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Modernisation, acquisitions, coopérations, exportations : la DGA s’explique

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Le 4 avril dernier, Joël Barre, délégué général à la Direction générale de l’armement, était auditionné au Sénat. La séance de questions-réponses basée sur la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 a permis d’entendre formuler des précisions intéressantes sur le rythme d’acquisition de matériels et le risque induit de décevoir certaines attentes. Un budget annuel d’un milliard d’euros consacré à des études amont ne permettra pas de rencontrer d’emblée tous les espoirs – fussent-ils légitimes – nourris par chacun.
 

Le délégué général pour l’armement, Joël Barre (à droite) avec son homologue britannique (ministre des Acquisitions de défense) Guto Bebb, lors de 29e édition du High Level Working Group, le 29 mars 2018 (Photo : ministère des Armées)

Le délégué général pour l’armement, Joël Barre (à droite) avec son homologue britannique (ministre des Acquisitions de défense) Guto Bebb, lors de la 29e édition du High Level Working Group, le 29 mars 2018 à Paris (Photo : ministère des Armées)


La coopération avec les Britanniques, malgré le Brexit, a retenu l’attention des sénateurs, le DGA ayant rencontré son homologue une semaine plus tôt. La coopération avec l’Allemagne également, les difficultés liées à l’exportation de matériels réalisés en commun étant fort préoccupantes. Il a également été questions de la Belgique et de l’Italie.
 
Hélicoptères, missile ASN4G (successeur de l’ASMP), renouvellement complet de l’arsenal nucléaire à partir de 2020, construction de sous-marins SNLE de troisième génération, et bien d’autres dossiers très « chauds »… La DGA a de quoi passer des nuits blanches pour gérer tout de front. Etudes en amont et équipement concret des forces armées doivent absolument progresser de concert. Nous nous concentrons ici sur ce qui concerne l’Armée de terre, faute de pouvoir consacrer l’espace que méritent également l’Armée de l’air et la Marine nationale. Nous consacrons néanmoins quelques lignes à une préoccupation cruciale : la guerre électronique.
 
Joël Barre a rappelé que le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » enregistrera une hausse significative des crédits consacrés à l’innovation, puisque ceux-ci, qui s’élèvent en moyenne à 730 millions d’euros par an, devront atteindre un milliard d’euros en 2022, et seront maintenus à ce niveau ensuite.
 
Pour quoi faire ? « D’abord, a expliqué le DGA, pour investir dans la maturation des technologies nécessaires aux systèmes d’armes du futur – par exemple, l’ASN4G. Puis, pour nous ouvrir à l’innovation civile, afin de capter les nouvelles technologies qui y surgissent en matière de numérique, de robotique, d’intelligence artificielle ou de traitement des données. Pour introduire ces innovations dans nos matériels, nous devons réaliser des démonstrateurs technologiques ».
 
Rappelons que la ministre des Armées, Florence Parly, a annoncé la création d’une agence d’innovation de la Défense, sur laquelle travaille la DGA. Il s’agit de fédérer les initiatives de la DGA et celles des armées et du Service Général des chats (SGA), et de redynamiser les outils d’expérimentation existants, comme le DGA Lab, créé en 2016 pour rapprocher les innovations militaires et civiles de leurs utilisateurs au sein des forces armées, qui sera élargi à tout le ministère.
 
Réagissant sur le thème de l’innovation, Cédric Perrin, co-rapporteur pour avis du programme 146 « Equipement des forces », a formulé une remarque d’intérêt majeur sur un ton quelque peu cinglant : «Accroître l’efficacité [de la DGA], oui ; mais il faut aussi changer le logiciel, car l’innovation vient désormais davantage du monde civil. Il y a de nombreux points de blocage : vous avez déjà commencé à modifier l’organigramme, et cela bouscule des habitudes. Il va falloir accélérer et simplifier le processus d’acquisition, vu la vitesse galopante de l’innovation, qui devient de surcroît rapidement obsolète. Bref, il va vous falloir démonter la citadelle !
 
