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L’UE veut un "Schengen militaire" !

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Depuis la fin de la guerre froide, les obstacles administratifs à la circulation de contingents militaires au sein de l’Union européenne se sont multipliés, ne serait-ce que par l’ajout de nouveaux pays membres. Simultanément, la construction des grandes infrastructures ferroviaires et routières (ponts et tunnels compris) ont cessé de répondre à des impératifs de compatibilité avec les contraintes militaires. Il est désormais urgent de faire sauter ces obstacles !
 

Les chars et l'artillerie autopropulsée d'aujourd'hui excèdent, en masse et en gabarit, les engins pris en considération dans la construction des réseaux ferroviaires et routiers des années 1950-60. Des adaptations sont requises d'urgence (photo: Us Army)

Les chars et l’artillerie autopropulsée d’aujourd’hui excèdent, en masse et en gabarit, les engins pris en considération dans la construction des réseaux ferroviaires et routiers des années 1950-60. Des adaptations sont requises d’urgence (photo: US Army)


 
Une fois encore – et ce n’est pas par nostalgie pour une époque révolue –, on ne peut que déplorer une dégradation de certains paramètres de circulation concernant les armées européennes à l’intérieur de l’espace communautaire. Depuis des années, les déclarations alarmistes et les promesses de solutions s’évanouissent pourtant comme l’eau sur le sable…
 
Et voilà que les tensions croissantes avec la Russie réveillent les ardeurs pour pallier ces problèmes qui, s’ils ne sont pas résolus, pourraient bien coûter très cher à une Europe endormie par 75 ans de paix intérieure.
 
L’expression « Shengen de la défense » a été utilisée et elle est pertinente car il s’agit de progresser dans les limites d’un noyau de pays décidés à partager des règles communes plus vite et plus intensément que d’autres.
 
Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, a déclaré: « La promotion de la paix et la garantie de la sécurité de nos citoyens sont nos premières priorités en tant qu’Union européenne. En facilitant la mobilité militaire au sein de l’UE, nous pouvons être plus efficaces dans la prévention des crises, plus efficaces dans le déploiement de nos missions et plus réactifs en cas de difficultés. Ce sera une nouvelle étape dans l’approfondissement de notre coopération au niveau de l’UE, également dans le cadre de la coopération structurée permanente que nous avons officiellement lancée récemment, et avec nos partenaires, à commencer par l’OTAN. Pour nous, en tant qu’UE, la coopération reste le seul moyen d’être efficace dans le monde d’aujourd’hui. »
 
Mercredi 28 mars, la Commission européenne a donc présenté un plan d’action pour créer un « Schengen militaire » afin de faciliter les transports de troupes et de matériel au sein de l’Union européenne, actuellement freinés par une multitude de formalités administratives et un manque d’infrastructures adéquates, surtout en ce qui concerne les ponts routiers et l’infrastructure ferroviaire : depuis bien des années, on a cessé d’intégrer les paramètres militaires à ceux des seules exigences civiles. Ah, il faut bien réaliser que, en plus d’une inflation de gabarit, les presque 58 tonnes d’un char AMX Leclerc, 62,5 tonnes d’un M1A2 Abrams ou 64 tonnes d’un Leopard 2A7, c’est autre chose que les 37 tonnes d’un AMX 30B1, 47 tonnes d’un M60 ou 40 tonnes d’un Leopard 1 ! Mine de rien, cette inflation de la masse au combat des chars conduit à compliquer parfois diablement certains déplacements. La pose de ponts flottants, lorsqu’il faut s’y résoudre, ne s’effectue pas en quelques minutes… Ah ! N’oublions pas la question des tunnels trop étroits et trop bas !
 
Aussi le plan d’action présenté par la Commission européenne, élaboré en concertation avec l’OTAN, prévoit-il notamment d’identifier les besoins pour les transports militaires et de recenser les infrastructures utilisables. L’initiative s’inscrit dans la stratégie de relance d’une Europe de la Défense, un domaine dans lequel la plupart des pays membres de l’UE veillent jalousement à leur souveraineté nationale.
 
Plus fondamentalement, « Nous avons besoin d’un espace Schengen militaire. Les Russes ont une totale liberté de mouvement au sein de leur territoire. Nous devons pouvoir nous déplacer aussi rapidement, sinon plus vite, pour masser des forces contre un potentiel ennemi afin d’être dissuasifs », a soutenu récemment le général américain Ben Hodges, ancien commandant des forces américaines en Europe. C’est la ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, qui est la première à avoir régulièrement évoqué la création d’un « Schengen militaire ». L’Allemagne a d’ailleurs déjà proposé la ville de Ulm pour accueillir, dans le cadre de l’OTAN, un QG dédié et déjà baptisé Joint Support and Enabling Command (JSEC).
 
Pour mémoire, l’Espace Shengen est le fruit d’un accord entre vingt-six pays européens pour supprimer les contrôles à leurs frontières intérieures. « Nous avons besoin de la même liberté de mouvement au sein de l’UE qu’un routier acheminant un chargement de pommes de Pologne en France », a fort justement déclaré le général Hodges. Les Etats baltes (Estonie, Lituanie et Lettonie) ont déjà constitué entre eux un mini-Schengen militaire, souligne Elisabeth Braw, analyste de l’Atlantic Council, un centre de réflexion spécialisé dans les relations internationales, a rapporté l’AFP.
 
Mais voilà… Dans la situation administrative actuelle, les formalités douanières à remplir pour acheminer un charroi militaire avec ses munitions depuis la France (par exemple) jusqu’à l’un des pays baltes constituent pour le moins un obstacle théorique sérieux à un déploiement urgent. A quoi s’ajoutent des obstacles au niveau de l’infrastructure routière et ferroviaire évoqués plus haut.
 
Il s’agit de commencer par dresser un inventaire de la situation actuelle en matière de mobilité militaire. Réglementation et infrastructure en constituent les deux volets. Sur base du rapport, l’étape suivante consistera à élaborer un calendrier d’action.
 
Une liste prioritaire de projets sera établie par la Commission européenne, avec une priorité pertinemment octroyée aux projets à double usage civil et militaire car les gros engins de génie civil bénéficieront aussi des solutions apportées aux armées.
 
On ne doute guère de l’approbation que doivent donner les Etats membres à ce plan d’action. Notons quand même qu’en novembre 2017, l’UE a lancé une coopération structurée permanente en matière de défense entre vingt-cinq pays, dans le cadre de l’Union de la Défense pour 2025 appelée de ses vœux par Jean-Claude Juncker, mais que le Royaume-Uni, le Danemark et Malte n’y participent pas.
 
Ce qui sera d’un grand intérêt – un intérêt peut-être vital – c’est le niveau et le rythme de concrétisation des bonnes intentions. L’Europe ne peut plus se permettre l’image de l’eau qui s’évanouit dans le sable… « Ce que nous voulons faire, c’est qu’au cas où il faudrait activer nos moyens de défense, nous soyons en mesure de le faire », a déclaré Violeta Bulc, Commissaire européenne aux Transports. Rien que ça.

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