Une vingtaine de munitions téléopérées moyenne portée seront livrées le mois prochain aux trois armées françaises par EOS Technologie et KNDS France, une première capacité dans un segment qui n’a rien du sport de masse et annonciatrice d’un déploiement à plus grande échelle.
Après la courte portée, place l’échelon supérieur. Bien moins répandues, les MTO de moyenne portée ne manquent pourtant pas d’intérêt : une autonomie supérieure, une palette d’effets, un coût théoriquement inférieur à celui d’une munition complexe et, surtout, une portée dépassant celle des lance-roquettes unitaires, seule capacité de frappe dans la profondeur dont dispose aujourd’hui l’armée de Terre. La France mettait le pied à l’étrier dès 2022 en lançant l’appel à projet Larinae, cet effort piloté par la Direction générale de l’armement (DGA) et l’Agence de l’innovation de défense (AID) dont découle la MTO MV100 Veloce (ou Veloce 330) d’EOS et KNDS.
Larinae ne s’est pas limité à l’émergence d’un démonstrateur mais est devenu un point de départ pour « aller bien plus loin », révélait le patron d’EOS Technologie, Jean-Marc Zuliani, la semaine dernière au salon du Bourget. Après le succès des premières démonstrations, il s’agit maintenant d’affiner la copie tout en bénéficiant idéalement des retours d’expérience des opérationnels. Message reçu dans les rangs français. « J’en veux pour preuve que le matériel qui a été démontré la semaine dernière a déjà été vendu aux forces françaises », poursuivait Jean-Marc Zuliani. Le ministère des Armées a acquis 23 systèmes : 17 MV100 Veloce appartenant à la gamme Mataris lancée en février par KNDS et 6 Rodeur 330, version dotée d’une motorisation « classique » à piston et d’une autonomie autrement plus importante.
Développé en moins de 24 mois, le MV100 Veloce est pratiquement finalisé. Son fuselage auto-porteur et sa micro-turbine permettront d’aller frapper n’importe quelle cible blindée dans un rayon de 100 km en une quinzaine de minutes. À l’intérieur, une tête militaire de 2,5 kg contenant une charge génératrice de noyau hérité de l’obus « cargo » de 155 mm BONUS Mk II. Si le GPS reste l’outil de navigation par défaut, d’autres pistes sont à l’étude pour pallier à un brouillage devenu récurrent, dont celle fournie par TRAAK pour le projet Larinae. D’autres pourraient être apportées par Magellium et UAV Navigation.
Se pose également la question de la récupération de la MTO en cas de non-déclenchement de la charge. « C’est un vaste sujet de doctrine d’emploi », estime Jean-Marc Zuliani. Ce qui est simple pour un quadricoptère l’est moins pour une aile volante, mais ce sera cependant le cas pour les premiers systèmes fournis aux militaires français. L’objectif principal de défrichage du sujet et d’entraînement amène en effet celui de la maîtrise des coûts. Ces MTO seront donc dotées d’un parachute pour garantir leur réutilisation. Quant en doter une version opérationnelle, la question reste ouverte.
Ces MTO seront livrées « dans les jours qui viennent » mais sans leur tête militaire, l’idée étant avant tout d’expérimenter, d’entraîner et de nourrir la doctrine d’emploi. Deux des trois armées sont déjà formées, annonce EOS. Une fois les MTO perçues, à charge des opérationnels de « nous faire un retour pour que, moins de trois mois après, nous puissions revenir avec une mise à jour significative du produit et ainsi de suite », explique un droniste pour qui « l’objectif, c’est de réduire le plus possible le cycle de développement ». Cette démarche itérative accélérée se poursuivra jusqu’à la fin de l’année pour parvenir à une solution prête à adresser le marché.
En France et ailleurs, la demande est bien réelle. « Il y a un engouement, nous avons des discussions. Chaque délégation qui vient pose des questions sur les MTO », observe Olivier Travert, Chief Sales Officer de KNDS France. C’est que, de par ses performances, la MV100 Veloce n’a « pas d’équivalent opérationnel en Europe à ce jour », ajoute-t-il. Dans un domaine « beaucoup plus sélectif que celui la moyenne portée », il faut en effet aller chercher chez l’américain Anduril ou chez l’israélien UVision pour dégoter un équivalent, à l’heure où, justement, certaines armées européennes cherchent à se réarmer sans éluder les problématiques d’approvisionnement et de souveraineté d’emploi.
L’autre enjeu derrière Larinae consistera à se projeter dans ce qui pourrait être une économie de guerre. L’augmentation des volumes et des cadences que celle-ci induit demandera de combiner la haute précision, la portée et les effets tout en simplifiant la conception et sans sortir du cadre du low-cost. C’est tout l’essence, notamment, de la modularité privilégiée dès le départ par EOS, selon qui cela fait sens de « s’inspirer, par exemple de l’industrie automobile pour développer une plateforme commune. Si vous changez la motorisation et la carrosserie, vous avez une capacité différente ». Le risque industriel devra néanmoins être récompensé par le volume, « d’où le pari à l’export », rappelle Jean-Marc Zuliani.
D’où également la réponse à cette demande « à la fois ministérielle et présidentielle » de définition d’un « plan de bataille » qui permettrait d’évoluer de 100 unités produites par an en 2026 à 1000 unités par mois à terme, avec un point intermédiaire à 1000 par an. Tout dépendra de la demande, mais « la volonté politique, c’est que l’industriel soit prêt à monter en cadence très rapidement lorsqu’il appuiera sur le bouton rouge ». Tant la conception du porteur que celle de la tête militaire prédisposent le MV100 Veloce à une production de masse, assurent les deux industriels. KNDS pourra quant à lui capitaliser sur son expérience de munitionnaire pour générer du volume en passant par la standardisation de la tête. Si la production est pour l’instant franco-française, le groupe n’exclut pas de s’appuyer sur ses filiales belge et italienne si la demande l’exige.
Le Rodeur 330 sera quant à lui démontré « dans quelques semaines ». Grâce à sa motorisation à essence et à ses 8 heures d’autonomie, celle-ci « commence à mordre sur la longue portée ». De là à élargir par le haut la gamme Mataris avec l’ajout d’un « MV500 » ? « Pourquoi pas, parce que ce vecteur a la caractéristique de pouvoir aller jusqu’à 500 km », observe Jean-Marc Zuliani. Ce qui fait de cette MTO une prétendante à ce segment supérieur que les armées françaises cherchent aussi à s’approprier rapidement.