Le DGA a commenté le programme 146 : « Il verra une hausse significative de la ressource par rapport aux LPM précédentes, pour un total de 59 milliards d’euros sur la période couverte, dont 37 milliards d’euros entre 2019 et 2023. C’est une augmentation de 30 % par rapport aux annuités de la LPM actuelle. Grâce à cet effort budgétaire significatif, nous pourrons livrer les matériels commandés, dont certains avaient dû faire l’objet, lors de la précédente LPM, de renégociations faute de crédits de paiement, mais aussi accélérer la livraison d’autres matériels et lancer des programmes nouveaux. »
 
La LPM 2019-2025 y fait déjà allusion : l’accélération de la modernisation des forces doit s’appuyer sur le retour d’expérience des OPEX en cours, notamment au sein de l’Armée de terre, pour laquelle la DGA accélère la livraison des véhicules du segment médian du programme Scorpion, des fusils d’assaut et des missiles antichars.
 
« En matière de guerre électronique, a annoncé le DGA, le premier système de capacité universelle de guerre électronique (CUGE) sera livré en 2025. La montée en puissance des capacités de drones se concrétisera par la mise en service de deux systèmes de drones MALE Reaper et des premiers drones tactiques de l’armée de terre, complétées par le premier système de drones MALE européen ». Voilà un indice de la coopération que veulent aussi les parlementaires allemands qui ont refusé à la ministre Ursula von der Leyen le leasing de drones israéliens (voir article publié le 24 avril sur Forces Opérations).
 
Les drones… Sujet conflictuel s’il en est ! Gilbert Roger, co-rapporteur pour avis du programme 212 « Soutien de la politique de défense », a interpelé le DGA : « Vous avez parlé des drones, mais pas de leur armement, alors que la ministre a fait un accueil favorable à cette proposition de notre rapport. Pour l’instant, nous sommes contraints d’armer les drones avec du matériel américain. Le drone européen reste une chimère… Toutes les armées comportent en leur sein des compétences. Pourquoi ne pas créer des incubateurs qui permettraient de faire émerger des projets de manière décentralisée, avec une plus grande réactivité ? ». Une réponse pertinente du DGA revêtira un intérêt industriel, militaire et politique des plus intéressants !
 
Le thème de la coopération internationale transparaît d’ailleurs parfois de manière sibylline dans les explications de Joël Barre : « Une cinquantaine de nouveaux programmes seront lancés sur la période 2019-2025. Certains concernent les hélicoptères : nous lancerons le standard 3 du Tigre et le programme d’hélicoptères interarmées léger sera lancé en réalisation en 2022. Nous aurons aussi un système de guerre des mines à base de drones, dont l’étude a été engagée avec les Britanniques ; nous développerons un nouveau missile antichar, ainsi que de nouveaux missiles antinavires. Nous participons au programme MALE européen de drones, et avons un programme de drones maritimes embarqués sur frégates. Dans le domaine spatial, nous préparons les satellites successeurs de Musis et Ceres, et renforçons les actions de surveillance de l’espace. »
 
La LPM 2019-2025 verra le lancement des stades amont de programmes structurants pour les années 2030 : les études se poursuivront sur le char du futur ainsi que sur le système de combat aérien du futur, qui devra faire l’objet de décisions majeures à l’occasion de l’actualisation de la LPM prévue en 2021 ; les études des composants majeurs du successeur du porte-avions Charles de Gaulle seront lancées avant 2025.
 
Le DGA l’affirme : « La coopération européenne sera recherchée plus systématiquement que dans le passé. C’est un objectif politique, pour aller vers une Europe de la Défense ; c’est un atout opérationnel, qui garantit l’interopérabilité ; c’est aussi une nécessité économique, puisque cela permet un partage des coûts de développement et fait baisser le coût unitaire par accroissement des effets de série, tout en mutualisant les coûts d’exploitation et de soutien. C’est enfin un moyen d’encourager la consolidation industrielle à l’échelle européenne. »
 
Pour répondre à une question du Sénat, toujours en matière de coopération internationale, Joël Barre explique que, avec le Royaume-Uni, la DGA discute des technologies de combat aérien du futur. Avec l’Allemagne, elle vise à mettre en œuvre les accords qui résultent du sommet franco-allemand de juillet 2017. La suite sort du domaine terrestre ciblé dans ces lignes. « Désormais, le fonds européen de Défense nous donne des opportunités de financement supplémentaires, pour la recherche comme pour le développement industriel », s’est réjoui le DGA.
 
