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Relancer le programme MGCS, « une priorité absolue » pour Paris et Berlin

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« Au fond, les choses avancent bien » pour le programme de char franco-allemand MGCS. Ce jeudi dans l’Essonne, le ministre des Armées Sébastien Lecornu et son homologue allemand, Boris Pistorius, ont acté la convergence des besoins des deux armées, détaillé la feuille de route et réaffirmé leur volonté de franchir le prochain jalon majeur dans les prochains mois. 

« Une priorité absolue »

Les quelques derniers vents contraires n’auront pas entamé la détermination affichée début juillet à Berlin. Comme annoncé alors, la base aérienne 105 d’Évreux, siège de l’escadron franco-allemand d’avions C-130J, aura servi de cadre pour officialiser la reprise en main du programme MGCS par le politique. 

Après avoir progressé sur l’équivalent aérien, le programme SCAF, et sanctuarisé des crédits via une nouvelle loi de programmation militaire, « c’est l’automne-hiver du MGCS. Nous avons donné mandat à nos équipes d’en faire une priorité absolue », indiquait Sébastien Lecornu. Si « ce sont les États qui pilotent », rappelait-il, toute progression dépendait d’un nécessaire alignement des besoins opérationnels. 

C’était tout l’enjeu d’un « High Level Common Operational Requirements Document » (HLCORD) échafaudé durant l’été et signé ce jeudi par le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, et son homologue allemand, le général Alfons Mais. Doté d’une vertu stratégique, ce document préfigure ce que sera le futur cahier des charges soumis au trio industriel chargé de la maîtrise d’oeuvre, Rheinmetall et les branches française et allemande de KNDS. 

Les besoins maintenant clarifiés, reste à les traduire en autant de « piliers thématiques », ces fameux « main technological demonstrators » (MTD) appelés à être répartis à parts égales entre industriels français et allemands. Pour les deux ministères, l’enjeu immédiat sera de parvenir à définir le contenu et le meneur de chaque pilier d’ici à décembre. 

« Est-ce que ce travail est bien avancé ? La réponse est oui », relevait Sébastien Lecornu. Mais pas suffisamment que pour entrer dans les détails. Une fois établie, cette clef de répartition servira de base de négociation pour des contrats qui devraient être notifiés en début d’année prochaine de part et d’autre de la frontière, annonçait Boris Pistorius.

L’équilibre sera délicat à trouver car également étendu, comme pour le SCAF, au-delà des seuls maîtres d’oeuvre. Quand la BITD française se fait discrète sur la question, la filiale allemande de MBDA et l’électronicien Hensoldt, deux acteurs d’outre-Rhin ont assez tôt – sans doute un peu trop – évoqué une potentielle participation. Ainsi, Hensoldt déclarait au printemps « être responsable du développement de l’un des 12 « MTD » pour l’Allemagne »… sans qu’aucune répartition ne soit officialisée.

L’impulsion souhaitée s’accompagne d’un effort financier pluriannuel. Ce char du futur, la France lui allouera 500 M€ jusqu’à la fin de la décennie via sa loi de programmation militaire pour 2024-2030. L’Allemagne, sauf écueil parlementaire, mettra à profit son fonds spécial de 100 Md€ consacré à la défense pour financer le sujet à hauteur de 83 M€ en 2024, puis de 177 M€ sur 2025 et 2026.

Sébastien Lecornu et Boris Pistorius poursuivront leurs rencontres bilatérales suivant un rythme pratiquement mensuel « pour arriver à tenir les délais ». Rendez-vous est déjà pris les 9 et 10 octobre à Berlin pour un séminaire franco-allemand qui sera l’occasion d’un nouveau point d’étape. Si l’heure est à l’accélération après 18 mois de latence, les deux pays se sont accordés sur « un calendrier souple et réaliste qui nous amènera à des horizons 2040-2045 », soutient le ministre français dans un élan de pragmatisme qui entérine sans doute un décalage par rapport à l’objectif initial d’une entrée en service en 2035.

Ni un nouveau Leopard, ni un nouveau Leclerc

Depuis le 10 juillet et l »entretien bilatéral de « relance » en Allemagne, « le besoin opérationnel de ce que va être notre futur char a largement été précisé et documenté ». Son contenu restera secret, mais le HLCORD « montre à quel point ce n’est pas un nouveau Leopard, ni un nouveau Leclerc » mais « un système de plusieurs modules qui constituera une fonction de cavalerie blindée avec, évidemment, des modules différents puisque certains seront habités, d’autres ne seront pas habités et d’autres, enfin, pourraient être habitables en fonction du choix stratégique et opérationnel ».

