Md€/+29%) sera à nouveau consacrée à l’entretien et à l’expansion du matériel actuellement prépositionné en Europe. De quoi endiguer la fermeture des bases, plus d’une centaine depuis 2006, et pérenniser la hausse progressive des effectifs militaires U.S. en Europe. Suivent le financement des rotations, 1,73Md$ (1,47Md€/+ 64%) ; l’entretien et la construction d’infrastructures, 337,8M$ (286,8M€/+55%) ; l’entraînement, 218M$ (186M€/+33%) ; et la constitution des partenariats, 267,3M$ (226,9M€/+210%). Le package inclut également 150M$ (127,3M€) destinés à entraîner et équiper les forces armées ukrainiennes pour qu’elles puissent continuer leurs «
opérations de sécurité intérieure afin de défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale » du pays.
Si ces considérations financières nous semblent bien lointaines, cette nouvelle requête du Pentagone confirme à nouveau la remontée en puissance de la présence militaire étatsunienne en Europe. D’une structure d’urgence provisoire, l’ERI continue sa mutation vers un engagement robuste et durable, une perspective somme toute rassurante au vu des difficultés qu’ont les partenaires européens à fonder une défense 100% européenne.