Le Times de Londres a publié ce lundi un article qui, sur un ton alarmiste, relaie une inquiétude de nos voisins d’Outre-Manche : l’Allemagne risque de créer une « armée de mercenaires » avec son plan de recrutement d’étrangers pour pallier le manque criant d’effectifs par rapport à ses tables d’organisation, ont prévenu les députés. Well, les atouts irremplaçables de la Légion Etrangère pour l’armée française, cela ne leur dit rien ?

Légionnaires du 2ème Régiment étranger de Génie (2e REG) sur VAB lors des répétitions du défilé du 14 juillet 2018 à Brétigny (Photo : Forces Operations)
L’année dernière, 21.000 postes d’officier et autres étaient vacants dans la Bundeswehr. L’Allemagne est de plus en plus critiquée, notamment par le très contestable – et contesté – président Trump, pour n’avoir pas atteint l’objectif de dépenses du produit intérieur brut (PIB) convenu entre les membres de l’OTAN (dans un moment de délire comme on lui en connaît tant, Donald Trump a récemment renchéri en citant le chiffre de 4%).
Le ministère allemand de la Défense a confirmé le week-end passé qu’il prévoyait de combler les manques de personnel avec des non-Allemands : « La Bundeswehr est en croissance. Pour cela, nous avons besoin de personnel qualifié » , a déclaré un porte-parole du ministère de la Défense relayé par le Times.
Karl-Heinz Brunner, député social-démocrate à la commission parlementaire de la défense, a déclaré que tout recrutement devait être limité aux pays de l’Union européenne. Il a également insisté sur le fait que les citoyens de l’Union européenne qui seraient recrutés par la Bundeswehr doivent acquérir la citoyenneté allemande pour cimenter le lien entre le service militaire et la nation. « Si les citoyens d’autres pays sont acceptés sans la promesse d’obtenir d’abord un passeport allemand, la Bundeswehr risque de devenir une armée mercenaires », a-t-il déclaré au quotidien Augsburger Allgemeine.
Les lacunes de la Bundeswehr en matériel opérationnel et en effectifs attirent depuis un certain temps des commentaires tantôt moqueurs, tantôt inquiets, tantôt irrités, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Allemagne. Une anecdote – à vérifier – fait même état de ce qu’en 2014, lors d’un exercice OTAN en Norvège, des soldats ont dû utiliser un manche à balai peint en noir pour simuler une mitrailleuse manquante sur un véhicule blindé…
Bref, la pénurie d’armes, de pièces de rechange et de personnel est devenue une caractéristique embarrassante de la Bundeswehr, a rapporté le bureau fédéral des finances allemand cette année. Les appels à l’augmentation des dépenses militaires lancés par la ministre de la Défense Ursula von der Leyen sont très impopulaires en Allemagne et divisent la fragile coalition au pouvoir en raison du délicat héritage nazi de la Seconde Guerre mondiale.
La présence de non-Allemands dans la Bundeswehr n’en ferait nullement une « armée de mercenaires » au sens où on l’entend depuis la haute Antiquité. Il suffit d’encadrer légalement cette présence. L’exemple le plus magistral, admiré – si ce n’est envié – du monde entier n’est-il pas la prestigieuse Légion étrangère ? Ses unités constituent un formidable « cocktail » de compétences humaines et techniques dont la richesse est précisément liée à l’origine géographique diversifiée de ses membres.
Après des vagues de recrutement consécutives à l’effondrement du bloc soviétique – ce qui avait considérablement enrichi l’armée française en connaissances opérationnelles sur les armées du défunt bloc –, on assiste à d’autres vagues géographiques dominantes. Lors des répétitions du défilé motorisé du 14 juillet à Brétigny, un sergent-chef du 2ème REG nous confiait qu’il y a pas mal de Népalais qui se pressent aux portes d’Aubagne. Il n’y a donc pas que les unités historiques de Gurkhas qui font rêver les Népalais.