Hélène Conway-Mouret, co-rapporteuse pour avis du programme 146 a été on ne peut plus claire quant aux difficultés de coopération industrielle internationale : « Les industriels souhaitent une révision profonde du processus d’acquisition des équipements. Cette révision est-elle envisagée ? Le volet européen de cette LPM est important. Or nos partenaires traditionnels sont dépendants des États-Unis. Les Espagnols ont pris un retard important et les Allemands sont en concurrence avec les industriels français, avec un soutien de leur État, qui a dégagé des crédits notamment pour leur marine : 1,5 milliard d’euros. Quelle est, au juste, notre ambition européenne ? Avec qui allons-nous réellement travailler ? ». Une réponse détaillée reste délicate à fournir… A la question du processus d’acquisition, le DGA a fourni une réponse simple : l’actuelle ordonnance des marchés publics et ses décrets d’application seront refondus dans le futur code de la commande publique début 2019.
 
Comme l’a relevé Yannick Vaugrenard, interpellant le DGA, « La coopération européenne est un des axes majeurs de la LPM, et vous avez souligné sa nécessité. Elle implique une plus grande intégration industrielle. Comment, dès lors, protègera-t-on nos technologies sensibles ? Peut-on imaginer une coopération, voire un financement européen, pour le remplacement du Charles de Gaulle ? ». Et Cédric Perrin, co-rapporteur pour avis, de taper sur le clou : « Tout dépend de la manière dont on rédige les marchés. Les Allemands n’achètent pas de Peugeot, et nous achetons du Ford… »
 
On peut difficilement dissocier le thème de la coopération européenne de celui de l’exportation. Joël Barre émet une opinion pertinente : «Avant la question du soutien à l’exportation, la première question à se poser est de savoir comment la puissance publique, qui a financé la recherche et le développement, s’y retrouve. C’est le client lui-même qui demande l’accompagnement de la DGA. Par exemple, les Belges sont prêts à acheter des véhicules médians de type Scorpion, à condition que le contrat soit passé par la DGA ; cette tendance s’amplifie. »
 
Mais bref, tout cela doit permettre à la France de consolider sa base industrielle de défense, qui représente 200.000 emplois répartis entre quelque 4.000 entreprises, dont une dizaine de grands groupes et environ 500 PME identifiées et suivies par la DGA comme stratégiques.
 
L’exportation représente environ 30 % du chiffre d’affaires de l’industrie de défense. La DGA entend la soutenir, ce qui impose de plus en plus d’activité car les clients demandent un accompagnement renforcé de la part de la DGA. L’augmentation prévue de ses effectifs lui permettra d’investir dans des domaines nouveaux comme la cyberdéfense, ou l’intelligence artificielle et de renforcer sa capacité d’innovation et le soutien à l’export.
 
Un chantier de transformation de la DGA est en préparation, en partenariat avec l’état-major des armées. Les premières orientations sont les suivantes, a détaillé Joëlle Barre : préparer les programmes dans une approche capacitaire plus globale, notamment aux stades amont, pour renforcer leur cohérence d’ensemble ; mieux prendre en compte l’innovation planifiée et l’innovation d’opportunité ; être plus efficace dans le processus d’acquisition.
 
En conclusion, le DGA se dit satisfait de cette LPM. Les programmes en cours ont été confirmés, voire accélérés, et la coopération européenne va se développer, dopée par l’enthousiasme du personnel de la DGA, a-t-il affirmé. La préparation de l’avenir fait l’objet d’un effort financier accru. Tout cela permettra la consolidation et le renforcement de l’autonomie stratégique de la France.

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