Hormis une fonction de feu classique, le MGCS emportera des technologies de rupture telles que des armes à énergie dirigée et électromagnétiques et autres briques de guerre électronique. L’intelligence artificielle y jouera un rôle central dans l’appui au renseignement, à la planification, au commandement et à la coordination des feux, rappelait le ministre des Armées.

Le document intègre au passage certains enseignements du conflit russo-ukrainien, notamment en matières de cyber et de robotique. « Il va sans dire que sur le cyber, les sauts technologiques à apporter à la nouvelle génération de chars sont absolument colossaux », estimait Sébastien Lecornu.

Pour la première fois, les donneurs d’ordre n’ont pas exclu qu’apparaissent des divergences entre systèmes français et allemands. Quand les deux armées se rejoignent autour d’un MGCS « puissant pour s’engager dans un combat destructeur : percer le dispositif adverse puis exploiter dans la profondeur », la France recherche aussi un outil « capable d’accomplir d’autres missions que le combat frontal. Il ne doit donc pas être trop lourd. Il doit pouvoir agir en dehors du théâtre européen. Voilà nos impératifs », précisait le CEMAT français en mai en audition sénatoriale. 

« L’armée allemande et l’armée française n’auront pas toujours les mêmes théâtres et les mêmes doctrines », déclarait Sébastien Lecornu. « Bien sûr, il y a des divergences en ce qui concerne la tactique à appliquer dans le combat, la tactique des unités, mais voilà pourquoi on adopter une structure modulaire de ce nouveau système qui tiendra compte des divergences », ajoutait le ministre allemand. De fait, la réponse est à chercher dans l’architecture du MGCS, celle-ci prenant nativement en compte certaines particularités nationales comme les systèmes de communication. 

Des programmes complémentaires plutôt que concurrents

Depuis Evreux, les deux ministres ont par ailleurs mis un terme à la polémique d’un second projet de char porté par plusieurs pays européens dont l’Allemagne et candidat à un financement du Fonds européen de la défense. Ni rupture, ni concurrence envers MGCS mais « un appel à projets pour de la recherche théorique. (…) On ne parle pas de la même chose », a insisté Sébastien Lecornu. 

Même son de cloche de la part de son homologue. « Ce n’est pas du tout un projet concurrent à MGCS. C’est une idée lancée par la Commission européenne. (…) Je ne vois pas où est le problème », complétait Boris Pistorius. Bref, une tempête dans un verre d’eau, résultat de la surpolitisation d’un sujet engagé sur fonds d’élections européennes et mal compris donc maladroitement repris par une partie de la presse francophone. 

« Est ce que des entreprises françaises répondront demain à l’appel à projets sur la base du FED ? Peut-être, je le souhaite, mais j’ai envie de dire peu importe ». Peu importe, car ce projet baptisé « Future Main Battle Tank » (FMBT) ne menace fondamentalement pas l’initiative franco-allemande, mais contribuerait plutôt à l’alimenter. C’est en tout cas le souhait du ministre des Armées. « Je pense que pour qu’il faut que cela ait du sens, il faut que cela fasse émerger des briques de technologie qui soient utiles à tous les États membres ». 

Ce faisant, FMBT participerait à répondre à la question critique de l’interopérabilité entre Européens, voire au sein de l’OTAN. Il pourrait aussi servir de porte d’entrée pour certaines nations évoquant depuis un moment leur éventuel embarquement sur MGCS. C’est le cas de l’Italie, dont le CEMAT « a eu des discussions » avec ses pendants allemand et français. Les Pays-Bas aussi, « et beaucoup d’autres », révélait Boris Pistorius. 

Là aussi, les deux ministres proposent de s’inspirer du SCAF, pour lequel un statut d’observateur a été créé. Activé pour la Belgique, il permet de traduire l’intérêt en statut sans toucher à l’équilibre industriel. Pour le ministre français, la question requiert « souplesse et pragmatisme ». « « Ce qui compte, c’est d’avoir aussi un partage de vues sur ce qu’on attend du char », soulignait-il. À l’image du bloc multiprise, les deux ministres n’excluent pas de venir « plugger » certains pays, « mais sur les briques que vous aurons, nous, définies ». « On ne peut inviter les autres qu’après avoir défini ce que l’on souhaite avoir et on l’aura fait d’ici la fin de l’année », indiquait Boris Pistorius. La porte sera donc ouverte mais seulement après avoir atteint une certaine stabilité, ce que Paris et Berlin tenteront d’obtenir l’an prochain. 

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