Un petit résumé de ce qu’est la Légion, à l’intention de nos nombreux lecteurs non-français ? Il s’agit d’un corps de l’Armée de Terre française disposant d’un commandement particulier. La Légion est également indépendante du point de vue de son recrutement. Formée en 1831 pour permettre l’incorporation de soldats étrangers dans l’Armée française, une partie de ses unités a fait partie, jusqu’en 1962 (fin de la période coloniale avec l’indépendance de l’Algérie), du 19ème Corps d’armée, noyau de l’armée d’Afrique.
L’engagement à la Légion est réservé aux hommes dont l’âge est compris entre 17 et 40 ans (dérogation possible) et a compté depuis sa création et jusqu’en 1963 plus de 600.000 soldats dont une majorité d’Allemands (on comprend donc l’engouement qu’un recrutement inverse peut générer dans la Bundeswehr), suivi de trois fois et demie moins d’Italiens, puis de Belges, mais aussi de Français, d’Espagnols et de Suisses. De nombreuses autres nationalités sont représentées, comme les ressortissants des pays d’Europe de l’Est et des Balkans, majoritaires dans les années 2000. En 2017, c’est le prestige de ce corps d’élite qui suscite leur candidature à l’engagement. Cet attrait et, dans le passé, les soubresauts historiques (conflits mondiaux, crises économiques ou politiques), ont participé à un recrutement plus spécifique : Espagnols à l’issue de la guerre d’Espagne, Allemands après 1945, Hongrois en 1956,…

En Indochine, la Légion comptait, entre autres, beaucoup d’Allemands ayant fui le pays avant ou après la 2ème guerre (dont un petit nombre de réguliers de la Wehrmacht et 2 à 3% d’anciens SS allemands ou étrangers). Le recrutement d’étrangers dans la Bundeswehr serait un retour intéressant sur l’Histoire (photo: ECPA).
Les légionnaires, aussi appelés les « képis blancs », ont acquis leur notoriété lors des combats menés sur les champs de bataille du monde entier, notamment dans le cadre des conquêtes coloniales, des deux guerres mondiales, et surtout lors des guerres d’Indochine et d’Algérie (que d’histoires captivantes ne nous a pas racontées le célébrissime général Marcel Bigeard, chez lui à Toul en 1994, lui que l’on qualifie volontiers de dernier maréchal de France malgré qu’il ne fut – regrettablement – pas élevé à cette dignité méritée, même à titre posthume). Aujourd’hui, les légionnaires sont présents lors des conflits modernes pour des missions d’aide humanitaire, de protection des populations, de maintien de la paix ou parfois de soutien à des gouvernements étrangers, alliés à la France par des accords, dans les crises de leur pays.
Les traditions à la Légion étrangère constituent un ciment pour ce corps qui se traduisent à travers les détails vestimentaires, les emblèmes et symboles spécifiques, les chants et musiques, et enfin par ses fêtes particulières. L’image qu’elle véhicule sur le public et les artistes est à l’origine de nombreuses œuvres dans tous les domaines : musique, cinéma, peinture, sculpture et littérature. Les histoires les plus inouïes circulent sur des anecdotes autant que des faits d’armes exemplaires. Un ancien de la Légion peut tenir un interlocuteur en haleine sans discontinuer pendant des jours et des nuits ! Le code d’honneur du légionnaire dicte la conduite de ces hommes au quotidien, en temps de guerre comme en temps de paix.
Principalement constituée de régiments d’infanterie à ses débuts, la Légion étrangère comporte maintenant également des unités de l’arme blindée-cavalerie, de parachutistes et de génie.
Bref, la Bundeswehr aurait bien tort de se priver des atouts majeurs du recrutement bien réfléchi d’étrangers. Quant à savoir si elle les disséminerait dans ses actuelles unités organiques ou si elle prendrait exemple sur la France avec sa Légion étrangère, ça… Messieurs les Anglais, vous qui chantez depuis plus d’un siècle les louanges de vos Ghurkas, pourquoi vous indigner de la présence de soldats étrangers dans la Bundeswehr ?
Come on, gentlemen, let’s be serious !