Les médias s’en font l’écho depuis quelques jours : la Pologne voudrait un accroissement permanent de la présence des États-Unis dans son pays car elle cherche à renforcer sa sécurité contre une Russie perçue comme agressive. Mais même si certains, au sein du gouvernement polonais, font circuler ouvertement une proposition visant à installer de façon permanente une division blindée américaine dans le pays, les questions tournent autour de savoir si une telle présence serait utile, souhaitable ou même financièrement et militairement abordable pour les États-Unis.
Soldats U.S. et polonais. Malgré l’offre de la Pologne, il est peu probable qu’une base américaine permanente soit établie dans le pays (Photo : Staff Sgt. Elizabeth Tarr, US Army)
La base de la proposition relative à une base U.S. permanente est bien une idée originale émanant de certains « responsables » du ministère polonais de la Défense, mais selon un analyste de la défense basé en Pologne qui suit la question de près, cité par DefenseNews, le ministère de la Défense endosse bel et bien cette proposition adressée aux États-Unis. Cette proposition a fait surface partout dans le monde, des institutions gouvernementales au Congrès et à de nombreux groupes de réflexion.
La proposition contient des détails tels que le montant que la Pologne paierait pour obtenir cette base et l’endroit du pays où la division américaine concernée devrait être positionnée, ainsi que les raisons pour lesquelles une présence américaine serait précieuse pour la sécurité et la stabilité régionales. Mais la proposition soulève davantage de questions que de réponses.
La Pologne offrirait de 1,5 à 2 milliards de dollars pour établir une base permanente, mais ce montant ne couvrirait que la mise en place préliminaire des forces, pas le coût de son fonctionnement opérationnel. Alors, les Etats-Unis accepteraient-ils – et pourraient-ils – le financer ?
Par ailleurs, une autre question – double, en fait – se pose : d’où proviendraient les forces américaines affectées à cette base et quelle serait leur taille ? Les Polonais visent la taille d’une division, ce qui signifie que les États-Unis devraient soit renforcer les unités actuellement en rotation dans le pays, soit déplacer une division actuellement déployée ailleurs. Il est peu probable que le Congrès avaliserait l’une des deux possibilités, vu les missions déjà remplies aux limites des possibilités par les unités U.S. déployées aux Etats-Unis mêmes et ailleurs dans le monde. Par exemple, quoi qu’il advienne de la réunion attendue le 12 juin entre Donald Trump et Kim Jong Un à Singapour, on n’imagine pas que des forces américaines – ne serait-ce que l’équivalent d’une brigade – quitteraient la Corée du Sud (ou le Japon) pour se repositionner en Pologne. La Chine serait trop contente… Et déplacer des forces hors d’Allemagne où elles sont bien établies avec des infrastructures d’entraînement de grande ampleur est impensable.
L’Armed Services Committee du Sénat américain devrait mentionner la proposition polonaise dans son projet de loi sur l’autorisation de défense. Cela suscitera un débat sur la question de savoir si une base permanente offrirait une meilleure sécurité régionale que les forces actuellement en rotation. A titre indicatif, des dirigeants militaires américains commentent depuis longtemps les effets positifs de la dissuasion exercée par les rotations de brigades en Europe centrale et de l’Est. Baser une unité américaine de manière permanente en Pologne ne devrait pas se décider sans l’aval des autres partenaires européens de l’OTAN, sous peine de créer des tensions au sein de l’Alliance.
Beaucoup de généraux américains, dont le lieutenant-général en retraite Ben Hodges qui commandait l’armée américaine en Europe jusqu’à la fin de l’année dernière, sont d’avis que le système de rotation permet aux unités américaines concernées d’améliorer grandement leur préparation générale et en particulier pour l’hypothèse d’une intervention « réelle » sur le sol européen. L’armée américaine ne voit donc que des avantages dans le maintien du système de rotation.
De plus, toujours selon Hodges, la présence renforcée de l’OTAN en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne, ainsi que les brigades U.S. en rotation, offrent un niveau de sécurité cohérent et solide à tout le flanc oriental, sans être considérées comme plus favorables à une nation particulière.
Bref, l’offre polonaise semble bien avoir du plomb dans l’aile…