S’affranchir du milieu dans lequel évolue son porteur, voilà l’objectif de la Geonyx M lancée par Safran mercredi dernier à l’occasion du salon SOFINS. Cette centrale de navigation inertielle combine au sein d’un même boîtier les modes « mer » et « terre », capacité unique qui a déjà su convaincre les forces spéciales françaises.
L’idée naît à la suite d’Eurosatory 2018. Safran vient alors de commercialiser la centrale inertielle Geonyx, modèle dédié exclusivement aux applications terrestres. La centrale Argonyx suit quelques mois plus tard et vise spécifiquement le secteur naval. Mais son poids et son volume supérieurs limitent son usage aux bâtiments de surface de premier rang.
Plutôt que de s’axer sur une nouvelle variante 100% marine, Safran décide de réunir la compacité de la Géonyx terrestre et les algorithmes de l’Argonyx pour fournir une solution médiane. Ainsi démarre, en avril 2020, la conception de la Geonyx M, destinée aux embarcations rapides type ECUME, chalands de débarquement et véhicules amphibies. Totalement ITAR-free, elle est maintenant produite sur le site Coriolis de Safran, à Montluçon (Allier).
Les militaires disposaient d’une centrale marine qu’on plaçait sur un bateau et d’une centrale terrestre qu’on plaçait sur un véhicule terrestre. Cette nouvelle solution joue simultanément les deux rôles, offrant « une technologie super-compacte, fiable et qui ouvre des marchés car permet de réduire les coûts de possession en favorisant une solution commune à plusieurs plateformes », relève Safran.
Son développement est également le fruit d’un partenariat fructueux avec le FUSCOL@B, laboratoire d’innovation des fusiliers marins et commandos (FUSCO). Pour le groupe français, ses conseils « ont permis de définir le cadre opérationnel et les performances attendues en fonction du type de mission, et aussi de réaliser des essais en mer ». Cette coopération aura conduit à plusieurs campagnes d’essais menées à Lorient et dans la rade de Brest, en octobre 2020, puis en mars et en mai 2021.
Un partenariat gagnant-gagnant dont s’est félicité l’ALFUSCO, le contre-amiral Christophe Lucas. « En moins d’un an, nous avons réussi, à partir d’un simple coup de fil et de rencontres, à bien exprimer notre besoin, à voir à partir de quel produit nous pouvions travailler, puis de conduire des essais, d’avoir des itérations pour améliorer le produit et faire qu’aujourd’hui nous ayons une centrale inertielle qui répond à nos besoins dans un temps vraiment très court », a-t-il souligné lors du salon SOFINS.
L’évolution n’est pas tant matérielle que logicielle, et seule leur couleur permet de différencier une Géonyx terrestre d’une Géonyx marine. Safran aura néanmoins veillé à conserver une recette gagnante, à savoir un design compact et durci parfaitement adapté aux changements brusques d’environnements et de climats.
La Geonyx M est dès lors résistante aux chocs extrêmes sans nécessiter de suspensions externes. Bien qu’installée à l’avant de l’ECUME, elle aura notamment supporté des chocs de 15 G lors des essais en mer sans altération des performances.
Au cœur de la Geonyx M, le gyroscope à résonateur hémisphérique (HRG) Crystal. Une innovation brevetée par Safran qui s’inspire du principe du pendule de Foucault en faisant résonner une coquille en silice. Cette caractéristique rend le HRG Crystal parfaitement insensible à son environnement et lui confère une durée de vie presque illimitée.
Mais la principale plus-value reste son logiciel capable de prendre en charge les deux milieux. En partant du mode terrestre de la Geonyx, Safran est venu greffer un algorithme de filtrage permettant de basculer instantanément l’interface homme-machine (IHM) vers le mode marine. Et vice-versa.
« La particularité de cette centrale, c’est son usage mixte. Vous pouvez, par exemple, avoir un véhicule terrestre embarqué sur un chaland de débarquement. La Geonyx M sera capable de s’aligner en mer puis de passer automatiquement en mode terrestre une fois le véhicule débarqué », explique Safran.
Cet IHM fournit le roulis, le tangage, le cap et le positionnement précis. Il traduit par ailleurs automatiquement les unités de navigation maritimes vers leurs équivalents terrestres. Le cas échéant, le système ajoute instantanément l’altitude, une donnée hors sujet dans un environnement marin, et modifie le visuel pour afficher un véhicule.
Cette centrale reprend la même connectique qu’un récepteur GPS classique et ne demande donc aucun. Son logiciel est quant développé pour pouvoir s’interfacer naturellement avec les systèmes de positionnement dotation, dont les tablettes SIMRAD utilisées sur les ECUME.
Parce qu’elle répond à un besoin existant, la Geonyx M a déjà parfaitement trouvé sa clientèle. Il y a deux mois, un client export en a acquis un nombre non divulgué pour une installation sur des embarcations rapides du gabarit de l’ECUME.
Dans la lignée du partenariat établi avec Safran, les FUSCO en ont commandé un à des fins d’évaluation à travers la Commission interarmées d’études pratiques concernant les opérations spéciales (CIEPCOS). Un dispositif propre au COS qui avait permis l’achat de la jumelle JIM Compact de Safran. Cette centrale sera livrée en septembre, pour un déploiement en mission dans la foulée.
Hormis la navigation et le positionnement, la Geonyx M fournit des données qui sont ensuite utilisées pour opérer des systèmes d’observation, radar et/ou d’arme embarqués sur un véhicule terrestre, tel qu’un mortier. Elle accompagne donc parfaitement les systèmes d’armes appelés à changer de milieu
Les batteries de missiles sol-mer par exemple. « Pour des raisons stratégiques, ces batteries sont de plus en plus placées dans des camions parce que cela les rend moins vulnérable », rappelle Safran. Une fois placé dans un container standard, plus rien n’empêche d’installer ensuite le lanceur sur un navire.
Avec la Geonyx M, plus besoin de permuter de centrale entre deux applications. « Il suffit de passer en mode mer et tout devient instantanément transparent pour l’opérateur, qui n’a pas dû toucher à l’interface de positionnement du radar ou du système d’arme ».
Ce cas de figure pourrait particulièrement intéresser une société du nord de l’Europe, à qui il fallait jusqu’à présent proposer soit une centrale marine, soit une centrale terrestre. Si l’industriel préfère ne pas détailler le client potentiel, l’idée est poursuivie par Kongsberg, avec son Naval Strike Missile, mais aussi par Saab, dont le missile RBS-15 est déployé tant depuis la terre ferme que depuis les corvettes de classe Visby de la marine suédoise.
Quant aux véhicules, Safran se positionne à l’heure où quelques grands programmes de renouvellement émergent parmi les pays disposant d’une capacité amphibie, tant en Europe avec l’Italie et l’Espagne qu’ailleurs, avec la Corée du Sud et les États-Unis. L’US Marine Corps (USMC), par exemple, poursuit un programme en deux phases baptisé Amphibious Combat Vehicle. Rien de totalement inaccessible pour Safran, qui, au travers de sa filiale locale Optics 1, est en train de qualifier la Geonyx terrestre sur le char de combat Abrams de l’US Army.